Si trop de qualités tue la qualité, trop de jeunesse la jeunesse, trop de communication la communication et trop d’encensoirs la louange, alors le radical genevois n’a aucune chance le 17 juin lors de l’élection au Conseil d’Etat.
C’est le désavantage des politiciens précoces: ils finissent par lasser plus vite. Qui prend encore au sérieux par exemple l’ex-prodige jurassien Pierre Kohler, parvenu pourtant à un âge où d’autres, partis plus tard, sont regardés comme des monuments de sagesse au sommet de leur potentiel?
Le même syndrome peut-il frapper Pierre Maudet? Alors qu’il n’a encore gravi que les premières marches de son ascension mille fois promise et que viser le Conseil d’Etat à 34 ans devrait faire de lui un rafraichissant petit nouveau, voilà le radical genevois en posture de secréter déjà, chez l’électeur mal embouché, un certain sentiment de saturation.
Maudet, en effet, on pourrait facilement éprouver l’impression tenace de l’avoir toujours vu. Se dire qu’avec lui, on n’en est encore qu’au début, cela a forcément quelque chose de déprimant. Imaginons son élection comme ministre cantonal le 17 juin prochain. Avec une période de 8 à 12 ans, suivie d’une élection immanquable au Conseil national ou plus probablement fédéral, et à nouveau 8 à 12 ans de rab…
Soit pas loin d’un quart de siècle à le voir encore s’activer sur la scène politique. Ce qui nous conduirait jusqu’en 2036. Quand même, Poutine a promis de ne pas aller au-delà de 2024.
Il faudra donc faire avec. Notons d’abord un bon point. Pierre Maudet semble être doté, peut-être à son corps parfois défendant, d’un réel sens de l’humour. Lui qui affirme par exemple être entré à l’âge de 20 ans au parti radical pour «la défense des minorités» et «la lutte pour la justice sociale».
Mais voilà: Maudet.com, comme le surnomme ses amis les plus mesurés, en fait tellement que la presse, abreuvée, inondée, n’arrive plus à suivre chaque marche de la légende et semble prendre le risque de se blesser grave à force d’agiter en tout sens et frénétiquement tant d’encensoirs.
«Toujours tiré à quatre épingles, il est de toutes les batailles», «Minorisé dans un exécutif de gauche, il travaille dans la collégialité», «Même dans les rangs de la gauche, on peine à lui trouver de gros défauts», «L’appétit politique de Pierre Maudet force l’admiration», «Pierre Maudet incarne ce que la pensée radicale offre de meilleur»…
Ce ne sont là que quelques-unes parmi les fumeroles recueillies rien que ces derniers jours. De deux choses l’une: soit Maudet est vraiment plus que bon, une sorte de surhomme de la politique, soit les médias se montrent bien impressionnables et très aplatis.
Une galaxie médiatique qui se montre en tout cas attentive à recueillir de la bouche de Maudet les mêmes anecdotes enluminées. Comme la lettre aux élus à douze ans pour exiger la création d’un skatepark, la fondation du parlement des jeunes à quatorze, ou, plus fort encore, la rencontre avec Delamuraz à onze. S’il n’était protestant, on soupçonnerait volontiers le pugnace gaillard d’avoir été baptisé par le pape en personne.
Les mêmes évènements graves aussi, y compris ceux dont il ne parle «presque jamais» — son grave accident «dans le cadre militaire» qui l’envoie au service des grands brûlés. Les mêmes faux et sympathiques paradoxes: «le charisme, c’est la capacité d’écoute». La même vénération pour Couchepin, «le commandeur», avec juste ce qu’il faut d’infime réserve pour ne pas paraître trop obséquieux — «il aimait cultiver un côté un peu inculte». De la part de quelqu’un assurant un peu plus loin n’avoir plus le temps de lire qu’Astérix, «une source inépuisable d’enseignement en management», c’est en effet assez bien vu.
Si Pierre Maudet, comme François Hollande l’avait fait de la finance internationale, s’est désigné un adversaire sans visage en la personne du «petchi qui règne à Genève», on peut à titre gracieux lui en suggérer un autre. Lui qui se déclare grand admirateur du général Dufour, ce militaire, rappelons-le, contraint lors de la guerre du Sonderbund d’attaquer ses propres défenses, les fortifications qu’il avait lui même érigées en temps de paix à l’entrée du Valais, sait-il bien que trop de perfection tue la perfection?
Heureusement donc qu’il se murmure, ici et là, que Pierre Maudet serait un peu carriériste sur les bords et n’a jamais exercé de véritable travail. Ouf. Sans ces légères peccadilles, on ne lui donnait — vraiment — aucune chance.
