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Médecines douces, un succès controversé

Homéopathie, naturopathie, phytothérapie, biorésonance, acuponcture… Les médecines alternatives sont plébiscitées, malgré des résultats souvent scientifiquement discutables. Enquête.

«L’engouement des Suisses pour les médecines complémentaires ne cesse de se confirmer au fil des années. En mai 2009, une majorité de la population (67%) a voté pour que ce type de soins soit pris en compte par les autorités. Et, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), 23% de la population a eu recours à ce genre de prestations en 2007, contre 15% en 2002.

Actuellement, près de 1 personne sur 3 y ferait appel au moins une fois par année. Les adeptes des médecines complémentaires sont surtout des femmes: elles consultent deux fois plus que les hommes, les jeunes et les malades chroniques. Parmi ces femmes, Géraldine Fleury. Une mère de famille qui, lors de ses grossesses, a consulté un ostéopathe. «Grâce à des manœuvres très douces sur ma colonne vertébrale, il a soulagé mes douleurs dorsales.»

«Il existe principalement deux types de patients, explique Pascal Büchler, médecin FMH et homéopathe à Yverdonles-Bains. Ceux qui ont un problème de santé que la médecine scientifique ne parvient pas à résoudre. Et ceux qui refusent d’utiliser des molécules chimiques par conviction.»

Les traitements les plus sollicités sont l’homéopathie (6% de la population), l’ostéopathie, l’acuponcture et le shiatsu/réflexologie (5% chacun), ainsi que la naturopathie (3%). Mais il existe une quantité d’autres pratiques. Au total, le Registre de médecine empirique (RME) dénombre 125 types de soins qui peuvent prétendre au nom de médecine non conventionnelle.

La Fédération des médecins suisses (FMH) reconnaît cinq domaines (médecine traditionnelle chinoise, thérapie neurale, médecine anthroposophique, phytothérapie et homéopathie) et l’assurance maladie en rembourse quatre depuis le 1er janvier 2012, si elles sont pratiquées par des médecins diplômés. La phytothérapie ne sera remboursée qu’à partir le 1er janvier 2013.

Au sein de la FMH, près de 4000 membres sur les 16 000 médecins installés pratiquent des médecines complémentaires à des niveaux variés. A cela, il faut ajouter près de 30 000 thérapeutes non-médecins, dont un certain nombre exercent sans réelle formation. Pour y remédier, la Fondation suisse pour les médecines complémentaires (Asca), qui regroupe environ 15 000 thérapeutes, et le RME ont mis en place des labels de qualité. Un diplôme fédéral en médecine douce pourrait, par ailleurs, voir le jour à l’horizon 2013.

Mais pourquoi les Suisses raffolent-ils de ces méthodes? «En matière de guérisseurs, le pays a une longue tradition, répond Jérôme Debons, assistant à la Haute Ecole de santé Vaud et auteur d’un livre sur les médecines traditionnelles. En Valais, l’arrivée du médecin dans les villages ne remonte souvent qu’au milieu du XXe siècle. Avant, les patients s’adressaient au guérisseur, qui était le premier recours contre la maladie. Quand la médecine scientifique est devenue prépondérante, les pratiques traditionnelles ont été discréditées. Avec la remise en cause du diktat de la médecine, elles reviennent sur le devant de la scène, accompagnées de nouvelles pratiques.»

A cela s’ajoute ce qu’Ilario Rossi, anthropologue et professeur à l’Université de Lausanne, nomme «les maladies de civilisation»: «Jusqu’au début des années 80, nous vivions dans une époque où la croyance dans le progrès était aveugle. En ce sens, la science médicale véhiculait l’idée de guérison de toutes les maladies, de résolution de tous les maux. Aujourd’hui, bien que la perspective biologique soit encore valorisée, elle n’arrive pas à répondre de manière toujours appropriée aux nouveaux défis pathologiques. La médecine scientifique est confrontée à des maladies comme les cancers, les dépressions, les maladies chroniques et psychosomatiques ou encore dégénératives qu’elle ne parvient pas à guérir. Au mieux, elle peut les ralentir. Les patients doivent apprendre à vivre avec, comprendre pourquoi ils sont malades et gérer au mieux leur condition. Mais les sciences ne leur apportent que des réponses partielles. Ils se tournent donc vers d’autres sources de connaissances.»

Collaboration: Camille Guignet et William Türler
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Cinq médecines complémentaires décryptées

PHYTOTHÉRAPIE

Principe: l’utilisation des plantes médicinales est encore aujourd’hui la forme de médecine la plus répandue à travers le monde et de nombreux médicaments chimiques proviennent à l’origine des plantes, comme l’aspirine ou le taxol. Mais, à la différence des médicaments de synthèse qui ne contiennent que la molécule active, la phytothérapie s’intéresse aux effets de la plante dans sa globalité.

Applications: les remèdes sont principalement utilisés dans le traitement du stress (millepertuis), des maux de tête (menthe poivrée) ou des insomnies (valériane).

Efficacité: plusieurs études cliniques ont apporté des résultats prometteurs dans l’utilisation de la phytothérapie, seule ou en complément de la médecine scientifique, pour traiter par exemple l’arthrite, la maladie d’Alzheimer et la douleur.

Nombre de praticiens: une cinquantaine de médecins FMH la pratiquent en Suisse.

MÉDECINE ANTHROPOSOPHIQUE

Principe: il s’agit d’une approche médicale fondée par le scientifique et philosophe d’origine autrichienne Rudolf Steiner (1861-1925). L’anthroposophie propose une médecine humaniste qui intègre les dimensions matérielles et spirituelles de l’être humain. La médecine anthroposophique se situe dans la continuité de la médecine classique, entendant cependant élargir la pratique médicale en y introduisant des éléments d’ordre spirituel.

Applications: bien qu’ils ne rejettent pas les médicaments chimiques, les médecins anthroposophes les évitent autant que possible. Les remèdes proposés, de marque Weleda notamment, sont à base de substances naturelles provenant de minéraux, de plantes ou d’organes d’animaux. Les adeptes utilisent cette médecine pour soigner notamment les maladies chroniques, les otites et les conjonctivites.

Efficacité: il n’existe aucun essai clinique de qualité prouvant une réelle efficacité. Néanmoins, deux études, publiées en 2007 et en 2009 dans les revues BMC Complementary and Alternative Medicine et BMC Pediatrics, suggèrent un effet bénéfique dans le traitement des pathologies chroniques.

Nombre de praticiens: une centaine de médecins FMH pratiquent cette méthode, dont une petite dizaine en Suisse romande.

HOMÉOPATHIE

Principe: créée au début du XIXe siècle par Samuel Hahnemann, l’homéopathie se base sur l’idée que le corps possède en lui-même la force de générer un processus naturel de guérison. Les remèdes proposés, à base de plantes, de minéraux ou de substances animales, cherchent à stimuler le processus de guérison naturel. Ils sont dilués à tel point qu’on n’y trouve parfois aucune trace chimique des molécules qui composaient la substance originale.

Applications: les partisans de cette méthode soutiennent qu’une multitude de troubles de la santé peuvent être traités par l’homéopathie, en complément ou non de la médecine conventionnelle. En pratique, l’homéopathie est utilisée pour soigner notamment les migraines, les rhumatismes, les allergies, les otites,les cystites et pour atténuer les effets secondaires des chimiothérapies.

Efficacité: en 2005, The Lancet, l’une des revues médicales les plus respectées au monde, a conclu que les effets de l’homéopathie ne sont dus qu’à l’effet placebo, en d’autres termes que cette pratique n’a aucun effet. Plus récemment, en 2010, une vaste étude commandée par le Parlement britannique est arrivée à la même conclusion et a recommandé que l’homéopathie ne soit plus remboursée par l’Etat. Néanmoins, des résultats publiés en 1997 dans le Journal of Clinical Gastroenterology suggèrent qu’un traitement homéopathique est bénéfique dans le rétablissement postopératoire des fonctions de l’intestin.

Nombre de praticiens: près de 300 médecins FMH, dont une petite centaine en Suisse romande.

MÉDECINE TRADITIONNELLE CHINOISE

Principe: vieille de quelques milliers d’années, la médecine traditionnelle chinoise (MTC) comprend plusieurs disciplines telles que l’acuponcture, la pharmacopée chinoise, la diététique chinoise, le massage Tui Na, ainsi que les exercices énergétiques Qi Gong et taï-chi. Selon elle, tout dans l’univers est mû par une force fondamentale appelée Qi. Pour soigner les patients, il s’agit de rétablir les flux d’énergies le long des lignes de forces appelées méridiens.

Applications: la MTC est généralement utilisée pour traiter les problèmes de dos, la constipation, le diabète, la démence, l’épilepsie, les allergies, l’endométriose, la dépression et le syndrome de l’intestin irritable.

Efficacité: plusieurs études scientifiques ont conclu à l’efficacité de l’acuponcture, qui est déjà remboursée définitivement par l’assurance de base, pour diminuer les nausées provoquées par les chimiothérapies, prévenir les migraines et soulager la douleur. L’efficience du taï-chi est également suggérée par exemple dans le traitement de la fibromyalgie, selon une étude publiée dans le New England Journal of Medicine. Les autres disciplines de la MTC sont peu étudiées scientifiquement en dehors de la Chine.

Nombre de praticiens: la plupart des thérapeutes ne pratiquent que l’acuponcture. Ils sont 600 médecins FMH en Suisse, dont une centaine en Suisse romande.

THÉRAPIE NEURALE

Principe: mise au point par le chirurgien allemand Ferdinand Huneke (1891-1966), la thérapie neurale estime que la maladie ou les traumatismes peuvent provoquer des champs perturbateurs, qu’il convient de traiter en injectant localement (dans les nerfs, ganglions, ou cicatrice…) des anesthésiques en faible quantité.

Applications: cette méthode, surtout prisée dans les pays germanophones, est utilisée principalement dans le traitement de la douleur (migraine, douleurs chroniques, etc.), mais aussi des maladies chroniques comme le syndrome de l’intestin irritable.

Efficacité: il existe peu d’études scientifiques sérieuses prouvant l’efficacité de cette méthode pour traiter une pathologie. Toutefois, il paraît logique que l’injection d’anesthésiant diminue la douleur.

Nombre de praticiens: une centaine de médecins FMH pratiquent en Suisse, mais très peu du côté romand de la Sarine.
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INTERVIEW

«L’hypnose donne de très bons résultats»

Le CHUV et les HUG fournissent à leurs patients les numéros de téléphone de thérapeutes alternatifs. Mette Berger, médecin adjointe au service de médecine intensive et coordinatrice du centre des brûlés au CHUV, en explique la raison.

– A quel type de médecine complémentaire avez-vous recours dans le cadre de vos activités?

Nous mettons à disposition des familles une liste de guérisseurs. Certes, un tissu détruit ne pourra être régénéré de cette manière. Toutefois, nous observons que cela apporte un soutien psychologique important et donne l’impression au patient et à son entourage de ne pas être complètement impuissants face à ce qui leur arrive. Ce type de demande reste toutefois rare.

– Quel autre type de médecine complémentaire utilisez-vous?

L’hypnose donne de très bons résultats. On observe grâce à elle un meilleur contrôle de la douleur, moins de médication, moins d’anesthésies générales et donc des séjours moins longs en soins intensifs. Là aussi, la composante psychologique s’avère cruciale. Nous opérons en collaboration avec le service psychiatrique de l’hôpital et avec des thérapeutes spécialisés. Trois à quatre séances sont nécessaires pour apprendre les bases. Cette technique est ouverte à des patients dès l’âge de 5 ans.

– Et pour quel type de patient cette méthode ne peut servir?

Les personnes inconscientes. Pour être efficace, cette technique doit s’appliquer à des patients éveillés, avec des douleurs précises.
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TEMOIGNAGES

«Mon guérisseur m’a beaucoup aidée»
Laurence Rochat, 33 ans, coordinatrice événement chez Audemars Piguet, médaillée olympique de ski de fond

«Les médecines naturelles constituent un excellent traitement préventif et diminuent la chance de contracter une maladie plus grave.» Ancienne skieuse de fond, Laurence Rochat est persuadée de l’efficacité des médecines non conventionnelles. Médaillée de bronze aux Jeux olympiques de Salt Lake City, en 2002, cette sportive d’élite y a souvent eu recours lors de sa carrière d’athlète. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. «Le déclic a eu lieu en 2003. Je suivais un traitement à base d’infiltrations d’antibiotiques pour soigner mon pied gauche, atteint d’une périostite causée par un changement d’équipement. Après une année de traitement, la douleur était toujours présente. Sur le conseil d’amis, je suis allée voir Marcel Cuttat, un rebouteux énergéticien ayant reçu de sa mère le don d’enlever les inflammations. Il m’a guérie en quelques semaines.» Depuis cette guérison, la jeune femme née dans la vallée de Joux n’hésite plus à se tourner vers la médecine douce. «En tant que sportive d’élite, je devais toujours être au top de ma forme. Cette pression m’a poussée à m’intéresser à différentes approches thérapeutiques. J’ai, par exemple, été plusieurs fois chez l’ostéopathe pour soigner mes lumbagos.» Pour elle, les médecines parallèles présentent l’avantage d’aller à l’origine du mal et de chercher à en soigner les causes. Elles ne doivent pas pour autant remplacer une alimentation équilibrée, ni faire obstacle à la médecine conventionnelle. «Lorsque j’ai eu un problème au tendon d’Achille, je n’ai pas hésité à me faire opérer.» Quand elle était fondeuse, Laurence Rochat consommait beaucoup d’Echinacea, une plante à l’effet curatif, de la spiruline, un complément alimentaire à base d’algues, et des oméga-3 pour soigner son asthme. Autant de substances qu’elle n’utilise plus. «J’ai mis un terme à ma carrière d’athlète il y a deux ans. Depuis, je suis moins souvent malade. Je continue tout de même à suivre, une fois par mois, des séances de reiki, une méthode de soins japonaise pour me rééquilibrer et retrouver mon énergie.» Loin de vouloir prêcher la bonne parole, la jeune femme conclut dans un sourire: «Avec le temps, j’ai appris à savoir ce qui me faisait du bien. Mais chacun doit chercher le remède qui lui convient.»
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«J’ai choisi de soigner ma tumeur par l’homéopathie»
Dominique*, homéopathe

«Quand j’ai appris en 2009 que je souffrais d’un cancer du sein, mon frère cadet venait de mourir d’une tumeur, après un long et infructueux traitement par chimiothérapie. Je n’avais pas envie de suivre le même chemin.» Dominique, homéopathe de profession, s’est donc tourné vers les médecines douces. «J’aurais pu choisir de faire une opération chirurgicale suivie d’une chimiothérapie. Mais la deuxième intervention affaiblit terriblement l’organisme et provoque de nombreux effets collatéraux. Lorsqu’elle échoue, le patient voit son énergie vitale et ses espoirs de guérison diminués. La maladie peut même devenir chronique. J’ai donc préféré garder ma tumeur intacte.» Dominique choisit alors de faire appel à un médecin homéopathe reconnu dans le traitement des maladies tumorales. Il lui prescrit des doses de globules, à prendre tous les quarante jours. Les petits granulés sont censés s’attaquer à sa tumeur tout en évitant l’apparition de symptômes. «Ce traitement permet une grande liberté de mouvement, car il peut être réajusté à tout moment, selon l’évolution de mon état.»

Si son choix de la médecine douce peut surprendre — habituellement l’homéopathie est utilisée principalement pour diminuer les effets secondaires des traitements anticancéreux — Dominique n’y voit que des avantages: «L’homéopathie s’intéresse aussi bien aux facteurs physiques que psychiques susceptibles d’avoir provoqué la maladie. Il s’agit d’un traitement de fond, qui considère l’individu dans sa globalité avant d’établir un diagnostic. Ce type de médication présente surtout l’énorme avantage de ne pas entraîner d’effets secondaires. Je me souviens qu’à la fin de sa vie, mon frère dépérissait et avait le sentiment de vivre pour se soigner. J’ai choisi de suivre le processus inverse et de vivre pleinement, malgré ma tumeur. J’ai augmenté mon temps de travail et entrepris des études. J’ai aussi pris le temps de mieux me connaître en faisant un travail sur moi. Finalement, l’avantage principal de l’homéopathie est peut-être de m’avoir donné du temps.» Risqué ou pas, son choix lui donne pour l’instant raison: depuis un an, dit-il, la taille de sa tumeur a diminué de moitié.
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«Je soigne surtout les dépressions»
Helmut Thomas, 68 ans, magnétiseur et guérisseur spirituel

Helmut Thomas respire la bienveillance. Depuis cinq ans, cet homme de 68 ans reçoit des patients dans son cabinet situé à Montreux. «Les gens viennent me voir pour toutes sortes de problèmes, de la dépression à la cataracte en passant par la prostate.» Détenteur du secret, l’Appenzellois soigne aussi les hémorragies, les douleurs et les brûlures. Pour les autres maladies, il utilise la méthode des 4 dimensions, une thérapie énergétique basée sur l’harmonisation entre l’organisme, la conscience, l’énergie et la spiritualité. «Les émotions négatives comme le stress, la tristesse, le surmenage ou la solitude affectent le système immunitaire. Lorsque ce dernier est affaibli, l’organisme est davantage sujet à la maladie. Je rééquilibre donc les énergies défectueuses pour faciliter le processus de guérison.» La méthode peut se pratiquer à distance ou en présence du patient. Aujourd’hui à la retraite, cet imprimeur de profession raconte volontiers son parcours. «J’ai toujours été fasciné par le travail des guérisseurs. A l’époque, cette pratique était interdite en Suisse, sauf à Appenzell. Je me souviens qu’un garagiste zurichois avait quitté son canton pour venir y pratiquer. Cela m’avait beaucoup intrigué.» Lui a pris conscience de son don en 1994, lors d’un cours sur la guérison spirituelle. «La personne qui le donnait a remarqué chez moi quelque chose de spécial: la présence d’une force que les autres n’avaient pas. Selon elle, cette force était liée à un accident que j’avais subi quelques années auparavant lors duquel j’avais frôlé la mort.» Peu après cet événement, il aménage son premier cabinet dans une annexe de son imprimerie à Carouge et commence à pratiquer comme guérisseur spirituel. A 63 ans, il s’installe dans le canton de Vaud, où il reçoit ses patients pour 140 francs les deux heures. «Je traite les dépressions avec beaucoup de succès en réactivant l’énergie au niveau du duodénum et du système végétatif nerveux.»
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Médecines naturelles, remboursées mais sans effet? Pas tout à fait.

La décision politique de faire prendre en charge cinq médecines complémentaires par l’assurance maladie de base cache mal le débat sur leur efficacité.

Introduites dans l’assurance de base en 1999, retirées en 2005, puis finalement réintroduites en 2012… Le feuilleton des médecines non conventionnelles n’est pas près de s’arrêter. Malgré l’avis négatif de la Commission fédérale des prestations générales et des principes (CFPP), le Département fédéral de l’intérieur (DFI) a décidé de réintégrer dans l’assurance de base le remboursement de la médecine traditionnelle chinoise, la médecine anthroposophique, l’homéopathie et la phytothérapie, pour une période transitoire courant du 1er janvier 2012 jusqu’à fin 2017, ainsi que la thérapie neurale de manière définitive.

Une décision qui interpelle puisque le DFI juge lui-même «qu’à ce jour, il n’a pas été possible de prouver que ces médecines remplissent pleinement les critères légaux d’efficacité, d’adéquation et d’économicité (EAE)». Alors pourquoi les rembourser? «Il s’agit d’une décision politique prise suite à la votation populaire, répond Pierre-Yves Rodondi, médecin au CHUV et chercheur à l’Unité de recherche et d’enseignement sur les médecines complémentaires à l’Unil. D’un point de vue strictement scientifique, c’est probablement un peu tôt.»

«Il n’existe pas de preuves de l’efficacité de l’homéopathie, confirme le médecin homéopathe Pascal Büchler. Mais je vois chaque jour dans mon cabinet que cela marche.» Un avis partagé par l’ancien président de la Fédération des médecins suisse (FMH) et généraliste Jacques de Haller: «Certains patients se portent mieux avec ce type de traitements. Certes, les effets ne s’expliquent pas par des causes observables au microscope ou par une radiographie, mais l’effet placebo n’est qu’une explication possible parmi d’autres.»

Ces observations empiriques cachent mal l’absence ou le peu de preuves scientifiques d’une quelconque efficacité: «Je suis opposé à toute forme d’irrationalités, martèle Beda Stadler, directeur de l’Institut d’immunologie de l’Université de Berne. Vendre un simple effet placebo revient à tromper les patients. En ce qui concerne l’homéopathie, par exemple, toutes les études prouvent que cela ne fonctionne pas. On se situe davantage dans la croyance que dans le savoir.

A l’opposé, la thérapie neurale utilise les mêmes anesthésiants que la médecine conventionnelle. La seule différence est que les tenants de ce courant osent l’injecter dans des organes comme le foie où jamais un médecin n’oserait s’aventurer.»

«Il existe encore beaucoup d’a priori sur les médecines complémentaires, constate Pierre-Yves Rodondi. Mais le vent est en train de tourner. Je sens un grand intérêt des jeunes médecins pour ces techniques et nous disposons désormais de résultats qui ne permettent plus d’accepter ou de rejeter en bloc les médecines complémentaires. Certaines pratiques fonctionnent. Par exemple, alors que la médecine conventionnelle ne parvient pas à traiter toutes les douleurs, les techniques de relaxation, l’hypnose et l’acuponcture apportent de bons résultats.»

L’effet bénéfique de la phytothérapie, lui aussi, n’est plus à démontrer. «L’écorce de saule, par exemple, est un excellent antidouleur, raconte Kurt Hostettmann, professeur honoraire aux universités de Genève et de Lausanne et spécialiste de la phytothérapie. Citée dans la médecine égyptienne et grecque, cette plante est enregistrée par Swissmedic comme médicament contre les douleurs, car elle a montré une grande efficience dans des études cliniques en double aveugle contre placebo. Elle a par ailleurs donné lieu à la découverte de l’acide salicylique, molécule à l’origine de la synthèse de l’aspirine par Bayer.»

L’acuponcture, pratique admise par l’assurance de base, a également fait ses preuves scientifiquement. Pour la thérapie neurale, ainsi que pour les médecines traditionnelles chinoise et anthroposophique, l’absence d’études scientifiques incontestables rend difficile l’appréciation de leur qualité. «La difficulté pour prouver la pertinence de ces méthodes est que les tests scientifiques traditionnels ne peuvent pas toujours s’appliquer aux médecines non conventionnelles, explique Pierre-Yves Rodondi. Par exemple, il n’est pas possible de faire des tests en double aveugle avec la méditation. Il faut donc établir de nouvelles techniques. Des chercheurs ont, par exemple, mis au point des aiguilles qui donnent l’impression aux patients d’être piqués, alors qu’ils ne le sont pas vraiment. Cela permet de tester l’efficacité de l’acuponcture.»

Pour le médecin homéopathe Pascal Büchler, les tests biologiques auront du mal à apporter une preuve que l’homéopathie est bénéfique. «La médecine scientifique valide l’effet d’un médicament sur une maladie. Mais l’homéopathie ne fonctionne pas comme ça, explique le thérapeute. Nous choisissons un composé pour un patient, et non en fonction d’une maladie. C’est une médecine individualisée. Deux patients qui ont la même pathologie, mais des symptômes différents, peuvent recevoir des traitements distincts.»

«Des recherches scientifiques de qualité et indépendantes doivent être mises en place, afin de préciser les indications et améliorer la qualité des soins, estime Pierre-Yves Rodondi. En médecine conventionnelle, les résultats des recherches influencent les pratiques. En médecine complémentaire, c’est une évolution qui doit se mettre en place en parallèle avec le développement de la recherche. La question de l’évaluation scientifique est essentielle. Cette mission nécessite d’importants moyens qui devraient être mis à disposition des scientifiques.»

Une autre question prête à débat: pourquoi avoir choisi uniquement de rembourser ces 5 méthodes, parmi les quelque 125 pratiques de médecines complémentaires recensées en Suisse? «C’est certainement le poids des lobbys, estime Pierre-Yves Rodondi. L’ostéopathie, très prisée en Suisse, pourrait aussi faire partie de la liste si l’on retient le critère de la popularité et mériterait une plus grande attention du point de vue de l’évaluation scientifique. L’hypnose, qui est utilisée au CHUV pour les grands brûlés avec de bons résultats, pourrait y prétendre également. Une étude menée dans l’hôpital vaudois a montré qu’elle diminue les frais de 19 000 francs chez les grands brûlés.»

La réduction des coûts pour le système de santé, c’est l’autre argument des partisans des médecines non conventionnelles: «Grâce à l’homéopathie, je prescris beaucoup moins d’antibiotiques, explique l’homéopathe Pascal Büchler. En termes de médication, cela représente une économie, même si mes consultations reviennent plus cher, car elles sont plus longues.» Dans son rapport, le Programme évaluation médecine complémentaire (PEK) admet que «le coût global annuel des praticiens des médecines complémentaires est nettement inférieur à la moyenne de ce qu’il est chez les médecins conventionnels». Mais ces pratiques prennent principalement en charge des jeunes et des femmes. «Corrigé de ces deux facteurs, le coût global par patient ne diffère pas de façon significative de celui observé dans la médecine conventionnelle.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.