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Chirurgie esthétique: le boom romand

large060812.jpgChaque jour ouvrable, 173 personnes passent sous le bistouri d’un chirurgien esthétique en Suisse pour corriger un nez, rehausser une poitrine, retendre la peau du visage. Et de plus en plus souvent, ces patients sont étrangers. Dans ce secteur à forte concurrence, la Suisse romande s’est imposée comme un centre mondial de chirurgie esthétique où le nombre de clients ne cesse de croître. Conséquence: les établissements se multiplient sur l’arc lémanique.

Pour ne citer qu’un exemple, le groupe Matignon, six cliniques en Suisse dont cinq en Suisse romande, est devenu le plus important client helvétique de la compagnie Allergan, producteur du Botox. Depuis le début de l’année, le groupe a utilisé ce produit pour traiter près de 1200 patients, dont 90% de femmes, «ce qui correspond à une croissance de 80% par rapport au premier semestre de 2011», note l’un de ses responsables, le docteur Roland Ney. Pour les produits de comblement, la croissance est encore plus impressionnante sur la même période: 156%.

Une formation au label de qualité suisse

Les raisons de ce savoir-faire si prisé à l’étranger? Elles sont à chercher du côté du haut niveau des formations en médecine et en chirurgie ainsi que dans «l’esprit civique et responsable extrêmement développé des Suisses», selon le docteur Sabri Derder, qui pratique à Lausanne à la clinique Matignon et opère dans les cliniques La Prairie et de Genolier: «La chirurgie esthétique demande dans l’évaluation de chaque patient un grand respect de ses intérêts. Les médecins dans notre région font tout leur possible pour rendre le patient heureux plutôt que d’essayer à tout prix de se remplir les poches, comme on le voit très fréquemment à Paris, Londres ou New York, par exemple.»

Pour le docteur genevois Pierre Quinodoz le label de qualité suisse, mondialement reconnu, s’étend à l’ensemble du pays. Il relève notamment la forte mobilité du corps médical: «Nous voyageons beaucoup pendant notre formation et n’hésitons pas à aller par exemple en Amérique du Sud, aux Etats-Unis ou ailleurs en Europe pour apprendre une technique particulière. Les chirurgiens nord-américains sont plus nombrilistes et restent davantage confinés dans les grandes villes américaines pour se perfectionner.» Il arrive même que certains chirurgiens esthétiques suisses, plus philanthropes, acceptent de partir quelques semaines dans un pays africain pour y opérer des patients mutilés ou blessés lors de conflits.

Une habitude liée selon le praticien genevois à la tradition humanitaire du pays qui abrite de longue date des institutions comme le CICR. Il rappelle d’ailleurs que le développement de la chirurgie plastique est indissociable de la guerre et que cette discipline s’est fortement développée durant les deux guerres mondiales, en parallèle à la chirurgie reconstructive.

Essentiel au bon déroulement d’une intervention, ainsi qu’à la prévention des infections, le personnel paramédical et de salle d’opération bénéficie lui aussi d’une excellente formation, notamment par le biais d’apprentissages qui n’existent «quasiment nulle part ailleurs», selon Sabri Derder. L’ensemble du corps chirurgical en Suisse romande ne provient pas uniquement de filières helvétiques. Basée à Montreux, Laclinic souligne que le nombre de chirurgiens esthétiques installés en Suisse romande — environ 80, soit l’un des niveaux les plus denses au monde — est indissociable de la libre circulation des personnes et de la reconnaissance automatique des diplômes européens. Ces diverses raisons concourent à donner à la Suisse une réputation de sécurité bien ancrée. A Laclinic, par exemple, la clientèle internationale — qui dispose souvent de liens étroits avec le pays, qu’il s’agisse d’écoles privées, de banques ou de résidences secondaires — représente le tiers des patients.

Une approche globale et des coûts variables.

En ce qui concerne le type de demandes, il varie selon l’âge (visage et cou pour les patientes et les patients les plus âgés, silhouette pour les plus jeunes), mais aussi en fonction des saisons: le visage étant plus fréquemment demandé en hiver et la silhouette davantage dès le retour des beaux jours. «Pour notre part, note Alyona Gaillard, porte-parole de Laclinic, nous suivons une approche globale du patient, en combinant des techniques invasives et non invasives et en privilégiant ces dernières lorsque c’est possible.» Par non invasif, il faut comprendre des traitements se pratiquant sans bistouri tels que les injections de comblement, le traitement par laser, ou encore la mésothérapie (lire encadré).

Bien sûr, la chirurgie esthétique représente un business très lucratif. Pour le patient, les coûts dépendent de plusieurs facteurs comme la durée opératoire, le type d’établissement et d’intervention. Une simple correction d’un lobe d’oreille déchiré peut coûter 500 francs, alors qu’une intervention plus complexe comme un lifting complet du visage et du cou chez une personne très marquée par le temps, combiné à un travail sur les paupières et des traits jugés disgracieux touchant le nez ou le menton peut atteindre 30’000 francs. «Chez une personne moins marquée, les prix pourront être très différents, précise Sabri Derder. C’est comme de demander ce que peut coûter une maison. Elle variera en fonction de ce que l’on souhaite y mettre, de sa surface, etc.»

Certains chirurgiens opèrent encore dans leur propre cabinet, d’autres dans des cadres beaucoup plus luxueux. Les frais annexes de bloc opératoire, d’hôtellerie, de soins et d’anesthésie peuvent donc facilement varier du simple au double. A titre d’exemple, une plastie d’augmentation mammaire pourra coûter entre 10’000 et 16’000 francs suivant le choix de la patiente de se rendre dans un simple cabinet ou dans une clinique répondant aux critères de qualité, de sécurité et de luxe les plus élevés. «Certains coûts, comme la formation du praticien ou du personnel soignant, ainsi que le matériel nécessaire, sont incompressibles, note cependant le médecin genevois Pierre Quinodoz. C’est la raison pour laquelle plusieurs cliniques voulant limiter les coûts au maximum ont dû fermer leurs portes.»

Une relation qui a fortement évolué

Si la bonne santé du secteur est en partie liée aux patients étrangers à fort pouvoir d’achat, la perception des Helvètes évolue elle aussi en matière de chirurgie esthétique: «Les gens sont de mieux en mieux informés par les médias et par internet, ce qui explique une certaine démocratisation des actes de nature esthétique», relève Pierre Quinodoz. Une transparence qui ne concerne toutefois pas tout le monde. Lorsqu’il s’agit de célébrités, nombreuses depuis longtemps à venir se faire opérer en Suisse, les praticiens sont tenus au plus grand secret et ne le brisent jamais de peur de perdre cette prestigieuse clientèle extrêmement pointilleuse lorsqu’il s’agit de discrétion. «Souvent, ils sont enregistrés sous de faux noms dans les cliniques afin d’éviter les fuites, poursuit le chirurgien. Seuls les médecins et quelques infirmières sont tenus au courant de leur présence.»

Cette approche plus décomplexée qu’il y a quelques années concerne donc surtout les particuliers vis-à-vis de leur entourage proche. «Les gens hésitent moins à avouer qu’ils ont eu recours à un acte de chirurgie esthétique, souligne Pierre Quinodoz. Ils ne cherchent plus des stratagèmes comme, par exemple, affirmer qu’ils ont eu recours à la chirurgie des paupières en raison d’une maladie.»
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Toxine botulique: Gare aux abus!

La substance antiride reste privilégiée par la clientèle des cliniques romandes. Son risque principal: l’excès.

Difficile de ne pas avoir en tête certains abus lorsqu’on pense à la toxine botulique, notamment le fameux effet «front figé» de quelques actrices américaines. Un effet généralement lié à un problème de dosage. «Afin d’éviter ce genre de difficultés, il faut définir la quantité juste, souligne Alyona Gaillard de Laclinic. L’objectif est d’affaiblir le tonus des muscles pour effacer des rides, tout en ne paralysant pas complètement les muscles et que le visage garde une certaine expression naturelle. Le facteur le plus important est donc le professionnalisme du médecin qui effectue les injections.»

On le sait peu, mais au-delà de l’effacement des rides, la toxine botulique peut être utilisée dans toutes sortes d’indications, parfois esthétiques, parfois médicales (le Botox est le nom du produit commercialisé par le laboratoire Allergan). On peut citer le traitement de la migraine, la transpiration excessive des aisselles et des mains, les spasmes des cordes vocales chez les personnes stressées ou victimes de tumeurs de la gorge, le strabisme et les spasmes musculaires chez les nouveau-nés à la suite d’un manque d’oxygène à la naissance.

«Ce médicament n’est ni plus ni moins dangereux que n’importe quel autre, note le chirurgien lausannois Sabri Derder. Les dosages et les indications doivent simplement être respectés, de même qu’une technique basée sur le respect de l’anatomie et de l’harmonie faciales, lorsqu’on parle d’esthétique du visage.» Les effets d’une injection s’estompent après cinq à six mois et le traitement peut être répété à raison de deux fois par an. «La qualité de la toxine est très importante si l’on ne veut pas risquer des complications ou des problèmes ultérieurs, poursuit Alyona Gaillard. Actuellement, il y a deux fournisseurs en Suisse autorisés par Swissmedic pour les indications esthétiques. Dès lors, si votre médecin achète son produit en Chine, il convient de se méfier…» Selon elle, la consommation importante en Suisse romande est indissociable des flux importants de personnes étrangères et du haut niveau de vie. L’écrasante majorité de la clientèle est féminine. Le groupe Matignon enregistre cependant une croissance de la proportion d’hommes (actuellement 10%), dont les demandes concernent principalement la zone entre les sourcils ainsi que la transpiration des aisselles. Quant à la clientèle étrangère du groupe, elle s’élève à 10% dans les cliniques de Lausanne et de Vevey.

Pour le docteur genevois Pierre Quinodoz, les principales améliorations depuis quelques années en matière de toxine botulique proviennent du type de seringues avec des aiguilles de meilleure pénétration, plus fines et parfois siliconées, ainsi que de l’utilisation de canules mousse évitant les saignements. «Il s’agit d’un acte médical car des dangers sont réels avec des contre-indications absolues telles que les maladies de la transmission neuromusculaire, l’hypersensibilité connue à l’un des composants, comme l’albumine, l’inflammation ou l’infection du site d’injection, ainsi que la grossesse et l’allaitement. Il n’existe pas d’étude contrôlée chez la femme enceinte.» D’autres contre-indications concernent les interactions médicamenteuses, notamment les médicaments anticoagulants.

En matière esthétique, la toxine botulique permet d’atténuer les rides de la mimique, principalement du front, de la glabelle (surface située entre les deux arcades sourcilières) et des pattes-d’oie. Le médecin esthétique Philippe Sillard rappelle qu’il existe deux sortes de rides. Celles de contraction situées dans le haut du visage, typiquement liées au soleil ou au travail sur ordinateur: «Les muscles se contractent et se décontractent, jusqu’au moment où ils ne se décontractent plus, comme des petites crampes. La toxine botulique agit en empêchant l’hypercontraction de ces muscles.» Les rides d’affaissement, qui concernent plutôt le bas du visage, sont le plus souvent comblées en injectant de l’acide hyaluronique, constituant naturel de la peau qui diminue avec l’âge.

Le spécialiste ajoute que le risque lié à la toxine botulique reste très faible aux doses utilisées en médecine esthétique (des doses beaucoup plus importantes sont utilisées en médecine, neurologie ou en ophtalmologie). «En ce qui concerne ma pratique, elle évolue dans le sens d’un rajeunissement des patientes», ajoute Philippe Sillard. Il n’est plus rare de voir des jeunes femmes de 25 ans demander ce type de traitement. Mais pour lui, l’âge n’est pas un critère en soi: «Soit il y a une bonne indication à la toxine botulique, soit non, quel que soit l’âge, avec un rôle intéressant de prévention de l’apparition des rides. Il faut savoir dire non, car certaines patientes en veulent toujours plus, mais cela reste marginal.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.