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Courir ou mourir

Les courses à pied de montagne sur de très longues distances connaissent un fort engouement, qui commence à toucher la Suisse. Pour les participants, il s’agit plus d’une compétition contre soi-même que contre les autres. Faut-il se lancer?

Avaler au pas de course 166 km de sentiers de montagne, dont 9’600 m de dénivelé positif, le tout en moins de 24 heures. Tel est l’exploit incongru que réalisent chaque années les favoris du légendaire Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB), la course de montagne la plus réputée du monde.

Parti de Chamonix un vendredi après-midi, le vainqueur de la dernière édition, le prodige espagnol Kilian Jornet (24 ans), était de retour le samedi, après une boucle complète à travers la France, l’Italie et la Suisse. Verdict: 20 heures 36 minutes et 43 secondes de course.

Bien que de telles performances laissent pantois, les vrais héros de l’UTMB, qui rassemble plus de 2000 participants des cinq continents, ne se trouvent pas forcément sur le podium. Ils sont 40% à abandonner l’épreuve en cours de route. Et nombreux à rallier Chamonix en 46 heures (!), le temps limite imposé par l’organisation…

Certes, parmi les courses de montagne de longue distance, communément désignées sous le terme ultra-trail, l’UTMB se veut la plus extrême du genre. Comme son nom l’indique, cette épreuve impose aux participants le tour complet du massif du Mont-Blanc. L’organisateur propose toutefois une variante «courte distance» entre Courmayeur et Chamonix (100 km de course, tout de même). Aussi excessives soient-elles, ces courses en milieu naturel font de plus en plus d’adeptes parmi les coureurs à pied, séduits aussi bien par la beauté des paysages que l’aspect aventure et l’idée de dépassement de soi.

Gérer la douleur

Mais gare justement à ne pas (trop) dépasser ses limites… «Dans ce type d’épreuve, on se fait toujours mal, admet Catherine Poletti, directrice de l’UTMB. Il faut apprendre à gérer la douleur et très bien se connaître. Sinon, on peut s’abîmer. Et la différence entre se faire mal et s’abîmer est très grande!»

Laurent Koglin, médecin du sport à l’Hôpital de la Tour à Genève, observe que les problèmes récurrents rencontrés par les ultra-trailers sont les tendinites, les fractures de fatigue ou les lésions du cartilage: «Avec de telles distances, les tendons prennent un sacré coup. Des problèmes d’arthrose font que beaucoup de coureurs doivent arrêter la course à pied très tôt.» Le spécialiste ne conseille pas la discipline à ceux qui souhaitent préserver leur santé: «On va trop loin dans les limites du corps. Il ne faudrait pas s’engager dans de telles courses plus de deux fois par an. Pour les mordus, je recommande de varier les sports durant l’année, pour éviter les usures consécutives à des mouvements répétitifs.» Beaucoup de coureurs stars de l’ultra-trail sont d’ailleurs polyvalents, à l’image de Kilian Jornet, auteur du livre «Courir ou mourir: le journal d’un sky-runner» (2011), qui pratique aussi le ski de fond et le ski alpinisme.

Malgré ces difficultés, Mathieu Girard, l’un des meilleurs ultra-trailers suisses — il a terminé 7e de l’UTMB en moins de 25 heures — et directeur du Trail Verbier/ Saint-Bernard (TVSB), estime que la préparation nécessaire à ces courses n’est pas hors norme: «Il n’est pas nécessaire de s’entraîner davantage que pour une autre compétition. On cible simplement des rythmes plus lents et de l’endurance pure. L’aspect alimentaire est extrêmement important et sa gestion nécessite beaucoup d’expérience. Les problèmes digestifs représentent une cause fréquente d’abandon. Le principal danger, c’est d’être obnubilé par l’idée d’arriver au bout. Lorsqu’on a une tendinite, il faut arrêter. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai renoncé à terminer mon dernier UTMB.»

Selon les statistiques des différents ultra-trails, la moyenne d’âge des participants se situe aux alentours de 42 ans. Mais la fourchette est très large: elle va de 20 à 80 ans. «Si les tests en laboratoire sont nettement en faveur des athlètes de 25 ans, les épreuves de longue distance mettent le mental et l’endurance à l’épreuve, explique Laurent Koglin. Ces compétences s’améliorent souvent avec l’âge et l’expérience.» Dans les ultra-trails, la proportion des femmes ne dépasse que rarement les 15%. Mais leurs résultats sont plus proches des hommes que dans d’autres disciplines, pour les mêmes raisons.

Tous les organisateurs d’ultra-trails le confirment, la discipline connaît un fort engouement, même si elle est encore loin d’être chapeautée par une fédération. Pour maîtriser les demandes de participation toujours plus nombreuses, l’UTMB a mis en place un système de sélection en plusieurs étapes. Les coureurs doivent d’abord participer à d’autres épreuves partenaires pour récolter des points qualificatifs. Ils peuvent ensuite se préinscrire pour participer à un tirage au sort. «L’an dernier, nous avons reçu 10’000 préinscriptions en quelques minutes, raconte Catherine Poletti. Nous devons toujours refuser beaucoup de monde.»

Paysages à couper le souffle

Si les ultra-trails se multiplient en France depuis le début des années 2000, ils ont mis plus de temps à s’imposer en Suisse. Mais depuis que les organisateurs du Verbier/Saint-Bernard se sont lancés en 2009 avec leur parcours de 110 km pour 7’300 m de dénivelé positif, ils ont fait beaucoup d’émules. «La Suisse comptait déjà beaucoup de courses à pied en montagne, dont certaines de légende comme Sierre-Zinal, explique Tiphaine Arthur, responsable de la communication du TVSB. Mais depuis deux ans, les trails se multiplient. Les plus longs sont le Swiss Iron Trail dans les Grisons (201 km pour 11’500 m de dénivelé positif), le Semi-Trail du Tessin (117 km pour 8515 m de dénivelé) et le Montainman de Lucerne (80 km pour 5000 m de dénivelé).»

Le Suisse Mathieu Girard explique ainsi ce qui l’attire dans les ultra-trails: «On ne court pas contre les autres, mais contre soi-même. Ces courses ont un côté aventure, on ne sait jamais si on va arriver au bout ou pas. Et l’ambiance est particulière, on a le temps de discuter avec les autres coureurs et des amitiés naissent.» Catherine Poletti de l’UTMB constate de son côté que les courses de longue distance représentent un art de vivre: «Il existe un ensemble de comportements et de valeurs propres à ces épreuves, fait de respect de soi, d’autrui et de la nature.»

Les trails qui ont le plus de succès proposent souvent un parcours exceptionnel, à travers des paysages à couper le souffle. Le Grand Raid de la Réunion fait, par exemple, traverser l’île aux participants. Mais au-delà de la beauté des environnements, beaucoup d’athlètes considèrent leur participation à un ultra-trail comme un voyage intérieur. Pour le psychologue du sport Mattia Piffaretti, les participants à ces épreuves «recherchent des expériences à la frontière de soi. Réussir ce défi va les valoriser, leur donner confiance. Le danger réside lorsque l’estime de soi-même est basse et que l’on souhaite atteindre un objectif pour se sentir exister. Il y a alors le risque de ne plus prêter attention aux signaux envoyés par le corps.»

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Les ultra-trails les plus connus

Les courses à pied de longue distance se développent un peu partout. La plupart servent également d’outil promotionnel à une région. Exemples de courses mythiques, en Suisse et dans le monde.

L’Endurance Ultra-Trail des Templiers dans les Cévennes 110 km, 4500m* – 26.10.2012

Grand Raid des Pyrénées 160 km, 10’000m* – 22.08.2012

Grand Raid de la Réunion 163 km, 9600m* – 18.10.2012

Mountainman de Lucerne 80 km, 5000m* – 18.08.2012

Trail Verbier Saint Bernard 110 km, 7300m* – 07.08.2012

Ultra-Trail du Mont-Blanc 166 km, 9400m* – 27.08.2012

Western States Endurance Run en Californie 161 km, 10’000m* – 23.06.2012

* Dénivelé positif

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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine.