KAPITAL

Le vert, prochain paradis des start-ups romandes

La Suisse regorge de PME développant des solutions innovantes dans les technologies vertes. Présentations des entreprises les plus prometteuses.

«Le secteur des cleantechs représente un fort potentiel de croissance en Suisse romande», s’enthousiasme David Avery, responsable de la plateforme Cleantech Fribourg. Selon le département fédéral de l’économie (DFE), le segment économique des cleantechs génère déjà une valeur ajoutée brute de 18 à 20 milliards de francs par an, soit 3,5% du produit intérieur brut et emploie actuellement près de 160’000 personnes en Suisse, soit 4,5% des actifs. Un chiffre qui pourrait doubler d’ici dix ans.

Source de cette croissance attendue: l’innovation. «Le niveau de la recherche et la densité des universités en Suisse représentent une source d’idées et de technologies qui émergent et émergeront dans des start-ups, explique David Avery. C’est l’atout numéro un de la Suisse.»

Ainsi, les start-ups porteuses d’innovations vertes se multiplient sur l’Arc lémanique. Fondée en 2008, la jeune pousse genevoise TVP Solar a reçu en juin 2012 à Munich le prix Intersolar — le Graal dans l’énergie solaire. Parmi les 3000 entreprises qui ont déposé leur candidature, le jury a estimé que le panneau MT-Power de l’entreprise genevoise était le produit le plus innovant de l’industrie solaire en 2012.

«Mais les cleantchs ne se résument pas aux énergies vertes, précise Jordi Montserrat, co-managing director de l’initiative Venture Kick. C’est un terme mal défini, qui ne correspond pas à un secteur en particulier. Il s’agit plutôt d’un vaste éventail de technologies qui peuvent s’appliquer à n’importe quel secteur: de l’automobile à l’informatique en passant par la gestion des déchets.»

A côté des énergies renouvelables (solaire, éolien, géothermie, etc.), les cleantechs comprennent également l’efficience énergétique, la mobilité, la valorisation de l’eau, la gestion des déchets, les écobilans… Autant de secteurs dans lesquels la Suisse compte des start-ups de qualité. Parmi les plus prometteuses, Bcomp, fondée en 2011, développe des fibres végétales brevetées capables de remplacer le carbone ou le plastique dans le matériel sportif (ski, vélo…) — un marché potentiel immense.

Dans d’autres domaines, la société Logifleet, qui emploie une quinzaine d’employés au Mont-sur-Lausanne, commercialise un système de suivi informatique en temps réel basé sur le positionnement GPS qui permet d’optimiser la gestion des flottes automobiles et d’économiser ainsi du carburant. Ecavert, basée à Bussigny, développe un mur végétal capable de filtrer naturellement les pesticides présents dans l’eau — une technologie brevetée développée par l’Hepia — et l’entreprise vaudoise BioApply commercialise des sacs de commissions biodégradables. Des innovations prometteuses mais qui ne seront pas forcément source de succès, comme le montrent les échecs retentissants des entreprises suisses actives dans l’industrie solaire.

«La Suisse est à la pointe pour ce qui est de faire émerger de nouvelles technologies ou fabriquer des prototypes, souligne Jordi Montserrat. Mais l’industrialisation de masse est très difficile à réaliser en Suisse. Dans le domaine des panneaux solaires par exemple, les entreprises suisses ne peuvent concurrencer au niveau de la production des pays tels que la Chine. Pour s’en sortir, les entreprises doivent se concentrer sur les composants à forte valeur ajoutée, des solutions complexes ou sur l’assemblage de différentes technologies construites en masse à l’étranger.»

«L’industrialisation reste possible en Suisse, comme on le voit dans les secteurs de l’horlogerie, de la pharmacie et des micro-technologies, tempère David Avery. Mais elle peut se faire uniquement pour des produits à haute valeur ajoutée. Les cleantechs suisses qui arriveront à se positionner sur ce créneau connaîtront le succès.»
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Green Motion: des bornes pour faire le plein

Année de fondation: 2009
Nombre de collaborateurs: 10
Lieu: Lausanne (VD)

Après la Grande-Bretagne, la France! L’entreprise lausannoise Green Motion, spécialiste des infrastructures de recharge pour véhicules électriques, vient d’ouvrir une unité de production et de R&D à Grenoble, ainsi qu’un bureau commercial à Paris. «Notre objectif est d’occuper le terrain avant que la concurrence arrive sur le marché, souligne François Randin, cofondateur de l’entreprise. Nous pensons que les premiers acteurs auront un avantage décisif lorsque l’activité va se développer. Aujourd’hui, le marché est petit, mais nous sommes pionniers.»

Fondée en 2009, Green Motion commercialise des bornes de recharge pour véhicules électriques. «Un marché pas encore mature», mais qui ne peut que se développer. «Le remplacement des voitures thermiques par des électriques est une conversion sûre, mais lointaine, estime François Randin. C’est pourquoi mon business modèle est pessimiste. J’estime que 2% du parc automobiles sera électrique à l’horizon 2015 et 3,5% en 2020. Une telle croissance devrait nous permettre de doubler notre personnel d’ici fin 2013.»

«Actuellement, nous avons installé 57 bornes en Suisse romande pour 25 clients, uniquement des entreprises et des collectivités. Nous sommes dans une phase où nous gagnons principalement de l’argent en vendant ces bornes — qui coûtent jusqu’à 22’000 francs l’unité – mais à terme, c’est l’abonnement à notre service qui constituera l’essentiel de notre chiffre d’affaires.»

Car en plus de commercialiser des bornes de recharge, Green Motion vend surtout une suite de logiciel, permettant d’accéder à quasi toutes les bornes présentes en Suisse romande, de savoir lesquelles sont disponibles, d’en réserver une et de régler ses factures. «Les abonnés payent une carte annuelle de 49 francs par an. A terme, toute recharge sera payante et facturée via ce système. Mais pour l’instant, les municipalités et les entreprises qui possèdent des bornes offrent l’électricité.» Un montant peu prohibitif tant le nombre de véhicules électriques demeure marginal en Suisse romande.
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Grove Boats: tour du monde en bateau solaire

Année de fondation: 2010
Nombre de collaborateurs: 4
Lieu: Yvonand (VD)

Dans le petit hangar de construction de bateaux d’Yvonand, Marc Wüst ingénieur chez Grove Boats, est intarissable devant le dernier né de l’entreprise: un petit bateau, fonctionnant entièrement à l’énergie solaire, capable de nettoyer les zones portuaires et de baignades. «Les lacs suisses qui sont très propres n’ont pas besoin d’un tel appareil, mais je pense qu’il existe un potentiel pour ce bateau dans les marinas des villes balnéaires de la Méditerranée, où les déchets s’accumulent à la surface de l’eau. Ce désagrément fait fuir les touristes. Avec notre bateau, il est possible de récupérer les bouteilles, les mégots, les sacs en plastique… tout ce qui flotte à la surface de l’eau et cela avec la tranquillité d’un bateau solaire non polluant.»

Fondée en 2010 par des ingénieurs de l’entreprise MW Line, pionnier du bateau solaire disparu un an plus tôt, Grove Boats produit des embarcations électriques fonctionnant à l’énergie du soleil. A l’intérieur d’un modèle, Marc Wüst montre les moteurs électriques, les imposantes batteries et surtout les panneaux solaires qui recouvrent l’ensemble du toit. «Tous nos navires sont prévus pour pouvoir naviguer huit heures par jour — même s’il n’y a pas de soleil – à une vitesse de 10 km/h environ, contre 25 pour les bateaux de la CGN par exemple», se félicite Marc Wüst. L’entreprise propose quatre modèles: trois destinés au transport touristique (de 12 à 85 passagers) et un pour le nettoyage des côtes. «Nos prix sont environ 30% plus chers que ceux des bateaux à essence», précise Guy Wolfensberger, directeur de Grove Boats. Cette différence s’explique par la production à l’unité de nos bateaux, mais ce surcoût peut être absorbé en 5 ans, en fonction du prix du pétrole.»

«Actuellement, six de nos bateaux naviguent sur le Léman. Nos principaux clients sont des exploitants touristiques ou hôteliers dans des villes européennes comme Lausanne, Lyon ou encore Saragosse et des parcs naturels comme la Grande Cariçaie (Yverdon) ou la Haute-Sûre (Luxembourg).» Si la demande n’est, pour l’instant pas très importante — l’entreprise a un objectif d’une demi-douzaine de bateaux sur les deux prochaines années, Grove Boats s’attend à des jours meilleurs à moyen terme: «De plus en plus de lacs ou de parcs naturels interdisent la circulation de bateaux thermiques en raison d’une pollution potentielle aux hydrocarbures. Nos modèles sont alors une solution de choix pour les remplacer, d’autant qu’ils ne font aucun bruit — idéal pour observer la faune et la flore. Par ailleurs, tant le prix croissant du baril de pétrole que les demandes du grand public pour des bateaux propres rendent nos bateaux incontournables pour nos clients.»
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Biotec: des rivières réinventées

Année de fondation: 1980
Nombre de collaborateurs: 20
Lieux: Delémont (JU) et Lyon (France)

Si on ne savait pas qu’il s’agit de la même rivière, on ne la reconnaitrait pas. La revitalisation de l’Aire, récompensée par le Grand prix Schulthess des jardins en 2012, a totalement transformé les contours de la rivière genevoise: finis les rebords en béton, place à une végétation foisonnante seulement troublée par le murmure des insectes et autres petites bêtes. «Jusque dans les années 1980, beaucoup de cours d’eau ont été massacrés, rappelle Bernard Lachat, fondateur et directeur de Biotec. Les ingénieurs agissaient toujours de la même façon et de manière musclée en comblant les rives avec du béton ou de gros blocs de pierre.»

Choqué de voir un tel gâchis, Bernard Lachat, biologiste de formation, fonde en 1980 l’entreprise Biotec avec son épouse. «Aujourd’hui, la revitalisation des rivières semble normale pour tout le monde. Mais le début a été très difficile. Les ingénieurs civils, qui ne comprenaient rien aux plantes, nous sont tombés dessus. J’ai dû me former aux sciences de l’hydraulique afin de les convaincre que les systèmes racinaires des plantes peuvent mieux stabiliser le sol et les berges que les enrochements.»

Le déclic tant attendu dans les mentalités ne s’est pas produit en Suisse, mais en France. «Le ministère de l’environnement français a publié un livre sur le génie biologique en rivière que nous avions écrit et l’a diffusé dans toutes les administrations, se souvient Bernard Lachat. A partir de ce moment-là, la demande est devenue forte en France.» Un succès tel qu’aujourd’hui «nous restons plus connus en France qu’en Suisse!»

Enlever le béton des berges des rivières présente plusieurs avantages: «Les végétaux sont vivants. Ils freinent le courant et stabilisent de mieux en mieux la berge au fur et à mesure qu’ils poussent. Au niveau écologique, cela permet par exemple de recréer des milieux naturels et de favoriser la biodiversité. Le paysage est aussi un élément important, comme on le voit sur les bords de l’Aire, où beaucoup plus de personnes viennent se détendre maintenant que les berges sont revitalisées.»

Néanmoins, la revitalisation des rivières ne peut s’adapter à tous les sites: «Certains cours d’eau doivent être traités, au moins partiellement, avec du génie civil», concède Bernard Lachat. Ce qui ne l’empêche pas de vouloir travailler sur de grands projets: «Nous aimerions participer à la troisième correction du Rhône. Je pense que nous aurions beaucoup de choses à apporter sur ce projet.»

Industrie solaire: la traversée du désert
De nombreuses nouvelles technologies photovoltaïques sont nées en Suisse. Mais les entreprises innovantes qui les développent souffrent terriblement de la chute de la demande en panneaux solaires.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.