LATITUDES

Les branchés de l’acrobranche

Avec Altitude Montagne et Parc Aventure, deux Vaudois se sont spécialisés dans la conception, la réalisation et la gestion de parcs de loisirs. Ils exportent désormais leur savoir-faire jusqu’en Inde et aux Etats-Unis.

L’odeur des arbres, l’adrénaline d’évoluer à vingt mètres de hauteur, le plaisir de s’élancer sur une tyrolienne: les parcs aventures se sont progressivement fait une place dans les loisirs des Suisses depuis une dizaine d’années. Associant plein air, activité physique et adresse, ces installations qui tissent des réseaux de centaines de câbles, de cordes et de filets dans les forêts ont séduit les familles, les sportifs, mais également les entreprises et les écoles.

A la base de ce succès, deux entrepreneurs passionnés par les activités extérieures, qui ont su flairer un bon filon et développer un savoir-faire spécifique. «Nous avons construit notre premier parc à Aigle en 2001, raconte Jean-Claude Hefti, co-fondateur de l’entreprise Parc Aventure avec Thierry Chevalley. A l’époque, nous avions découvert ce concept en France et avions décidé de le développer en Suisse.» Auparavant déjà actifs dans le tourisme, avec une entreprise d’exploitation spécialisée dans les pistes de luges et le canyoning pour Jean-Claude Hefti et une école de ski pour Thierry Chevalley, les deux vaudois créent leur PME en 2001 à Aigle. Ils apprennent les techniques de construction de parcs sur le tas. Jean-Claude Hefti prend en charge la partie technique et la construction, alors que Thierry Chevalley s’occupe de l’aspect commercial. Rapidement, les commandes affluent de toute la Suisse romande: Charmey (FR), Signal de Bougy (VD), Zermatt, Sion, Neuchâtel, Payerne… Du côté alémanique, le boum arrive plus tard, mais il est également important. «En dix ans, nous avons construit plus d’une trentaine de parcs aventure, poursuit Jean-Claude Hefti. La courbe de croissance a été phénoménale. A un moment donné, chaque station souhaitait son parc. Seuls sur ce marché, nous n’arrivions pas à répondre à la demande.» Actuellement, une entreprise grisonne s’est également spécialisée dans le secteur. «Mais il y a assez de place pour tous et nous collaborons en nous échangeant des employés.» Un parc aventure coûte entre 250’000 et un million de francs, suivant sa taille et le nombre de jeux. Sa conception et sa construction prennent de quelques semaines à plusieurs mois. «Nous employons des charpentiers, des spécialistes des cordes et des travaux acrobatiques», explique Jean-Claude Hefti.

Dès le départ, Parc Aventure se spécialise aussi dans la gestion des parcs qu’elle construit, ce qui nécessite un autre personnel et d’autres compétences. «Nous gérons les parcs d’Aigle, de Sion et du Signal de Bougy, raconte Thierry Chevalley. En 2011, nous avons décidé de séparer nos activités de construction de celles de gestion, en créant l’entreprise Altitude Montage pour la conception des parcs. Nous l’avons fait pour des raisons pratiques et juridiques: les compétences des deux secteurs sont très différentes et s’il devait y avoir un accident dans un de nos parcs, nous ne voudrions pas que la partie construction soit affectée.» Jean-Claude Hefti dirige donc Altitude Montage, qui compte actuellement 7 employés. Et Thierry Chevalley a repris Parc Aventure et ses 30 employés. «Mais nous collaborons toujours étroitement dans tous les domaines», précise Thiery Chevalley.

L’une des raisons qui a également poussé les patrons à séparer leurs activités vient du développement international. En effet, ils construisent des parcs aventure à l’étranger depuis 2007. «C’est grâce au succès de notre parc du Signal de Bougy que nous avons eu ces opportunités, raconte Jean-Claude Hefti. Situé entre Lausanne et Genève, il attire une clientèle internationale qui nous a mis en contact avec des promoteurs de parcs dans d’autres pays.» C’est ainsi que le savoir-faire de la PME aiglonne a été exporté en Turquie, en Inde, en Roumanie, au Portugal, en Argentine, aux Etats-Unis, puis récemment au Panama. «Actuellement, 90% de notre chiffre d’affaire est réalisé grâce aux parcs aventure, dont 40% avec ceux que nous développons à l’étranger, poursuit Jean-Claude Hefti. Nous n’exportons pas notre savoir-faire dans la gestion des parcs, mais uniquement dans la construction. Nous avons plusieurs formules en fonction du client: soit nous réalisons uniquement les plans du parc, ou nous envoyons nos équipes sur place, qui collaborent avec du personnel local pour la construction. Parfois, nous vendons également du matériel car dans certains pays, comme en Inde, il est impossible de trouver des câbles ou des cordes d’assez bonne qualité.» Aux Etats-Unis, les entrepreneurs vaudois touchent même des royalties sur les plans de certains de leurs parcs, car un promoteur local les réutilise pour développer de nouvelles installations.

N’ont-ils donc pas pensé à développer une franchise? «C’est un peu compliqué dans notre domaine, estime Thierry Chevalley. On ne peut pas breveter le fait de jouer dans les arbres et nous ne sommes pas seuls sur ce marché. Aux Etats-Unis, nous avons conclu un accord de privé à privé, mais qui n’est pas une franchise.» Dans tous les cas, les deux entrepreneurs considèrent leur secteur comme très rentable et leurs affaires en croissance. «Avec un prix d’entrée de 40 francs pour les adultes et de 15 francs pour les enfants, les parcs aventures ont atteint leur rythme de croisière en Suisse. Nous faisons actuellement environ 100’000 entrées annuelles. Le grand avantage que nous avons est que notre période d’ouverture est longue (d’avril à octobre) et que nous sommes nettement moins tributaires de la météo que d’autres activités à l’extérieur comme les piscines: nous restons ouverts lorsqu’il fait froid et qu’il pleut. Ce n’est qu’en cas de violents orages ou de rafales que nous devons fermer.» Quant à la construction des parcs, elle se poursuit en Suisse comme à l’étranger. «Il y a encore beaucoup de projets du côté alémanique et dans les villes, ajoute Jean-Claude Hefti. Nous venons par exemple de terminer un parc à Kloten, à côté de l’aéroport.»

Malgré leur réussite, les patrons restent prudents. «Nous avons connu un période de forte croissance des parcs aventure en Suisse et forcément, la courbe commence à fléchir un peu, constate Thierry Chevalley. Il y a encore de la place pour quelques projets, mais il n’est ni utile ni sain d’avoir trop de parcs. En France il y a plus de 1000 parcs et ils ne sont de loin pas tous rentables car c’est trop. C’est un peu comme pour les stations de ski: s’il y en a trop, les petites ne sont pas assez rentables mais elles grignotent des parts de marché aux autres. De fait, les parcs les plus rentables sont les mieux situés et les plus grands. Il vaut mieux faire 50’000 entrées annuelles avec 5 grands parcs qu’ avec 20 petits.»

S’il reste de la place en Suisse pour des nouveaux projets, il semblerait que la période d’euphorie soit terminée. «Mais nous avons une nouvelle niche dans la rénovation et l’amélioration des structures existantes, poursuit l’entrepreneur. Nous avons par exemple mis au point un système de sécurité appelé “Ligne de vie” qui empêche qu’un client ne décroche ses deux mousquetons en même temps et se retrouve sans aucun assurage à 20 mètres du sol. Cela permet davantage de plaisir et de sécurité. Avant, il fallait tout de même un peu de concentration, ce qui pouvait générer du stress lorsqu’un adulte était responsable d’un groupe d’enfants.»

C’est avant tout à l’étranger qu’Altitude Montage dispose d’un grand potentiel de croissance. «Mais nous n’acceptons pas trop de chantiers à la fois car nous tenons à maintenir notre niveau de qualité et de sécurité. Nous ne souhaitons pas non plus engager trop de personnel fixe et travaillons beaucoup avec des freelance car occuper nos collaborateurs entre deux chantiers reste un souci.» Pour diversifier ses activités, l’entrepreneur a ouvert un magasin d’équipements de sécurité spécialisés à Aigle et construit également des Via Ferrata, des passerelles et des cabanes. «Pour l’instant, cela ne représente qu’une petite partie de notre chiffre d’affaire.»

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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.