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Une Suisse sans paysans ni centrales nucléaires

Le plan de sortie du nucléaire et la fin de la prime à la tête de bétail dessinent le futur immaculé d’une Suisse de conte de fée. Pas sûr que cela fasse très envie.

Une Suisse sans paysans ni centrales nucléaires, à quoi cela pourrait-il ressembler? C’est ce futur cauchemardesque qui empêche depuis quelques jours nombre de braves gens de dormir. Même si chacun se contente en somme d’une demi-hantise: il semblerait impossible de regretter en même temps les centrales nucléaires et les paysans. On pleurerait sur la disparition des unes ou des autres, pas sur les deux.

Sauf qu’il ne s’agit pas de la disparition de n’importe quels paysans, pas de la disparition de tous les paysans. Non seulement des méchants, des mauvais. En un mot: des paysans «productivistes» auxquels il sera désormais demandé de viser la qualité plutôt que la quantité, et de se trouver si possible des «revenus annexes» et même d’occuper «des niches». De là à se sentir traiter comme des chiens…

En double cause donc le projet mis en consultation par Doris Leuthard concernant la sortie du nucléaire, et la suppression dans la nouvelle politique agricole 2014-2017 de «la prime à la vache», laissant place à des paiements directs plus ciblés, au lieu des anciennes contributions par tête de bétail.

Deux évènements qui ont eu pour effet fulgurant de produire deux nouvelles catégories de politiciens: les nostalgiques de l’atome d’abord — tout à fait capables de former une majorité au parlement et de dresser une ceinture démocratique autour de cette chère industrie nucléaire si injustement décriée. Et d’en appeler très probablement au peuple — lequel pourrait bien avoir autant peur de perdre son confort électrique que de voir une vieille centrale exploser.

Economiesuisse a ainsi déjà prévenu: «Nous estimons que la population, à qui l’on demande son avis sur l’interdiction de la fumée passive ou des résidences secondaires, doit se prononcer sur un enjeu aussi important que la sortie du nucléaire». Argument tout de même difficile à réfuter.

Les nostalgiques de la vache ensuite — nettement moins armés, eux: on n’est plus à l’ère où les révolutions se faisaient à la pique et à la fourche. Et puis tout productivistes qu’ils se revendiquent, les paysans n’appartiennent plus depuis longtemps au monde de l’économie — trop de subventions. Economiesuisse en tout cas n’est pas monté au créneau pour défendre ces producteurs-là.

La recette de la fée Leuthard pour dire bye-bye au nucléaire est donc désormais sur la table: davantage d’économies d’énergie, plus de renouvelables, moins de mauvaises habitudes. Chacun paraît appelé à mettre une louche d’eau froide dans son goûteux pinard énergétique: propriétaires, consommateurs, sociétés électriques…

Concernant la vache, une majorité s’est dégagée au Conseil national pour estimer qu’il devenait un peu absurde de continuer avec un système ayant abouti à ces deux maux supposés: la surproduction laitière et l’intensification de l’élevage.

Sauf qu’évidemment les paysans l’ont plutôt mauvaise: plus encore qu’aujourd’hui les paiements directs les mettront dans une situation humiliante. En les obligeant notamment à ne plus vivre de ce qu’ils produisent, mais plutôt de tâches d’entretien du paysage et d’activités diverses, d’essence environnementale, pour lesquelles ils n’ont aucun goût mais auxquelles la Confédération entend désormais réserver l’essentiel de la manne.

Le problème, c’est que les paysans ne sont pas nés jardiniers ni paysagistes, ni, comme ils l’ont dit eux-mêmes avec sarcasmes, «poseurs de géraniums», mais qu’ils sont nés, bêtement, paysans.

Si l’on résume: des paysages entretenus au cordeau, du bétail rare mais heureux et disposant de champs et d’une Alpe immaculés; une population pauvre — saignée par la fiscalité écologique, pour compenser la part du nucléaire que les énergies renouvelables n’arriveront pas à remplacer — mais riche désormais d’un air pur comme jamais, sans plus de risque de radiations ni d’affreux déchets à enfouir.

Tiens voilà que la Suisse du futur se met soudain à ressembler au joli pays de Heidi. Un cauchemar qui en vaut bien un autre.