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Les Suisses règlent désormais leurs conflits au tribunal

Le marché des protections juridiques privées est en forte croissance. Dans une société de plus en plus procédurière, les citoyens cherchent à se protéger. Et judiciarisent le moindre différend.

Une augmentation de loyer injustifiée, un mauvais certificat de travail ou l’assurance maladie qui refuse de payer une grosse facture: ces situations terrorisent la majorité des Suisses. Pour tenter de s’en prémunir, ils sont de plus en plus nombreux à contracter une assurance de protection juridique privée. «Il s’agit d’un marché en pleine croissance, confirme Moreno Volpi, porteparole du TCS, qui a vendu plus de 35 000 polices de son offre Assista l’an dernier. Les prix de ces produits se sont démocratisés et les gens deviennent de plus en plus procéduriers.»

Plusieurs nouveaux acteurs, comme la compagnie Protekta et son assurance juridique We Club, se sont d’ailleurs récemment implantés sur ce marché: «Nous proposons une assurance juridique privée depuis le printemps dernier, explique Laurent Jaquier, de We Club. Nous nous sommes lancés pour répondre à une forte demande de notre clientèle et pensons que le secteur possède un gros potentiel en Suisse.»

Valérie Muster, juriste à la Fédération romande des consommateurs, constate de son côté que les particuliers souhaitent davantage obtenir des renseignements sur ce type d’assurance: «Les gens se parlent de moins en moins, surtout dans les milieux urbains, et les conflits sont plus rapidement amenés devant les tribunaux. On n’accepte plus de se laisser faire, que ce soit face à son propriétaire ou à son employeur.»

Est-ce vraiment utile de contracter une assurance de protection juridique privée? «Il ne s’agit pas d’une assurance vitale, mais nous ne la considérons pas comme un mauvais investissement, commente Valérie Muster. Elle défend l’employé, le consommateur, le locateur, le patient ou l’assuré, dans des domaines où les litiges sont de plus en plus nombreux. Et il suffit d’une fois pour se rendre compte que dès que l’on pousse la porte d’une étude d’avocat cela peut coûter des milliers de francs.» L’avocat spécialiste du droit du travail à Lausanne, Rémy Wyler, considère également les assurances juridiques comme utiles, «en particulier dans le domaine des rapports de travail. Elles le sont non seulement pour les employés, mais également pour les PME. Leur support juridique représente un service bienvenu, qui permet parfois de désamorcer un conflit au moyen d’une simple lettre et d’éviter que les choses ne s’enveniment jusqu’au tribunal.»

Le spécialiste ajoute qu’il est primordial qu’une assurance juridique permette le libre choix de l’avocat pour qu’elle soit efficace: «Le droit du travail s’est beaucoup complexifié ces dernières années et il est préférable d’être défendu par un avocat qui connaisse bien ses rouages.»

Sur le marché des assurances de protection juridique privées, on observe de grandes disparités d’une offre à l’autre. En plus de différences quant au libre choix de l’avocat, une prime annuelle pour une personne seule varie de 175 à plus de 400 francs. «Et les offres les plus chères ne sont pas forcément les meilleures», note Valérie Muster. La juriste conseille de bien vérifier l’étendue de la couverture proposée et les restrictions. «Il faut aussi veiller à ce que les domaines couverts correspondent à sa situation: la plupart des assurances ne sont en effet pas utiles pour les propriétaires ou les indépendants, qui auront besoin de produits spécifiques.» Le consommateur doit aussi prendre garde à la multiplication des assistances: en étant affilié à un syndicat ou en possédant une carte Visa, il est certainement déjà couvert dans certains domaines.

Surtout, il ne faut pas attendre des miracles de ces protections: «Nous soutenons un employé qui souhaite attaquer son patron pour de justes motifs et si les chances de succès sont raisonnables, souligne Dominique Charmillot, avocat et chef des services des sinistres pour la Suisse romande et le Tessin chez Assista TCS. Mais dans le cas où l’employé a commis manifestement une faute grave et un sinistre, la couverture peut lui être refusée.»

Et toutes les assurances n’hésitent pas à résilier le contrat de leurs assurés qui connaissent des sinistres juridiques à répétition.

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.