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Quand le Net devient une drogue

L’histoire est devenue une légende urbaine. A Rome, un fanatique d’Internet a dû être hospitalisé après avoir surfé sans interruption durant trois jours et trois nuits. Un exemple extrême de dépendance au Net. En Suisse, il y aurait 50’000 personnes concernées par le phénomène, soit 3% de la population branchée sur le réseau. Mais selon d’autres études, plus alarmistes, la proportion de «toxicos» du web pourrait grimper jusqu’à 12%.

«On est dépendant à partir du moment où ce que l’on vit sur Internet prend davantage d’importance que la vie réelle», explique Franz Eidenbenz. Ce psychologue du bureau de conseil «Offene Tür» a fondé à Zurich le premier groupe de rencontre pour les drogués du Net. Une demi-douzaine de personnes se voient tous les quinze jours. Leur objectif: maîtriser leur utilisation compulsive d’Internet.

«Le phénomène touche des entrepreneurs, des personnes sans travail ou des mères de famille. Les gens concernés n’arrivent plus à contrôler leur relation avec Internet. Ils dorment de moins en moins. Ils se nourrissent mal, abusent de stimulants comme la caféine et négligent leurs proches», poursuit Franz Eidenbenz. Lorsqu’un toxico ne peut pas se connecter, il devient nerveux et éprouve un sentiment de vide. Des symptômes de manque.

Ce sont souvent les «chat-rooms», ces espaces de communication virtuels en direct, qui intoxiquent les internautes. Les utilisateurs ont là des rendez-vous fixes avec des «amis» qu’ils ne verront jamais. Les rencontres sont incroyablement faciles et flatteuses. Tout le monde discute avec tout le monde. On dit de soi uniquement ce qu’on veut. «Ce genre de contacts peut passer pour idéal, surtout lorsqu’on se sent seul ou incompris. Mais en se réfugiant sur le réseau, la personne s’isole encore plus», relève Franz Eidenbenz.

Le groupe d’entraide zurichois s’est inspiré d’un modèle allemand, créé au printemps 1999 par une cybertoxicomane maintenant guérie. La fondatrice en était arrivée à préférer le «chat» on-line à la compagnie de sa fille. Se sentant délaissée, l’adolescente s’éloignait de sa mère, qui se sentait à son tour rejetée. Une situation qui peut déboucher sur une crise grave si personne ne rompt le silence.

Organisé par Offene Tür, le premier congrès suisse consacré à la dépendance à Internet aura lieu le 7 septembre, à Zurich. En Europe, le phénomène commence maintenant à faire l’objet d’études. En Allemagne, des scientifiques de l’Université Humboldt, à Berlin*, ont lancé une recherche sous la direction du professeur Matthias Jerusalem pour identifier les facteurs de risque de dépendance au réseau.

Si le thème est neuf sur le Vieux Continent, la dépendance à Internet est déjà un lieu commun aux Etats-Unis. On parle de «Internet Addiction Disorder» (IAD). Le New York Times a évoqué le problème pour la première fois en 1995, à un moment où l’Europe ignorait encore en grande partie l’existence de la toile. La littérature américaine compte son lot d’ouvrages sur le sujet. Le plus connu est «Caught on the Net», de Kimberley Young.

Les différents auteurs ont répertorié une série de symptômes. Perdre la notion du temps une fois que l’on est connecté sur le réseau. Nier que l’on passe trop de temps sur Internet. Vérifier sans arrêt le contenu de sa boîte aux lettres électronique. Penser que l’on a créé le meilleur site du monde. Se connecter subrepticement au réseau lorsque l’on se retrouve seul chez soi, avec un sentiment de soulagement.

Une simple recherche sur le web à partir des mots clé «Internet Addiction» fait apparaître une foule de sites, pour la plupart américains. Il y a là des associations, des groupes de soutien, des espaces de discussion, des témoignages, des études universitaires… Enfin, tout ce qu’il faut pour se retrouver définitivement… accro.

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*Bureau de conseil psycho-social, «Offene Tür»: 01/202.30.00