LATITUDES

La peur de poser des questions

Qui n’a pas renoncé à poser publiquement une question au terme d’un exposé? Désormais, même
les timides peuvent se lancer grâce à une application smartphone.

Au terme d’une conférence, d’un débat publique, d’un cours académique ou de toute autre manifestation publique, le conférencier s’inquiète le plus souvent de savoir s’il y a encore des questions dans la salle. Et là, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.

Après quelques secondes se manifestent divers profils de questionneurs. Prompts à réagir, on relève les insupportables qui s’écoutent parler, exposent leur savoir et tardent à poser une question souvent inintéressante. Quelques fortes personnalités, genre politiciens en campagne électorale, tiennent elles à se faire remarquer et congratulent le conférencier pour la qualité de ses propos. Des inattentifs se ridiculisent avec une question dont la réponse était contenue dans l’exposé. Des malintentionnés veulent à tout prix relever une faille dans le raisonnement tenu. Enfin, dans le meilleur des cas, de rares mains se lèvent et posent la question pertinente que tout le monde avait sur le bout de langue sans oser la formuler à haute voix.

Chacun n’est pas doté des compétences propres aux intervieweurs professionnels. Ainsi, le préféré des Romands, Darius Rochebin doit notamment sa longévité à son art de poser des questions impertinentes. Quant à Bernard Pivot, ce lanceur de points d’interrogation hors pair, il vient de publier «Oui, mais quelle est la question?», un roman très autobiographique. Le journaliste français, atteint d’une «questionnite incurable», y narre les bénéfices et les revers de cette pathologie rare.

«Au lycée, je n’hésitais pas à interrompre un professeur pour lui demander une précision, pour lui soumettre une réflexion ou pour lui proposer une variante. Certains s’en irritaient, d’autres s’en accommodaient, d’autres encore m’en félicitaient (…) Mon interventionnisme pendant les cours suscita chez mes camarades de la jalousie ou de l’ironie. Cette mauvaise réputation fut la première conséquence fâcheuse de mon entrée dans le monde chatoyant des questions», confesse l’animateur culte de l’émission littéraire «Apostrophes».

Si chacun connaît la brillante carrière de Pivot, on ignorait jusqu’à cette parution ses déboires sentimentaux imputables à sa logorrhée questionneuse. Le malheureux semble avoir connu maintes compagnes qui se lassaient, puis s’irritaient d’être questionnées en permanence avant de quitter la couche de ce «pollueur intellectuel nocturne». Pas question pour elles d’assumer, dans leur vie intime, le rôle d’interviewée.

Micheline Calmy-Rey, dans un autre contexte, se dit elle rassurée d’être questionnée. L’ancienne présidente de la Confédération enseigne depuis peu à l’Université de Genève. Stressée avant son premier cours, elle a confié par la suite son soulagement: «Je suis très contente du fait que les étudiants ont posé beaucoup de questions» (Le Matin Dimanche, 30.9.12). Un succès d’autant plus méritoire que la politicienne n’a pas eu recours à «SpeakUp» qui facilite la pose de questions. Une nouvelle application maïeutique.

SpeakUp, ou, en français, parler plus fort, est une application mobile mise au point par des chercheurs du département des systèmes d’information de l’Université de Lausanne. Elle est disponible depuis cet automne et se télécharge sur iPhone, gratuitement. Une version Androïd devrait sortir sous peu.

L’application permet de créer très facilement une classe virtuelle. Dès lors, dans un périmètre d’environ cent mètres, tous les utilisateurs verront la nouvelle entrée. Si, lors du cours bien réel qui suivra, quelqu’un souhaite poser une question, il peut le faire via l’application. Son intervention apparaîtra dans la classe et sera visible par tous ses membres.

Les membres introduisent un + ou un – pour garantir la pertinence de la question. Ainsi, ce sont les questions les mieux notées qui se positionnent en tête de liste. Un regard du conférencier sur celles-ci au terme de son cours lui permet de relever les points demeurés obscurs et de les clarifier. Ce nouveau dispositif ne laisse pas le corps professoral indifférent. Alors que défenseurs et détracteurs débattent, côté étudiants, on questionne le bien fondé du questionnement.