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La pauvre nostalgie d’Ecopop

L’initiative prônant de limiter sur fond vert la croissance de la population étrangère en Suisse se défend de toute xénophobie. Sauf qu’en politique c’est rarement l’intention qui compte.

Eco c’est à voir, pop c’est encore moins sûr. Tel est pourtant le nom de l’association ayant lancé l’initiative déposée vendredi dernier à Berne munie de 120’000 signatures. Un texte intitulé «Halte à la surpopulation» et dont le but, on le sait, est de limiter à 0,2% par an la croissance annuelle de la population due à l’immigration en Suisse. Mais pas seulement, puisqu’il y est stipulé, dans la foulée, que la Coopération au développement devrait consacrer 10% de son budget au contrôle des naissances dans le tiers-monde.

Associer dans une même visée la Suisse et le tiers-monde, ce n’est pas là la moindre contradiction d’une initiative qui semble cumuler comme rarement les tête-à-queue. Il faut dire qu’elle émane d’un groupe d’intellectuels suisse-allemands — un double handicap, persiffle-t-on déjà avec lourdeur au café romand du commerce. Un groupe qui existe en réalité depuis 1971 et sous le nom d’Ecopop depuis 1986. A l’origine il s’agissait de combattre les effets pervers présumés pour l’environnement d’une triple croissance: économique, démographique et consumériste.

Le mouvement dirigé aujourd’hui par Albert Fritschi, un économiste de l’EPFZ à la retraite, compte pour principal fer de lance Benno Büeler, mathématicien quadragénaire, fils de paysan bâlois, élevé au végétarisme et dans la détestation de Kaiseraugst et qui ne dédaigne pas de jouer aujourd’hui le rôle ingrat du prophète de malheur. «La Suisse risque de devenir une seule grande ville, sans nature et avec beaucoup de misère.»

De ce côté-ci du Röstigraben, Ecopop s’est attiré surtout le soutien des habituelles grandes gueules du combat environnemental, comme Franz Weber et Philippe Roch. Des gens certes peu soupçonnables de nationalisme obtus mais guère rebutés tout de même par les relents xénophobes qui semblent flotter autour de ce texte.

Philippe Roch salue ainsi dans Le Temps «une initiative qui ouvre un débat tabou jusqu’ici». Et de dégainer une série de statistiques joliment apocalyptiques: alors que la Suisse consomme déjà «trois fois ce que son territoire peut produire», un «excédent de 80’ 000 personnes» s’y installent chaque année.

Limiter la croissance de la population étrangère à 0,2% par année ramènerait ainsi ce nombre à 16’000 nouveaux arrivants. Et tant pis si dans ce contexte le mot excédent, comme on dirait un excédent de chasselas vaudois, peut sembler mal choisi.

Philippe Roch a l’honnêteté de reconnaître la part de nostalgie qui l’anime et anime sans doute la plupart des initiants. Nostalgie de «la Suisse magnifique des années 50, de l’espace et des paysages». Que la nostalgie soit un beau et noble sentiment, un puissant moteur de création artistique, nul ne le contestera. Qu’elle ait réussi, ne serait-ce qu’une fois dans l’histoire, à produire la solution à un problème concret et réel, semble beaucoup plus douteux. Même si on peut se gausser du creux slogan de campagne d’un Obama — «Forward!» –, qui songerait à se ranger sous une bannière qui proposerait «Marche arrière toute!»?

Quant à la xénophobie latente de ce texte, Philippe Roch l’écarte d’un hautain revers de manche en se proclamant «citoyen du monde» et en lâchant cet aveu: «J’adore les étrangers». Ce qui est à peu près aussi bête et sans signification que «je déteste les étrangers».

Les partisans d’Ecopop rejettent certes l’initiative assez similaire de l’UDC contre l’immigration massive, au prétexte que les blochériens n’ont eux pas le plus petit souci environnemental derrière la tête. C’est oublier qu’en politique les intentions importent peu et qu’au final c’est exactement le même résultat qui est visé ici: moins d’étrangers venant piétiner nos verts pâturages.

L’idée enfin qui ne se dissimule même pas derrière l’initiative, c’est que la croissance serait la mère de tous les maux. En affirmant que les étrangers «viennent en Suisse parce qu’ils y trouvent un emploi» et qu’il conviendrait donc «d’arrêter de vouloir créer des emplois à tout prix, de vouloir attirer tout le monde», Philippe Roch rejoint les fondateurs historiques d’Ecopop. Telle la bernoise Anne-Marie Rey rappelant qu’à l’époque le mouvement n’avait pas soutenu les initiatives ouvertement xénophobes Schwartzenbach «parce qu’elles posaient mal le problème puisque c’est la croissance qui fait venir les gens».

Il reste tout de même assez étonnant qu’il se soit trouvé 120’000 personnes pour parapher un raisonnement de cet ordre: pour être heureux, vivons seuls, et pour être seuls soyons pauvres.