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Bilatérales: l’éloge du cul-de-sac

Le tollé tout azimut qu’a provoqué la proposition de Christophe Darbellay de revoter sur l’EEE démontre l’amour passionné de la Suisse pour un habitat très particulier: l’impasse.

Peu importe finalement les raisons farfelues qui ont pu pousser le président du PDC Christophe Darbellay à proposer de revoter sur l’EEE — qui n’est pas l’acronyme d’une triple entourloupe. Le Valaisan propose d’ailleurs en échange d’abandonner toute demande d’adhésion à l’UE.

Même son propre parti pourtant n’est pas bien sûr d’avoir compris, concédant tout juste que relancer l’idée d’une adhésion à l’espace économique européen, vingt ans après son rejet d’un fil, cela aurait au moins le mérite de relancer «le débat sur l’Europe». Un peu comme proposer le rétablissement de la guillotine aurait le mérite de relancer le débat sur la peine de mort.

Ce qui semble plus intéressant, ce sont les réactions d’incompréhension, de rejet, voire d’hilarité qu’a provoquées cette volonté, comme le dit l’intéressé lui-même, «de sortir du tabou qui empêche tout le monde de parler d’autre chose que des relations bilatérales». Des relations que Darbellay estime être passées du stade de «voie royale» à celui plus infamant de «cul-de-sac».

C’est pourtant ce cul-de-sac qui est soudain plébiscité, d’une seule et même vibrante voix, par la classe politique, le gouvernement, les analystes, les médias et le peuple.

Ainsi René Schwok, professeur associé à l’Institut européen de l’Université de Genève, juge que «Christophe Darbellay torpille le travail du Conseil fédéral, qui tente de concilier les attentes de la communauté européenne et celles des souverainistes de l’UDC». Sauf qu’on ne voit pas bien pourquoi il faudrait absolument tenir compte, dans les difficiles négociations avec l’Union, des caprices et des vapeurs d’une UDC ne représentant jamais qu’un quart de l’électorat.

Et puis il y a ceux comme la conseillère aux Etats jurassienne Anne Seydoux qui estiment que relancer l’EEE, c’est prendre le risque de raviver le sentiment anti-européen et faire donc le jeu des souverainistes de l’UDC. Sans imaginer là non plus qu’il devrait être possible de parler d’Europe sans devoir aussitôt se demander ce qu’en pense l’UDC. Et en oubliant que le retrait de la demande d’adhésion, en contrepartie, est un sussucre anti-européen propre à satisfaire les plus obtus des nationalistes, puisque c’est précisément ce que ces gens ont toujours réclamé à gros cris rageurs.

Les médias eux ressortent contre Darbellay la vieille accusation de girouette — il n’y a pas si longtemps le PDC et son président ne voyaient aucune raison de retirer la demande dormante d’adhésion à l’UE. «Bien fol qui s’y fie», ironise par exemple la Tribune de Genève.

Le Conseil fédéral, toujours est-il, s’est empressé de préciser ne pas voir d’autre perspective que la voie bilatérale. «Avec l’EEE, nous devrions reprendre le droit communautaire dans de nombreux domaines sans possibilité de codécision», a pleurniché le ministre des affaires étrangères Burkhalter. Le syndrome des juges étrangers, on le voit, n’a pas pris une ride depuis les Waldstätten.

Le peuple lui pour une fois approuve largement son gouvernement, selon un sondage de la SSR. Et l’encourage donc à persévérer dans la voie bilatérale, balayant la possibilité sérieuse pourtant qu’elle ne mène nulle part. L’éloge du cul-de-sac, on l’a dit, est général.

Car cul-de-sac il semble bien y avoir quand même. La voie bilatérale, c’est un fait, l’UE la supporte de moins en moins, l’estimant, comme Darbellay désormais, sans issue. Et de plaider pour une institution supranationale, par où les accords devraient passer, mais dont la Suisse ne veut pas entendre parler. Et Darbellay d’insister, de présenter l’EEE comme une vraie porte de sortie, avec des avantages clairs et immédiats: «Un accès non-discriminatoire au marché européen, la sécurité du droit, l’intégration dans un ensemble où la Suisse n’est plus seule à réclamer une solution particulière».

Le seul vrai reproche que l’on peut faire à la proposition Darbellay — et là-dessus UDC et radicaux ne se sont pas privés de ricaner à haute voix — c’est qu’on aura beau voter et revoter sur l’EEE, la réponse pour longtemps sera toujours la même: nein. Tant que cela sera, la Suisse devra se contenter de prendre des coups, tapie au fond de son fier cul-de-sac.