KAPITAL

Quand l’idée folle se mue en réussite

Encourager le tourisme médical, produire des vêtements durables ou soulager les employés stressés: l’association Genilem a aidé des dizaines de start-up à trouver leur place sur le marché. Témoignages.

C’est un ouf de soulagement pour Genilem, qui vient de décrocher un important contrat de la Confédération pour accompagner les entreprises en démarrage. Un nouveau mandat qui dégage quelque peu l’horizon de cet organisme lémanique de soutien aux start-up, dont le business plan est, paradoxalement, fragile: l’association est aujourd’hui financée à 65% par des entreprises et à 35% par les cantons de Vaud et de Genève, pour un chiffre d’affaires de 1,7 million de francs.

L’obtention de ce nouveau mandat fédéral donne l’occasion de revenir sur les fondamentaux de Genilem, à savoir le soutien à des idées parfois farfelues, mais qui sont indispensables au renouveau de l’économie suisse (lire les témoignages ci-dessous). Une tâche délicate lorsque l’on sait que, selon les derniers chiffres nationaux, une nouvelle entreprise a seulement une chance sur deux de se maintenir en vie cinq ans après son lancement…

Genilem a accompagné 180 entreprises depuis sa création en 1995, et revendique un taux de survie à trois ans de 90% des sociétés parrainées. «Les études font ressortir deux éléments principaux pour réussir, précise Philippe Gaemperle, directeur de l’association. D’une part, la capacité d’un entrepreneur à assurer des rentrées d’argent régulières, tout en ne sous-estimant pas la valeur de ses produits. D’autre part, la bonne relation entre les fondateurs, une mauvaise entente pouvant conduire à l’échec, même devant un marché prometteur.»

Pour ce radiologue de l’innovation romande, le prérequis indispensable au succès reste néanmoins «le don des entrepreneurs à donner une direction claire à leurs idées, en tenant compte des critiques». Les projets les plus inattendus peuvent donner lieu à des business plans solides, comme le prouvent les témoignages d’entrepreneurs. Car «il n’y a point de génie sans un grain de folie», pour reprendre Aristote.
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TimeForYou: conciergerie d’entreprise
Julie Besson, diplômée en droit

«Une population aisée, mais des services à la personne quasi inexistants.» Julie Besson, 42 ans dont une décennie dans l’hôtellerie française de luxe, en est restée bouche bée à son arrivée sur l’arc lémanique. Des employés de bureau stressés, qui doivent en plus trouver une crèche pour leurs enfants, s’occuper des cadeaux de Noël ou repasser eux-mêmes leurs chemises! TimeForYou, fondée en 2007, entend décharger les salariés des multinationales de ces tâches chronophages.

«En France, le concept de conciergerie d’entreprise est entré dans les mœurs et fait un carton malgré la crise. Mais en Suisse, il y a un frein psychologique, car on est habitué à tout faire tout seul. Heureusement, les expatriés anglophones sont très réceptifs à nos services!» Comptant 11 employés, la société a déjà ouvert une franchise en Argentine il y a deux ans. Parmi ses clients, l’un des plus anciens était Merck Serono. «Leur départ va certainement ralentir notre croissance», explique la fondatrice. Mais le départ le plus difficile à digérer pour l’entrepreneuse reste celui de son associée: «Nous n’aurions jamais imaginé que l’une puisse partir avant l’autre. C’est un peu comme un divorce. Pour éviter une séparation douloureuse, il vaut mieux régler les modalités d’un abandon éventuel noir sur blanc. Et ce dès l’origine du projet.»
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L’Asticot: vêtements unisexes pour enfants
Danièle McClellan, jeune maman

Produire des vêtements unisexes pour enfants, d’une taille assez large pour durer longtemps avant de passer entre les mains du petit frère ou de la petite sœur: voilà le concept de L’Asticot, une société fondée en 2009 à Genève. «Nous nous inspirons à la fois des couleurs extravagantes de la mode nordique et des rayures plus sages du stylisme à la française», explique sa cofondatrice Danièle McClellan, jeune maman de 39 ans qui travaillait auparavant comme journaliste.

Un mélange des genres né d’une frustration: celle de «ne pas trouver de vêtements originaux pour garçons». Dessinés en Suisse, les habits sont ensuite produits au Portugal par une fabrique spécialisée dans les tissus biologiques, avant d’être exportés dans de multiples petits points de vente, jusqu’au Japon. Mais le laps de temps entre fabrication et vente pose la principale difficulté pour l’entreprise: «Cela nécessite beaucoup d’investissements et nous devons tenir le coup jusqu’au retour des vendeurs. Nous avons contracté un emprunt pour financer les collections et nous nous débrouillons avec des salaires très bas.»

La société veut augmenter son chiffre d’affaires pour parvenir à une taille critique: «Ce qui nous a manqué au départ, c’est le côté marketing et vente. Nous avons engagé une personne spécialisée dans le domaine au début de l’année. Il nous fallait quelqu’un d’externe pour rattraper ce retard dans la prospection. Pour mon associée et moimême, qui avons porté le projet dès le début, essuyer un refus d’un client est bien trop émotionnel!»
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Novacorpus: tourisme médical
Stéphane de Buren

Convaincre les patients suisses et français d’aller se faire soigner dans des pays riverains, mais aussi en Turquie ou en Croatie: voici la délicate mission que s’est assignée la société Novacorpus, spécialisée dans le tourisme médical pour les opérations au laser des yeux, la chirurgie esthétique, les soins dentaires et les implants capillaires. «Avec l’arrivée d’internet et des vols low-cost, certaines personnes se rendent à la journée à Barcelone pour une consultation dentaire. Cela revient moins cher qu’une radiographie en Suisse!» souligne Stéphane de Buren, médecin et gestionnaire qui a fondé cette entreprise en 2008. Ces nouveaux comportements profitent à Novacorpus, qui a envoyé quelque 300 patients à l’étranger en 2012, et dont la croissance devrait atteindre 50%. Avec des arguments à faire valoir: «Les médecins avec qui nous travaillons ont souvent plus de pratique qu’ici. En Suisse, la multiplication des médecins venus d’ailleurs prouve la validité des diplômes étrangers. Par ailleurs, nous sommes recommandés par Assura depuis plus de deux ans pour les opérations des yeux au laser.»

Sans surprise, la principale difficulté a été de surmonter les préjugés: «Via une étude de marché, nous avons pu constater à quel point l’image de la Turquie était négative en Suisse, ce qui nous a incités à passer aussi des contrats avec des médecins des Etats voisins. Mais les gens continuent à choisir leur destination en fonction de l’image du pays, alors que nous leur recommandons de le faire par rapport à la qualité du praticien!» Autre défi: trouver les bons partenaires, prêts à soigner des gens d’une autre culture. «En France, par exemple, le problème typique pour un médecin consiste à prendre 15 jours pour envoyer un devis. Ce qui ne correspond pas aux standards suisses. Nous ne pouvons alors pas collaborer avec lui.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.