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La dette, ennemi privé numéro un

Le surendettement augmente en Suisse et menace en particulier les jeunes. Pour y remédier, une nouvelle formation entraîne les professionnels du social aux meilleures techniques de désendettement.

Les chiffres sont inquiétants. Quelque 3,3% des habitants en Suisse, soit l’équivalent de 240’000 personnes, feraient face à un risque d’endettement sévère. Des individus qui cumulent la présence de crédits avec celle de découverts bancaires ou d’arriérés de paiement critiques, d’un montant supérieur aux deux tiers du revenu mensuel total. «En Suisse, une partie croissante de la population tend à contracter des dettes et recourt aux services sociaux pour s’en sortir, confirme Sophie Rodari, sociologue et professeure à la Haute école de travail social HETS de Genève. Cela découle en partie des effets de la crise économique, qui commencent à se faire sentir à travers toute l’Europe.»

Et ce n’est pas tout: la dernière étude menée sur le sujet par l’Office fédéral de la statistique (OFS), en 2008, révèle aussi que pas moins de 18,2% de la population suisse vit dans un ménage ayant contracté au moins un emprunt ou un crédit autre que le crédit hypothécaire sur le logement principal. Soit là aussi un risque de tomber dans la spirale du surendettement.

Un danger qui s’accroît pour certaines catégories de la population: «Les working poor sont surreprésentés parmi les personnes endettées, tout comme les familles monoparentales, observe Sophie Rodari. Depuis cinq ans environ, nous constatons également une augmentation des risques de surendettement chez les travailleurs indépendants.» Les jeunes sont eux aussi particulièrement concernés par le problème: un tiers des résidents suisses de 18 à 25 ans sont endettés, selon une étude réalisée en 2011 par la société de recouvrement Intrum Justitia.

Cette situation alarme des services sociaux déjà très sollicités: «A Genève, une bonne moitié des personnes bénéficiant de l’aide sociale sont surendettées, explique Alberto Ochoa, responsable de l’unité information sociale et prévention de l’Hospice général. Elles se retrouvent vite dans un cercle vicieux: le fait d’avoir des poursuites les empêche de trouver un logement ou un travail. Ce qui les maintient dans une situation de dépendance par rapport à l’Etat.»

Face à la gravité de la situation, une prise de conscience sur l’endettement s’opère depuis quelques années en Suisse, et des actions préventives sont initiées dans les communes, les écoles, les associations et même certaines entreprises. A Genève, l’Hospice général propose par exemple un atelier intitulé «gestion de budget et moyens de désendettement» qui s’attaque à ce problème. Au niveau national, la ligne téléphonique «SOS info dettes» de Caritas répond aux questions des personnes endettées et les réoriente vers les services compétents.

La Haute école de travail social de Genève propose même depuis peu un Certificate of Advanced Studies (CAS) en gestion de dettes. Cette formation, qui s’adresse aux professionnels du social, vise à leur donner des outils pour aider les personnes endettées à s’en sortir. Une méthode qui porte ses fruits sur le terrain: «Un processus de désendettement dure entre deux et trois ans, explique Sophie Rodari. Les personnes conseillées parviennent dans 80% des cas au rééquilibrage de leurs dépenses, c’est-à-dire à éviter que la dette ne grandisse davantage, et dans 20% des cas au désendettement total.»

Pour parvenir à ces résultats, les professionnels du social s’attaquent notamment aux comportements. «Dans le cadre du processus de désendettement, nous aidons les participants à différencier le nécessaire du superflu et à adapter leurs dépenses à leurs moyens financiers.» Des principes de bon sens qui méritent d’être rappelés, alors que les moyens de paiement deviennent de plus en plus virtuels, rendant l’acte d’achat aussi facile qu’un clic de souris.
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Endettés: des cabossés de la vie aux jeunes «flambeurs»

Comment tombe-t-on dans la spirale du surendettement? Les difficultés apparaissent souvent suite à une perte d’emploi, une rupture conjugale ou un souci de santé. Nelly Lëschwendimann, une Genevoise de 48 ans, a ainsi dû faire face au cumul de ces handicaps: «Je travaillais dans un fast-food. J’ai perdu mon emploi suite à un accident qui m’a endommagé quatre vertèbres. A la même période, j’ai vécu un divorce difficile. C’est à partir de là que les problèmes ont commencé.»

Endettée depuis vingt ans, cette mère de famille reçoit aujourd’hui une aide de 2’000 francs par mois de l’Hospice général, ainsi qu’une allocation de
300 francs pour payer son logement: «Le manque d’argent est pour moi une source de stress. J’y pense chaque jour. J’ai peur d’être mise en poursuite ou même en prison si je n’arrive pas à rembourser mes dettes.»

Mais le surendettement touche également de plus en plus de jeunes et de travailleurs indépendants en Suisse. Des personnes souvent sans problèmes personnels ni familles à charge, mais qui ont cédé aux sirènes de la consommation avec des ressources financières limitées.

«La publicité et le marketing incitent les jeunes à consommer pour être dans le coup, constate Sophie Rodari, à la Haute école de travail social de Genève. Ils s’achètent le dernier ordinateur ou s’offrent des vacances alors qu’ils n’en ont pas forcément les moyens. Les jeunes s’identifient au mode de vie des classes supérieures et les imitent afin de s’intégrer socialement.» Une pression qui incite aux comportements les plus risqués sur le plan financier. Mais la vie à crédit finit généralement par réclamer son dû.
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (volume IV).