TECHNOPHILE

Lars Bromley, l’espion qui vous veut du bien

A Genève, un expert de l’ONU utilise des images satellites pour dénoncer les violations des droits de l’homme. Il raconte les dessous de son activité.

Comme tout geek qui se respecte, Lars Bromley passe la plupart de son temps devant un écran d’ordinateur. Mais au côté des usuels snacks, tasses de café et écouteurs posés sur son bureau se trouvent des cartes de camps de réfugiés. Lars Bromley est un pionnier de l’analyse des images satellites à but humanitaire, un domaine qui a connu une très forte expansion ces dix dernières années. «Je n’ai jamais su ce que je voulais faire, confie l’homme de 37 ans originaire du Michigan. Mais je savais que je ne voulais pas d’un travail normal. A mon avis, j’ai réussi.»

Lars Bromley travaille comme analyste principal pour les questions des droits de l’homme et de la sécurité au sein du Programme opérationnel pour les applications satellitaires d’Unitar (l’agence onusienne responsable de la formation et d’activités de recherche). Son bureau se trouve au CERN qui met à disposition le soutien technologique nécessaire — il avait d’ailleurs débuté dans un simple container planté dans un parking du centre de recherches.

Depuis le lancement du premier satellite commercial à haute résolution en 1999, il suffit de payer pour observer la Terre depuis le ciel. Mais analyser de telles images requiert des compétences pointues. Lars Bromley avait fait ses armes avec un projet de recherche environnementale, mais son intérêt s’est rapidement porté sur le droit humanitaire.

Des villes rasées au bulldozer

L’un de ses premiers projets l’a amené à enquêter sur des irrégularités lors des élections parlementaires de 2005 au Zimbabwe. Des rumeurs rapportaient que le parti au pouvoir de Robert Mugabe avait rasé au bulldozer les logements des opposants — de quoi les empêcher de voter, car le droit de vote passe par le fait d’avoir un domicile fixe. En étudiant les images satellites, Lars Bromley découvre alors que plusieurs villes avaient été rasées. «La dévastation était tellement évidente que j’ai dû m’arrêter un moment dans mon travail pour vraiment réaliser ce que j’étais en train de voir.»

Avec une résolution inférieure à un mètre, les images satellites permettent de mettre au jour les dégâts matériels, mais pas la misère humaine qui les accompagne. Lars Bromley tente de reconstruire les événements en recoupant ces données satellitaires avec des témoignages directs récoltés sur le terrain. Les images du Zimbabwe l’ont profondément marqué, mais il dit aujourd’hui mieux savoir gérer ses émotions. «Ce que je ressens n’a pas la moindre importance par rapport à ce que ces gens vivent.»

Les rapports élaborés par son équipe trouvent un nombre croissant d’utilisations, comme vérifier le respect des zones démilitarisées ou apporter des preuves à la Cour pénale internationale de La Haye. L’unité est «un peu une marmite en ébullition», commente le spécialiste. En décembre 2012, elle s’affairait sur les déplacements des populations générés par le conflit syrien ainsi que sur le typhon «Bopha» qui avait dévasté le sud des Philippines.

Lars Bromley confie n’avoir ni enfant ni de grande vie sociale, et ses loisirs ressemblent de près à son activité professionnelle. Il offre, par exemple, son assistance à des ONG en Argentine et en Uruguay pour identifier les personnes disparues durant les périodes de dictature militaire, à l’aide d’images de satellites espions américains déclassifiées. Observer guerres et catastrophes naturelles le laisse parfois démuni, confie Lars Bromley. Mais les résultats concrets amenés par ses activités privées lui offrent un bon antidote.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.