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Réinventer l’économie pour prédire les crises

Des physiciens dénoncent les modèles financiers jugés trop simplistes pour anticiper les crises. Ils proposent des approches radicalement différentes qui font appel aux théories des écosystèmes, des réseaux et de la complexité.

Les catastrophes naturelles peuvent être imprévisibles, mais pas les krachs boursiers. «La crise financière de 2007-2008 était évitable, écrivait la Financial Crisis Inquiry Commission dans son rapport publié début 2011. [Elle] a été le résultat d’actions et d’inactions humaines, pas de Dame Nature ou de modèles informatiques détraqués. (…) Il y avait des signaux d’alarme. La tragédie, c’est qu’ils ont été ignorés.»

Ainsi, les instruments de gestion de risque employés autant par les banques que par les régulateurs se sont avérés complètement déficients. «Devant la crise, nous nous sommes sentis abandonnés par les outils conventionnels», déclarait en 2010 Jean-Claude Trichet, alors président de la Banque centrale européenne (BCE). «A mon avis, les économistes se sont égarés, car ils ont, en tant que groupe, confondu la beauté — revêtue d’imposants atours mathématiques — avec la vérité», écrivait quant à lui l’économiste Paul Krugman dans le «New York Times» du 2 septembre 2009. Son texte s’est rapidement transformé en une pétition signée par 2’000 intellectuels pour exiger de «revitaliser les sciences économiques après le krach».

Depuis, un nombre croissant de penseurs veulent réparer une science économique perçue comme déficiente. Ils préconisent un changement de stratégie radical. Alors que les sciences économiques classiques ont jusqu’à présent avancé à l’aide de modèles mathématiques fortement simplifiés, cette nouvelle approche considère le monde financier comme une sorte d’écosystème.

Approche interdisciplinaire

«Le problème principal de l’approche standard est qu’elle présuppose que les marchés atteignent un état d’équilibre, note Didier Sornette, directeur du Financial Crisis Observatory à l’EPF Zurich. Mais le système financier global n’est pas du tout en équilibre, en particulier lors de phases de bulles ou de krachs.» La théorie classique se base sur des principes abstraits selon lesquels l’humain est un «Homo oeconomicus» purement rationnel, qui désire uniquement maximiser son profit et sait parfaitement le faire. Mais cette vision simplifiée ne correspond pas du tout à la réalité, comme l’ont démontré de nombreuses expériences de psychologie: l’humain est «irrationnel», dans le sens qu’il ne cherche pas toujours à gagner le plus possible ou se trompe parfois dans son évaluation des risques.

De nouvelles approches en science économique tiennent désormais compte de ces aspects et adoptent une forme de plus en plus interdisciplinaire. La psychologie permet ainsi de mieux caractériser ce qui motive ses acteurs, des concepts empruntés à la biologie cherchent à étudier la stabilité de l’écosystème financier, alors que la physique caractérise les phases de bulles pour mieux les prévoir (lire ci-dessous).

La théorie des réseaux apporte une pièce importante à l’édifice. Les chercheurs tentent de localiser les maillons faibles du réseau financier mondial et d’estimer l’efficacité de mesures pouvant stabiliser la structure globale — comme par exemple la séparation des activités de banque de dépôt et d’investissement. «Beaucoup de gens ont gravement sous-estimé l’importance des réactions en chaîne, comme par exemple la faillite de Lehman Brothers, qui a précipité une suite d’événements catastrophiques», explique Dirk Helbing, physicien à l’EPF Zurich et directeur de FuturICT, un projet de recherche voulant simuler de manière informatique les crises sociétales. «La plupart des infrastructures créées par l’homme possèdent des mécanismes conçus pour empêcher la propagation des problèmes, comme par exemple un disjoncteur pour un réseau électrique, un firewall pour internet, ou simplement des back-up en cas de panne, poursuit Dirk Helbing Le système financier, lui, ne possède ni disjoncteur ni back-up.»

La société simulée sur ordinateur

Le physicien est convaincu que les nouvelles approches éconophysiques pourraient permettre d’éviter les crises. Le volet financier du projet FuturICT commencera par rassembler au niveau global des données telles que PIB, taux de chômage ou encore taux d’intérêt afin de découvrir des corrélations cachées et de comprendre les mécanismes qui régissent la finance mondiale. Des modélisations simuleront les comportements des traders afin d’observer la manière dont les phénomènes de contagion collective se mettent en place et finissent par créer des bulles ou des krachs. Une dernière étape ambitieuse — voire utopique, dénoncent certains — veut proposer des outils d’aide à la décision capables de tester l’impact de différentes décisions politiques de manière virtuelle, avant leur éventuelle mise en pratique.

Depuis la crise financière, les acteurs du monde financier suivent de plus près ces travaux académiques. La BCE a, par exemple, lancé le programme de recherche MARS afin de définir de nouveaux indicateurs des risques systémiques. «Une première tâche consiste à enrichir les modèles existants en y incorporant des nouveaux aspects tels que l’instabilité financière, détaille Carsten Detken de la BCE. Un deuxième axe utilise la théorie des réseaux pour étudier par exemple les corrélations entre les performances des banques et identifier ainsi des risques de contagion.»

Mais Didier Sornette de l’EPF Zurich n’y croit qu’à moitié: «Le décalage entre la recherche et la pratique reste énorme. Il existe une très grande inertie au sein des régulateurs — la majorité de ces fonctionnaires ne sont pas prêts à remettre en question tout ce qu’ils avaient appris pendant leur formation. Certains économistes de la vieille école appellent aujourd’hui à un renouveau, mais dans les faits, ne proposent rien de neuf. Les sciences économiques constituent un milieu particulièrement conservateur, dominé par des réseaux organisés autour d’un petit nombre de courants. Il est très difficile de se faire entendre lorsque l’on va contre les dogmes en vigueur…»
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Prédire les bulles, c’est possible

Didier Sornette en est convaincu: il est possible de prédire les bulles financières. Et le physicien d’EPF Zurich compte bien le démontrer. A quatre reprises, il a publié à l’avance et de manière chiffrée ses prédictions: quelles actions, matières premières ou indices financiers sont déjà entrés dans une phase de bulle, et quand cette dernière devrait prendre fin. Il a également annoncé publiquement à quelle date l’analyse prendrait effet. Impossible dès lors de tricher en sélectionnant a posteriori ses prédictions ou le moment de l’analyse. Pour le chercheur, les résultats sont positifs. «Sur les 27 bulles que nous avions par exemple identifiées à la fin 2010, 24 se sont avérées correctes. Et 17 sur 25 ont subi un changement de régime dans l’intervalle de temps que nous avions prédit.»

Son outil de diagnostic se base sur un modèle établi en tissant des liens avec d’autres phénomènes physiques tels que les tremblements de terre ou la transformation d’eau en glace. Son modèle caractérise une bulle par deux composantes: une croissance super-exponentielle qui traduit les effets de contagion (tout le monde veut acheter pour profiter de la hausse de la valeur) accompagnée d’oscillations provenant des traders qui vendent pour recoller au prix du fondamental.

Pour Didier Sornette, son outil d’analyse est fiable. «Nous pensons lancer une spin-off basée sur cette méthode. Nous sommes déjà en discussion avec un grand acteur de l’énergie suisse, qui est intéressé par le fait de pouvoir détecter à temps la création d’une bulle financière dans le secteur de l’énergie. Il pourrait alors s’en protéger à l’aide d’instruments de hedging tels que des contrats à terme.»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (6 / 2012).