KAPITAL

La fin des factures papier

Le choix existe encore: recevoir ses factures par voie numérique ou postale. Mais toujours plus d’entreprises réclament des frais pour les envois par courrier.

Après le paiement au guichet postal, la facture par courrier est-elle appelée à disparaître? Si ce mode de facturation reste encore bien ancré dans les habitudes, un nombre croissant d’entreprises exigent de leur clientèle un coût supplémentaire pour les envois papier. Objectif: favoriser tant que possible le passage à une forme de facturation électronique avec, en ligne de mire, des possibilités d’économies substantielles.

La tendance est pour l’instant particulièrement marquée au sein des grosses sociétés, économies d’échelle obligent, notamment dans le secteur des télécoms. Chez Upc Cablecom, par exemple, «la facturation sans papier est devenue la norme» depuis son introduction en mars 2011, note le porte-parole Andreas Werz. Alors que cette dernière est gratuite, les clients qui souhaitent continuer à recevoir leurs factures de manière traditionnelle doivent s’acquitter d’un montant de 1,50 franc par mois pour ce service. L’entreprise ne souhaite pas s’exprimer sur les économies engendrées par ce changement.

De son côté, Orange a pris la décision de facturer les factures papier depuis l’année dernière (2 francs par facture et 5 francs pour une facture détaillée). Une mesure qui ne s’applique pour l’instant qu’à sa clientèle privée, et non aux entreprises. La société, qui expédie chaque année plus de 9 millions de feuilles de papier sous la forme de factures mensuelles, soit l’équivalent de plus de «600 arbres en l’espace de cinq ans», met elle aussi en avant des arguments écologiques.

En admettant toutefois que cette évolution l’aide aussi à réduire ses coûts. aujourd’hui, la proportion de factures électroniques atteint 30% au sein du groupe. Ces pratiques qui tendent à se généraliser — alors qu’elles existent depuis une dizaine d’années au sein de grands groupes comme DHL Express — provoquent le mécontentement de la Fédération romande des consommateurs (FRC). Elles sont l’une des principales sources de réclamations des consommateurs, juste derrière le démarchage téléphonique et la durée des garanties.

Cette question concerne essentiellement les seniors, peu habitués aux nouvelles technologies et donc aux modes de paiement par voie électronique. Juriste à la FRC, Valérie Muster estime que le problème fondamental est «la tendance à facturer des prestations qui ne l’étaient pas auparavant». Elle ajoute: «On peut aussi se demander pourquoi on ne diminue pas les factures de ceux qui paient par courrier électronique et qui permettent ainsi aux entreprises de réaliser des économies dans leurs frais généraux.»

Et qu’en est-il des considérations écologiques souvent évoquées? «il s’agit souvent d’une façade, juge Valérie Muster, qui se demande combien de clients n’impriment pas leurs décomptes à la maison. Lorsque ceux-ci ne sont pas téléchargés, le risque est de ne plus les retrouver dans les archives une fois un certain laps de temps écoulé.»

Selon l’association de consommateurs, la facturation des transactions papier a débuté avec les paiements au guichet, une taxe qui touchait déjà à l’époque la même catégorie de la population, à savoir les personnes les plus âgées. Les grands opérateurs de téléphonie mobile ont été les premiers à faire payer ce type de prestation. La pratique s’est ensuite généralisée aux assurances, aux banques, puis aux PME.

La facturation papier ne semble cependant pas encore être la norme au sein des PME romandes. Dans le domaine immobilier, la société Bernard nicod annonce toutefois facturer 40 francs par année pour le paiement des loyers au moyen de bulletins de versement classiques. Les locataires ont le choix de ne plus recevoir physiquement ce courrier en recourant à des ordres permanents ou d’autres prélèvements bancaires automatiques.

Une démarche introduite au mois de mai 2010 qui a permis à la régie — qui imprimait près de 120’000 pages par semestre — de réaliser de conséquentes économies, en termes de papier, d’enveloppes, de frais d’impression, et aussi de travail administratif et de diminution des contentieux.

«Depuis l’introduction progressive de cette mesure, environ 40% de nos locataires nous ont confirmé ne plus vouloir recevoir ces courriers», observe le directeur financier du groupe Benoît Thalmann. Les paiements aux guichets postaux, qui coûtent 100’000 francs par année à la gérance (entre 2,35 francs et 3,55 francs par paiement) et qui concernent encore plus de la moitié des locataires, notamment les seniors, ont diminué de près de 5% depuis 2010. Au total, les économies estimées s’élèvent à 50’000 francs par année.

«Nous essayons de suivre l’évolution des tendances», indique Benoît Thalmann, qui admet qu’il s’agit d’une «étape à franchir» pour les catégories de personnes les plus âgées qui devaient auparavant ne pas s’acquitter de ce surplus. Par ailleurs, il précise que des investissements sont consentis afin de développer de nouvelles prestations en ligne, ainsi que sur tablettes et smartphones.

Cette démarche devient problématique lorsqu’elle est glissée par la petite porte en cours de contrat. Ce qui, selon la FRC, ne semble pas encore être la règle. Professeur à la Faculté de droit de Fribourg, Pascal Pichonnaz rappelle que toute demande de frais supplémentaires pour le paiement d’une facture papier doit exister dans un contrat. En cas de montant excessif, la clause peut en outre être déclarée abusive.

Selon le professeur, il n’existe toutefois pas encore de jurisprudence pour déterminer à partir de quand un montant peut être ou non jugé trop élevé. Il relève cependant que cette appréciation est liée à la facture globale: pour une somme de 3000 francs, facturer 3 francs, soit 0,1% du total, ne pourrait être considéré selon lui comme excessif.

Vice-directrice de l’Union suisse des fiduciaires, Ramona Brotschi estime pour sa part que la tendance générale à facturer les envois papier repose sur la libre entreprise. Néanmoins, il est essentiel que les clients soient informés contractuellement à l’avance de tout changement prévu dans les procédures comptables.

De son côté, la société d’audit, de fiduciaire et de conseil BDO considère que les motivations des entreprises sont essentiellement économiques, bien qu’il soit «plus simple de se justifier par l’écologie auprès du consommateur», note son porte-parole Erich Wiederkehr. La société dit cependant «comprendre» que ces coûts puissent faire partie de certaines prestations, telles que des frais de dossier ou de gestion, dans le cas d’une banque par exemple.

Là encore, il reste primordial de privilégier la transparence et d’informer le client des nouvelles conditions en lui laissant la possibilité, par la suite, de choisir librement son prestataire.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.