KAPITAL

L’essor fulgurant des services à domicile

Cuisine, conciergerie privée, blanchisserie, assistance administrative, soins: le secteur des services à domicile se diversifie et connaît un succès croissant. L’offre des PME du secteur devient de plus en plus originale et sophistiquée.

Au menu cette semaine? Parmentier de canard confit et duo de patates, dos de cabillaud mariné miel-soja et polenta aux champignons, risotto au fenouil frais, à la ricotta et au peperoncino. Gaël Juranville entame ses journées de travail par une tournée chez ses fournisseurs. Le patron de Just Cook It prend le temps de dénicher les produits frais qui atterriront le soir même dans la cuisine de ses clients. Le concept de la start-up genevoise: livrer aux citadins pressés des recettes et tous les ingrédients pré-dosés pour les réaliser. La PME est née de l’expérience personnelle du jeune entrepreneur. «J’ai travaillé pendant sept ans dans la finance. J’adore cuisiner mais mes horaires ne me permettaient pas d’aller acheter les produits que j’aime et de me faire à manger.»

Just Cook It est dans l’air du temps. Solidement implantés depuis des années dans les pays anglo-saxons, Etats-Unis en tête, les services à domicile sont en plein essor en Suisse. Le supermarché en ligne LeShop.ch affiche un chiffre d’affaires de 150 millions de francs après moins de 15 ans d’existence. Encore confidentielles il y a une décennie, les livraisons de paniers de fruits et légumes ont connu une expansion impressionnante et une trentaine d’exploitations se partagent aujourd’hui ce marché en Suisse romande. Du bricolage professionnel pour monter une étagère au soin du visage sans devoir quitter ses pantoufles, en passant par de la blanchisserie qui vient chercher le linge sale sur le pas de la porte et le ramène lavé et repassé, les options disponibles sont de plus en plus diversifiées.

Les PME de la branche se présentent comme des «créateurs de temps libre». Beaucoup notent qu’elles ont démarré en visant les personnes âgées ayant des difficultés à se déplacer, mais se retrouvent avec une clientèle active, souvent débordée, dont une bonne part d’expatriés. «Nos clients sont âgés de 35 à 60 ans et font appel à nous pour des choses basiques comme tondre la pelouse ou fixer un tableau au mur, mais qu’ils n’ont pas le temps ou les compétences de faire eux-mêmes. Ils veulent pouvoir profiter de leurs week-ends et délèguent les taches qui les incommodent», explique Antoine Domahidy, directeur de la société vaudoise de conciergerie privée Ouidoo, anciennement Domicil Home Services. Ce pionnier en Suisse romande, qui s’est lancé en 2007, emploie aujourd’hui 13 collaborateurs. En l’espace de quelques années, il a vu l’apparition de plusieurs entreprises concurrentes — sans compter de nombreux indépendants — et participé à la création de l’Association suisse des concierges privés.

Une étude du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), publiée en 2009, conclut que près d’une personne sur cinq peine à concilier vie privée et vie professionnelle. Selon une autre recherche réalisée par le SECO en 2010, un tiers de la population active de Suisse (34%) se sent «souvent» ou «très souvent» stressée — nettement plus que les 27% recensés lors du précédent sondage, effectué en 2000. Stéphanie Cornu-Santos, directrice de La Solution, florissante PME du Nord vaudois qui offre de nombreuses prestations «facilitant le quotidien», ajoute que l’accroissement de la mobilité renforce encore le besoin de faire appel à une entreprise pour les petits dépannages du quotidien. «Les gens ne restent plus forcément toute leur vie dans le même village. Ils sont prêts à se déplacer pour trouver un emploi et à vivre loin du lieu où ils ont leurs attaches. Les liens avec la famille et les voisins s’effritent et l’on ne sait plus à qui demander un coup de main.»

L’expansion des services à domicile correspond aussi à un changement de mentalité: les Suisse veulent se faire plaisir. «Nous observons clairement cette tendance. Ils sont prêts à payer pour obtenir davantage de confort, analyse Raphaël Cohen, directeur du diplôme d’entrepreneuriat et business development à la HEC Genève. Les salades prélavées en sachet ou les capsules Nespresso représentent autant d’exemples: cela coûte bien plus cher mais rencontre un grand succès.» L’offre se démocratise et n’est plus réservée qu’à un public très aisé. La plupart des PME interrogées indiquent que leurs clients proviennent de toutes les catégories sociales. «C’est abordable mais, bien sûr, il faut vouloir se l’offrir. Cela reste un choix», note Stéphanie Cornu-Santos de La Solution. Quant à Antoine Domahidy de Ouidoo, il souligne que faire appel à une entreprise généraliste peut même se révéler avantageux. «Pour les cas où l’intervention d’un spécialiste n’est pas indispensable, par exemple le montage d’une lampe ou arroser les plantes, se tourner vers une entreprise de conciergerie privée coûte moins cher que de faire appel à un électricien ou un jardinier.»
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Envie de fourneaux

Cuisiner sans devoir faire les courses ni chercher une idée de repas au préalable? La PME genevoise Just Cook It propose chaque semaine sur son site internet trois recettes de saison — viande, poisson et végétarien, entre 15 et 20 francs — ainsi que des entrées, des desserts et des vins pour accompagner le repas. Le client commande l’option souhaitée sur internet et reçoit tous les ingrédients ainsi qu’une marche à suivre le soir même à son adresse ou sur son lieu de travail.

La livraison est effectuée à vélo. «Pas besoin de réfléchir! Toutes nos recettes sont réalisables en 30 à 45 minutes et nous misons sur la qualité des produits, toujours frais, si possible locaux et artisanaux», explique Gaël Juranville, co-fondateur de la société aux côtés de Romain Cosandey. Pour mener à bien leur projet, les deux associés passionnés de cuisine, qui viennent du monde de la finance, collaborent avec deux anciens chefs. Une fois par semaine, toute l’équipe se retrouve pour élaborer et tester les nouvelles créations. Un sommelier se charge de suggérer les vins.

«Dans mon ancien emploi, je quittais le bureau tous les soirs après 19h. Je finissais par manger mal ou par aller au restaurant. C’est de là qu’est née l’idée. Notre public cible, ce sont les jeunes cadres, entre 25 et 45 ans, qui travaillent beaucoup. L’époque privilégie un retour vers le terroir. Les émissions de télévisions consacrées à la cuisine font un tabac. On sent que l’envie de se remettre aux fourneaux est là.» La start-up, dont les activités ont démarré en janvier, livre actuellement une quarantaine de repas par semaine, un chiffre en constante augmentation. «Nous sommes heureux de ce démarrage. Le bouche-à-oreille fonctionne bien et 70% de ceux qui ont essayé Just Cook It reviennent.»

Se faire dorloter à la maison

«Vous êtes stressé? Pas de problème, on vient chez vous.» Il y a dix ans, alors qu’elle se lance comme masseuse dans les entreprises, Angélique Robert propose spontanément à ses clients débordés de se déplacer à leur domicile. Avec succès! Sa société, basée dans le canton de Vaud, s’appelle alors Art du Toucher. Elle a depuis changé de nom pour devenir Sérénis et étendu ses activités aux soins esthétiques et au canton de Genève.

Forte de douze employés, son offre comprend aujourd’hui massages, drainages et réflexologie, mais aussi manucure, pédicure, épilation et soins du visage. «Notre clientèle, environ deux tiers de femmes et un tiers d’hommes, se compose principalement de personnes actives qui font appel à nous de manière très régulière, raconte Angélique Robert. Mais aussi de femmes enceintes qui sont coincées à la maison et trouvent le temps long, ou encore de personnes qui gardent leurs enfants et profitent de la sieste pour faire venir une esthéticienne à la maison. Elles gagnent du temps et n’ont plus besoin d’engager une baby-sitter.»

Angélique Robert souligne que ses clients sont issus «de tous milieux». «Notre but est de ne pas nous limiter au créneau du luxe. Nous voulons viser un maximum de monde avec des tarifs compétitifs. Pour prendre un exemple, nos massages coûtent 120 francs pour une heure, déplacement inclus. Proposer toutes ces prestations de manière mobile implique beaucoup d’organisation. Il faut transporter du matériel parfois volumineux et trouver du personnel qui accepte d’être constamment en mouvement, note Angélique Robert. Mais le jeu en vaut la chandelle. La demande est là et les affaires marchent bien.»

Pressing à domicile

«Faire la lessive et le repassage, ce n’est pas très sexy, s’amuse Nuria Baena Bitter, la directrice et fondatrice de la PME neuchâteloise Corbeille Magique. Personne n’a envie d’y penser pendant son temps libre. Nous voulions soulager les personnes qui travaillent beaucoup et dont les horaires ne sont pas compatibles avec ceux du pressing, créer une sorte de «LeShop pour la lessive». Une étude de marché confirme l’intuition de l’entrepreneuse: il y a une place à prendre pour ce type de services à Neuchâtel.

Fin 2010, Nuria Baena Bitter lance sa société de blanchisserie et pressing online et à domicile. Elle est épaulée par son mari qui s’occupe de la comptabilité et de l’informatique. Les clients passent leur commande par internet et donnent à nettoyer aussi bien leur linge de tous les jours que les textiles destinés au nettoyage chimique. Pour la lessive, le prix est déterminé au poids — 39 francs pour cinq kilos de linge lavé et plié — et non à la pièce comme dans les blanchisseries traditionnelles.

«Nos clients peuvent nous donner leur corbeille telle quelle, de la chaussette au rideau, sans perdre du temps à trier ou compter.» Le succès de la Corbeille Magique, qui emploie aujourd’hui trois personnes, tient aussi à son côté écolo. Elle remplace le nettoyage chimique par un procédé appelé «nettoyage par voie humide». Dans une machine spéciale, les textiles sont lavés à basse température avec un mélange d’eau, de lessives et d’additifs respectueux de l’environnement. Nuria Baena Bitter, qui continue de travailler en parallèle comme responsable de projet à la Haute école pédagogique de Bienne, estime que la demande va continuer de progresser. «Avec l’augmentation de la durée de vie, il faudra aussi s’adresser à une clientèle de seniors dans la région.»

«C’est la demande qui fait l’offre»

«Les gens n’ont plus le temps de s’entraider. Alors nous sommes là: nous pouvons changer une ampoule, trouver un cavalier pour accompagner votre grand-mère à un mariage ou vous amener à l’aéroport. Nous n’avons pas de catalogue de prestations fixe, c’est la demande qui fait l’offre, explique Stéphanie Cornu-Santos, directrice de l’entreprise La Solution. Une fois, les ambulanciers de Lausanne nous ont appelé pour garder en urgence le chat d’une dame accidentée qui refusait de quitter son appartement tant que personne ne viendrait s’en occuper. Chaque jour nous apporte son lot de surprises.»

La PME basée à Montagny-près-Yverdon est née sous l’impulsion du mari de Stéphanie Cornu-Santos. Originaire du Brésil, ce dernier suit une formation le soir pour devenir entraîneur de football et souhaite occuper ses journées. Il décide «d’aider les gens» et embarque son épouse, alors à la tête d’une agence de publicité, dans l’aventure. Créée en 2010, La Solution a connu une croissance fulgurante et compte aujourd’hui 90 employés. Depuis 2012, la société, qui répond aux demandes de ses clients 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, est accréditée par le canton et les assurances maladie pour offrir des soins à domicile.

«Nos clients recherchent une flexibilité qu’ils ne trouvent pas forcément dans l’offre publique. Ils veulent tout auprès d’une seule entreprise, n’avoir à appeler qu’un numéro. Aujourd’hui, les soins sont la locomotive de nos affaires. Notre orientation a radicalement changé mais pour quelques heures de soins hebdomadaires, il y a souvent davantage d’heures d’autres services auprès de la même personne. Je ne m’attendais pas du tout à un tel succès. C’est une bonne surprise mais il faut assumer! Pour ces prochaines années, nous continuons de prévoir un fort développement, notamment géographique.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.