TECHNOPHILE

Les pépins d’Apple

Apple a forgé son succès sur le design de ses produits. Mais la firme californienne a connu plusieurs ratés récents. Symptômes d’un mal plus profond?

Dans l’informatique, il y a Apple, et il y a les autres. Depuis le début de sa période d’or à la fin des années 1990, marquée par le retour aux commandes de Steve Jobs et le lancement de l’iMac, la firme de Cupertino n’a cessé d’innover en prônant un design total. «Apple a toujours voulu rendre l’informatique le plus accessible possible, comme c’est le cas de l’électroménager, explique Anthony Nelzin, rédacteur pour le site spécialisé MacGeneration. On ne réfléchit pas à la façon de se servir de son lave-vaisselle, on l’utilise et il fait ce qui est prévu.» Cette conception du design, la société l’a appliquée à tous ses produits, de l’iPod à l’iPhone. C’est leur simplicité d’usage et leur esthétique minimaliste et épurée qui ont fait leur succès.

Mais la pomme se craquelle: dernièrement, Apple a multiplié les faux pas, de l’antenne déficiente de l’iPhone 4 à l’échec cinglant de l’application Maps (lire ci-dessous). Par ailleurs, l’emploi du skeuomorphisme dans l’interface graphique, soit le développement d’éléments virtuels reproduisant des objets physiques (par exemple le cuir pour imiter un véritable agenda), suscite un débat de plus en plus vif. Encouragée à l’époque par Steve Jobs, cette pratique est jugée démodée et déstabilisante pour les utilisateurs par de nombreux designers, dont des anciens d’Apple. «Si l’on parle du design en tant qu’esthétique industrielle, on peut sans doute dire qu’Apple a connu quelques ratés ces dernières années», reconnaît Anthony Nelzin.

Selon lui, ces problèmes découlent principalement de la «tension entre art et application», à laquelle l’entreprise californienne est particulièrement confrontée. «L’iPhone 4 est un bon exemple: son système d’antenne externe est magnifique d’un point de vue esthétique, mais il a entraîné l’«Antennagate».»

Pour l’analyste technologique américain Rob Enderle, la disparition de Steve Jobs, en octobre 2011, pourrait favoriser l’apparition de ce genre de couacs: «Contrairement au nouveau CEO Tim Cook, Steve Jobs était un micromanager extrêmement proche du produit, un style de conduite peu courant pour le patron d’une société de cette taille. Il se chargeait personnellement du contrôle de qualité avant la commercialisation, alors que Tim Cook a tendance à déléguer beaucoup plus.»

Si Apple n’est pas le seul fabricant à commettre des erreurs, son hégémonie en matière de design apparaît aujourd’hui comme vacillante. «La domination exercée par Apple depuis une dizaine d’années semble être terminée, juge carrément Rob Enderle. Dans le secteur des smartphones, c’est désormais Samsung qui donne le ton. Dans le sillon de la société coréenne, toutes les marques ont augmenté la taille de leurs écrans, Apple y compris.»

Les difficultés de la pomme se reflètent dans son organisation interne, en plein bouleversement. En octobre dernier, l’exécutif a été remanié. Parmi les victimes de cette restructuration figure Scott Forstall, le père d’iOS (le système d’exploitation mobile d’Apple), qui quittera la firme cette année. Présent au côté de Steve Jobs depuis les années 1990, Scott Forstall, également partisan du skeuomorphisme, a été poussé vers la sortie suite au fiasco de l’application Maps. Il aurait refusé de cosigner la lettre d’excuses adressée aux utilisateurs par Tim Cook. Parallèlement, Jonathan Ive, déjà responsable du design et numéro deux d’Apple, s’est vu confier le développement de l’interface. Il n’avait jamais été en bons termes avec Scott Forstall.

Pour l’heure, difficile de prédire l’impact de ces changements internes sur le design d’Apple. «On peut s’attendre à une plus grande unification entre iOS et OS X (le système d’exploitation des ordinateurs d’Apple), puisqu’il n’y aura plus qu’une seule personne responsable de l’apparence des deux (Jonathan Ive)», avance Anthony Nelzin, de MacGeneration. Mais l’évolution dépendra aussi des décisions du nouveau chef d’Apple. Or, ce dernier est perçu par beaucoup comme un conservateur. «Tim Cook paraît se reposer sur ses lauriers, souligne l’analyste Rob Enderle. A la différence de Steve Jobs, il semble moins enclin à prendre des risques.»
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«Antennagate»

Peu après sa sortie en 2010, l’iPhone 4 a défrayé la chronique pour des ennuis d’antenne. Des utilisateurs ont remarqué que le signal diminue fortement lorsque l’appareil est tenu par le coin inférieur gauche, à cause du pourtour métallique servant de récepteur. Apple a réagi notamment en distribuant des «bumpers» en plastique gratuits à placer autour du téléphone pour remédier au problème. Avant cela, le fameux «tenez-le autrement» lancé par Steve Jobs en réponse à une plainte par e-mail avait suscité de nombreux sarcasmes.

Bouton «retour»

Le manque d’un bouton «retour» physique sur l’iPhone, en plus du bouton principal, est considéré comme l’un des plus gros points faibles de l’appareil en comparaison avec ses concurrents. «Il devient difficile de s’en passer», juge le spécialiste en nouvelles technologies Xavier Studer. Une absence d’autant plus remarquée sur l’iPhone 5, dont l’écran est passé de 3,5 à 4 pouces: la touche de retour en arrière tactile, située en haut à gauche de l’écran, est devenue très difficile d’accès à une seule main.

iTunes

«iTunes a désespérément besoin d’une refonte complète», estime l’ingénieur informatique zurichois Lukas Mathis, qui a analysé sur son blog la 11e version de la plateforme. Le blogueur critique en particulier la nouvelle barre des tâches, très peu pratique. Un avis partagé par Anthony Nelzin, rédacteur pour le site spécialisé MacGeneration: «Un certain nombre de vieux bogues n’ont pas été réglés et, surtout, l’interface a été considérablement compliquée sous prétexte de faire joli.»

Rayures

Les finitions soignées de l’iPhone 5 constituent paradoxalement l’un de ses défauts. Le chanfrein poli qui sert de raccord entre les tranches et les deux faces de l’appareil s’abîme facilement. «Il s’agit d’un exemple dans lequel l’esthétique a compromis la fonction, analyse Anthony Nelzin, rédacteur pour le site spécialisé MacGeneration. Certains appareils sont arrivés rayés de l’usine, et le moindre choc entraîne des rayures ou des bosses.» Un problème qui affecte surtout les modèles noirs.

Maps

La gare d’Helsinki remplacée par un parc, une partie de l’Arc lémanique attribuée à la France, des ponts imaginaires et des rues déplacées: les défauts de l’application de cartographie Maps développée par Apple — compilés sur le site «The Amazing iOS 6 Maps» — sont si nombreux que Tim Cook, le patron de la marque à la pomme, s’en est excusé publiquement en septembre dernier, un fait rarissime. Ironie de l’histoire, il a proposé d’utiliser à la place Google Maps, qui avait justement été retirée au profit de l’application d’Apple…
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 1 / 2013).