CULTURE

Quand le diable illustre la misère de la pub suisse

Trois figures diaboliques sont apparues dans la presse de Pâques: qu’il s’agisse de vendre des bières, des communications téléphoniques ou des conseils de santé, Satan est mauvais communicateur.

Comme chaque année à pareille époque, Dieu s’est montré très présent en ce week-end pascal. La plupart des médias lui ont consacré sondages et dossiers spéciaux. Mais cette fois-ci, nouveauté: tandis que le divin occupait les pages rédactionnelles des journaux, le diable s’immiscait discrètement dans leurs espaces publicitaires.

Est-ce un hasard? Il y a eu tout d’abord un article de L’Hebdo (page 27)
consacré aux «croyants non pratiquants», ces mauvais paroissiens qui ne vont à l’église que pour s’y marier ou baptiser leur progéniture. Les prêtres s’en inquiètent et Satan ricane: «Join the party», lance le diable de la publicité Cardinal placée juste en face de l’article, comme pour détourner les lecteurs du chemin des églises. Ecarlate, doté de cornes et d’une barbe pointue, le démon apparaît ici en barman grotesque d’une mauvaise discothèque.

Même incursion diabolique dans le magazine du Tages Anzeiger. «Was ist Gott? Die Antwort», peut-on lire en couverture de ce numéro de Pâques entièrement consacré à Dieu. Plusieurs représentations du divin, depuis Veronese jusqu’à Terry Gilliam, illustrent le cahier spécial du journal zurichois. Mais en page 62, c’est à nouveau Satan qui apparaît, sous la forme cette fois-ci du Dr. Luzi Fehrs, créature publicitaire de la Fondation suisse pour la promotion de la santé (FSPS). Il a l’apparence d’un quadragénaire légérement grisonnant, blafard mais propre de sa personne; il pourrait même ressembler à un fonctionnaire fédéral s’il n’avait ces cornes au dessus du front.

Le même personnage démoniaque, rebaptisé justement Docteur D. Moniack, surgit dans l’édition pascale de dimanche.ch: «Mangez du gras, empiffrez-vous de graisses animales, et n’oubliez pas de vous bourrer de sucreries tous les jours.» Le message se veut lourdement ironique, comme le précise le reliable cialis generic de la FSPS: «C’est un diable qui annonce aux gens ce qu’ils doivent faire pour mieux s’abîmer la santé.» Merci, on avait compris.

Et comme si cela ne suffisait pas, Satan se montre également depuis quelques semaines dans la pub de l’opérateur télécom Multilink, qui utilise un vieux dragueur déguisé en diable d’opérette (deux excroissances pointues sur le crâne, encore) pour faire passer ce pauvre message: «Téléphoner dans toute la Suisse au tarif local. Diablement bien pensé!»

Que peuvent bien signifier ces apparitions diaboliques à répétition dans la publicité suisse? Que l’alcool, la malbouffe et les télécoms constituent les dernières tentations de l’homme moderne?

Pas tout à fait. Car là où la FSPS considère le démon au sens proprement maléfique, en invitant le consommateur à ne pas suivre ses conseils, Multilink et Cardinal sous-entendent au contraire qu’il est plus malin que le commun des mortels: il s’agit donc de lui ressembler pour «join the party» ou profiter du «tarif local dans toute la Suisse» («voilà pourquoi les managers d’enfer choisissent cette solution», conclut sans humour l’opérateur télécom).

Que le diable puisse servir à la fois d’exemple et de contre-exemple dans trois campagnes simultanées ne dit finalement pas grand chose de notre rapport au bien et au mal, sinon que les repères semblent brouillés. Ce voisinage est en revanche très révélateur du manque d’imagination de la pub suisse, enfermée dans ses schémas paternalistes et autoritaires: faites comme ceci, ne faites pas comme cela et tout ira mieux.

A ce titre, la campagne de la Fondation suisse pour la promotion de la santé se montre terriblement puritaine: «Je donne aux Suisses les meilleurs conseils pour ne pas abuser de leur corps, dit le Docteur D. Moniack sur son site. Car à l’époque où les jours rallongent et où le printemps arrive, ces pauvres gens sont en danger: ils pourraient avoir envie d’aller se promener, de faire du jogging, peut-être même de courir (appréciez la nuance, ndlr)! Alors qu’il est si bon de se vautrer devant la télé avec un paquet de cigarettes, tout en bouffant des chips accompagnées d’un pack de bières.»

La Fondation suisse pour la promotion de la santé ne précise pas s’il s’agit de bière Cardinal. Quoiqu’il en soit, le brasseur fribourgeois n’en a cure puisqu’il semble assumer son caractère diabolique. Le grand perdant, dans toute cette affaire, est le diable en personne: instrumentalisé par les créatifs suisses, il ne réussit ni à faire peur, ni à faire envie.