TECHNOPHILE

Un bébé à la carte

Le peuple suisse votera sur l’autorisation du diagnostic préimplantatoire, qui permet d’éviter certaines maladies génétiques. Une pratique qui n’est pas à l’abri de dérives. Explications.

Tous les futurs parents se posent un jour la question: à qui le nouveau-né va-t-il ressembler? Mais avant tout, ils espèrent avoir un bébé en bonne santé. Hélas, conçu naturellement, un enfant ne bénéficie d’aucune garantie sur son apparence et son comportement. Si l’on en croit certains gros titres, toutefois, la science pourrait bientôt offrir une alternative: un monde où les bébés peuvent être commandés intelligents et beaux, aux yeux bleus ou bruns, épargnés par les maladies et des handicaps.

Un vrai bébé à la carte demeure pour l’instant du domaine de la science-fiction. Mais des sélections ont déjà lieu. Chaque fécondation in vitro (FIV) sélectionne uniquement les embryons avant de les implanter dans l’utérus: ils sont triés soit trois jours après la conception, selon le rythme de leur division cellulaire, soit au cinquième jour, en se basant sur la densité des cellules qui donne une bonne indication sur la capacité de l’embryon à s’implanter et à se développer normalement.

Des couples qui présentent un risque de maladie héréditaire — ou qui veulent avoir l’esprit tranquille — peuvent aller plus loin et opter pour le diagnostic préimplantatoire (DPI). Leur embryon sera examiné pour dépister tout risque d’anomalies génétiques — une procédure légale dans de nombreux pays, à part la Suisse, l’Italie, l’Autriche et l’Irlande.

Une pente savonneuse

Le diagnostic préimplantatoire peut être utilisé pour détecter de nombreux problèmes génétiques. Il s’agit la plupart du temps de maladies rares et monogéniques (liées à la mutation d’un seul gène dont la présence donne 100% de probabilité à la maladie). Mais ces dernières années, le DPI a également été employé dans des situations où ce risque était moins élevé.

En 2009, la procédure a dépisté pour la première fois des variations du gène BRCA1, qui augmentent l’occurrence du cancer du sein d’environ 60 à 80% et celui des ovaires de 50%. Au lieu de les éviter, la technique peut également rechercher certaines caractéristiques, comme dans le cas des «bébés-médicaments»: leur système immunitaire est sélectionné pour être compatible avec celui du frère ou de la sœur malade, afin de rendre possibles des transplantations de cellules souches.

Cet élargissement progressif du champ d’utilisation du DPI nourrit des craintes: pour certains commentateurs, la procédure se dirige vers une pente savonneuse qui mène tout droit à un eugénisme digne de «Brave New World», le roman d’anticipation d’Aldous Huxley. Des formes rares d’obésité sont par exemple liées à un seul gène qui régule l’appétit alors que plusieurs variations génétiques déterminant la couleur des cheveux, des yeux ou de la peau ont été cartographiées, notamment au sein de populations islandaises et néerlandaises. Une sélection pour éviter ces gènes pourrait se justifier afin de réduire les risques de cancer de la peau, de maladies cardiaques ou de diabète. Mais la crainte est de voir une telle sélection pratiquée à des fins purement cosmétiques.

Couleur des yeux, des cheveux et de la peau

Jeffrey Steinberg, directeur de la clinique «Fertility Institutes» à Los Angeles a fait la une de la presse internationale en 2009 lorsqu’il a déclaré vouloir offrir aux parents la possibilité de choisir des caractéristiques comme la couleur des yeux et des cheveux. Ces nouvelles options étaient disponibles dans le cadre de son service de «family balancing» — un joli euphémisme pour la sélection du sexe de l’enfant, une pratique légale aux Etats-Unis mais bannie dans le reste du monde.

L’annonce du docteur Steinberg a suscité des images de bébés-Frankenstein fabriqués sur mesure, mais le médecin a battu en retraite suite à la frénésie médiatique et un appel du Vatican. Il défend toujours son concept: «Techniquement, on peut le faire, mais on a mis le holà à cette possibilité, indique-t-il. Selon moi, l’idée reviendra, mais je ne pense pas que les gens soient déjà prêts.» Désormais, il collectionne des échantillons de sang de personnes particulièrement grandes ou athlétiques — avec l’idée d’isoler les gènes déterminant ces caractéristiques.

Le diagnostic préimplantatoire ne permettra cependant jamais de fabriquer un bébé à volonté, car ce dernier ne dispose que de la combinaison des génomes des deux parents. Si ceux-ci ne portent pas de gènes liés à une intelligence ou musculature particulières, leurs enfants ne pourront pas en hériter. Et avec seulement huit embryons en moyenne par cycle de fécondation in vitro, la procédure de sélection a des limites importantes.

Un embryon humain génétiquement modifié

Aller plus loin — éliminer un gène problématique ou en ajouter un nouveau — devra se frotter au génie génétique. L’idée n’est pas complètement utopique: des scientifiques peuvent déjà implanter l’ADN d’une femme dans l’ovule d’une donneuse afin d’éviter des problèmes liés à l’ovocyte, comme par exemple une mitochondrie défectueuse (un organite cellulaire transmis de la mère à l’enfant). Et cela fonctionne: une fois fécondés, ces ovules modifiés donnent naissance à des embryons viables. La procédure est très polémique, car l’embryon contiendra l’ADN de trois personnes (la mitochondrie a son propre ADN) et aura, techniquement parlant, deux mères. L’autorité de régulation britannique, la «Human Fertilization and Embryo Authority», a donné son feu vert en mars 2013 à ces pratiques, au cas par cas.

Le vrai fantasme — ou le pire cauchemar, selon le point de vue — reste l’insertion d’un gène totalement nouveau dans un embryon. En 2007, une équipe menée par Nikica Zaninovic du Weill Medical College de l’Université de Cornell (Etats-Unis) a inséré un gène codant une protéine fluorescente dans un embryon humain. Ce gène servait uniquement à rendre visible l’embryon avant qu’il ne soit détruit, car ce dernier était déjà fortement endommagé et donc non viable. Mais cette expérience a évidemment déclenché une tempête médiatique car des commentateurs ont souligné que si ce gène pouvait être introduit, d’autres gènes pourraient l’être également. La boîte de Pandore était ouverte — au niveau technique tout du moins.

La technologie pour insérer le bon gène au bon endroit reste néanmoins loin d’être parfaite. De plus, très peu de caractéristiques sont déterminées génétiquement de façon simple. Les variations de taille sont certes à 80% génétiques, mais elles impliquent plus de 50 gènes. La variation de chaque gène change la taille de moins d’un centimètre, selon le généticien Peter Visscher, du Queensland Institute of Medical Research en Australie.

Ce constat concerne n’importe quelle caractéristique complexe, souligne Robert Plomin, expert en génétique du comportement au King’s College de Londres: «Pour des traits tels que les maladies mentales, l’obésité ou les capacités cognitives, nous ne parlons pas de quelques gènes mais de centaines ou de milliers. Utiliser le génie génétique pour insérer des centaines de gènes dans un seul embryon ne me semble pas du domaine du possible.»

Plus étonnant: si le diagnostic préimplantatoire permet d’éviter tout handicap physique, la procédure peut aussi viser à sélectionner ces mêmes caractéristiques — a priori, l’antithèse du bébé parfait. En 2002, une femme sourde a obtenu du sperme d’un proche également sourd, dans le but de concevoir un enfant atteint de surdité. Elle a réussi: son fils est né l’année suivante, avec une très faible ouïe dans une seule oreille.

Une étude menée en 2006 par l’Université Johns Hopkins (Etats-Unis) a déterminé que 3% des centres de fertilité avaient été approchés pour accomplir cette sorte de sélection négative — bien qu’aucun ne l’ait admis publiquement. La perspective de concevoir des enfants parfaits fascine autant qu’elle inquiète. Mais la combinaison de la science et de la nature humaine pourrait bien nous amener à un constat étrangement familier: la perfection, finalement, est une notion très personnelle.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.