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Guérir en dansant

Les médecins sont de plus en plus nombreux à penser que la danse, la musique ou la peinture peuvent intervenir dans le traitement des maladies. Les barrières entre pratique médicale traditionnelle et alternative s’estompent.

Echanger son psy contre un pinceau ou un lecteur MP3? Tentant, mais malheureusement pas efficace. Ou plutôt, pas efficace tout seul. Actuellement, la combinaison entre les thérapies alternatives (art thérapie, musicothérapie…) et la médecine traditionnelle (médicaments, chirurgie, psychothérapie) gagne fortement en reconnaissance. Les barrières entre pratiques médicales traditionnelles et complémentaires s’estompent de plus en plus. Ce qui permet de personnaliser toujours davantage les traitements.

Elodie Lévy Gerber, infirmière, thérapeute avec le cheval et intervenante à la Haute école de travail social et de la santé (EESP) à Lausanne, voit dans ce qu’on appelle le «pluralisme médical» une solution d’avenir. «Le monde de la santé prend aujourd’hui conscience que, lorsque les thérapies classiques ne suffisent pas, il ne faut pas hésiter à recourir à des formes de prises en charge privilégiant d’autres canaux de communication que le plan verbal. Pour certaines pathologies, notamment psychiques, il devient nécessaire de se diriger vers un traitement pluridisciplinaire.»

Hôpitaux et médecins sont nombreux à avoir adopté cette philosophie éclectique de la médecine. Au CHUV par exemple, les patients souffrant de troubles psychiques sévères peuvent assister à des ateliers artistiques. «Qu’il s’agisse de peinture, de vidéo ou de sculpture, la création artistique représente un moyen très efficace d’exprimer ses émotions, souvent davantage que la parole, note Charles Bonsack, médecin-chef au Département de psychiatrie de l’hôpital vaudois. Les travaux peuvent ensuite être exposés. Cette démarche inclut ainsi un travail tant relationnel, émotionnel que psychologique avec le patient.» A noter que ce type de thérapie ne concerne pas uniquement les troubles psychiques. Il contribue de plus en plus à la guérison de pathologies physiques, en complément à une chirurgie ou une prise de médicament. «L’art ou la musique peuvent intervenir dans le processus de guérison de toute maladie qui bouleverse l’identité du patient», assure le médecin.

Les médecines complémentaires ont également conquis les consommateurs. «Ces médecines sont qualifiées de douces, naturelles, soignant la personne tout entière, sur le long terme, et donc la cause profonde du problème», explique Hélène Martin, professeure à l’EESP, qui a mené une étude sur la qualification sociale des médecines non conventionnelles.

Médecines conventionnelles et complémentaires ne jouissent en revanche pas du même statut auprès de l’assurance obligatoire des soins: en Suisse, seules cinq d’entre elles (la médecine anthroposophique, l’homéopathie, la thérapie neurale, la phytothérapie et la médecine traditionnelle chinoise) sont actuellement remboursées et à certaines conditions. Motif: «A ce jour, il n’a pas été possible de prouver que ces médecines remplissent pleinement les critères égaux d’efficacité, d’adéquation et d’économicité», selon l’Office fédéral de la santé publique.

D’où la nécessité pour les thérapeutes alternatifs, souvent réunis en association par spécialité, de prouver scientifiquement les performances de la méthode qu’ils pratiquent. Actuellement, plusieurs recherches en cours tentent de démontrer l’efficacité de ces médecines complémentaires.

L’Association suisse de thérapie avec le cheval (A.S.T.A.C.) se bat par exemple pour faire reconnaître ses traitements. Sa pratique inclut l’animal dans la prise en charge de patients souffrant de handicap physique ou mental, mais aussi de dépendances ou de troubles alimentaires. «Il s’agit d’un gros chantier qui avance progressivement, se réjouit Elodie Lévy Gerber, membre du comité de l’A.S.T.A.C. La recherche scientifique sur cette méthode se développe et nous sommes toujours davantage sollicités, en tant que thérapeutes, par les institutions de soins.»

Alexia Stantzos, professeure à la Haute école de santé Vaud (HESAV) et infirmière spécialiste au Département de psychiatrie du CHUV, mène de son côté une étude sur l’impact de l’écoute musicale dans les chambres de soins intensifs des hôpitaux psychiatriques. «Il existe très peu de données sérieuses sur le sujet pour l’instant. Notre expérience a démontré que la musique facilite la relation soignant-patient. Par exemple, lorsqu’un infirmier entre dans la chambre, il peut poser des questions au patient sur la musique qu’il a écoutée (Quel titre avez-vous apprécié? Qu’avez-vous ressenti?). La musique possède une capacité exceptionnelle de mobilisation des émotions dont nous pouvons tirer parti en soins infirmiers. Face à une personne qui a du mal à communiquer, cet art, qui véhicule beaucoup d’émotions, se révèle donc précieux. Par ailleurs, le silence régnant dans la pièce peut parfois être une source d’angoisse, que le son peut éviter.»

La prise en charge de l’obésité par la danse fait aussi l’objet d’une étude. «Nous pensons que la danse est bénéfique à la mobilité et à la posture des personnes en surpoids», note Lara Allet, professeure à la Haute Ecole de santé (HEdS) à Genève, qui dirige un projet de recherche à ce propos au sein des HUG. La danse thérapie doit prouver scientifiquement que son utilité va au-delà de la simple séance d’exercice physique: «Cette méthode semble aider les patients atteints de maladies chroniques, telles que diabète, obésité ou dépression à se reconnecter avec leur corps», observe la thérapeute. Sans oublier le plaisir et la sociabilité que ces séances prodiguent.

En attendant que les recherches en cours délivrent leurs résultats, les bienfaits de la peinture ou de l’équitation pour une personne malade ne sont pas encore pris en charge par l’assurance-maladie en Suisse. Le pluralisme médical, même s’il est pratiqué et reconnu par les médecins et les patients, doit encore se faire accepter politiquement.
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Trois questions à Hélène Martin, Sociologue et professeure à l’EESP

Vous avez mené une étude sur l’usage des médecines complémentaires et scientifiques. Est-ce que ces pratiques intéressent les Suisses?

Oui, ce qui ne signifie pas que les personnes qui y recourent se détournent de la médecine scientifique. Face à une maladie jugée grave, les patients se dirigent sans hésitation vers les médecines scientifiques, considérées comme efficaces, chimiques et soignant rapidement le symptôme. Ces médecines restent donc une référence centrale en cas de maladie. Les médecines complémentaires sont qualifiées de plus naturelles, soignant la personne entière ou «en profondeur»; elles sont plutôt utilisées préventivement ou pour accompagner un traitement en médecine scientifique et en atténuer les effets néfastes.

Comment expliquez-vous cette différence?

Ce système de représentations est une expression des dichotomies socio-historiquement construites entre esprit et corps, science et nature, etc. Et le projet d’intégrer ces paires opposées peut être rattaché au scepticisme à l’égard des promesses du progrès et de la science qui a émergé partout en Occident dès les années 1970. C’est d’ailleurs cette opposition idéologique qui crée la complémentarité, prônée aujourd’hui pour assurer un traitement «complet», justement.

En ne remboursant pas les médecines complémentaires, l’assurance obligatoire ne les considère pourtant pas comme nécessaires au traitement…

Le système suisse d’assurance maladie fonctionne sur l’idée que les assurés consomment les soins, un peu comme devant un buffet (plus il y a de choix, plus on se sert) et qu’il faut les responsabiliser. Ce n’est pas du tout ce qu’on a observé. Les assurés sont assez perdus dans ce système très complexe, ne sachant souvent pas ce qui va ou non leur être remboursé, ni par quelle assurance. Ils recourent aux différentes médecines en fonction non pas de critères économiques mais de convictions basées sur les représentations dont nous venons de parler, se sentant responsables de prévenir la maladie et s’impliquant dans le processus de guérison. Parce qu’il est peu lisible et qu’il sépare des médecines utilisées conjointement, on peut dire que le système suisse d’assurance-maladie est dysfonctionnel.
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (volume 5).