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Handicap et travail, la difficile équation

Les personnes handicapées restent défavorisées sur le marché de l’emploi. Mais certaines entreprises jouent le jeu de l’ouverture et ne le regrettent jamais.

Pierre Margot-Cattin se déplace en fauteuil roulant depuis son plus jeune âge. Son diplôme d’avocat en poche, il a tout connu: les candidatures sans réponse, les entretiens joués d’avance, puis le chômage. Avant qu’il ne s’installe en tant qu’indépendant pendant près de dix ans. Il est ensuite retourné sur les bancs de l’université pour devenir anthropologue. A nouveau, il s’est confronté aux affres de la recherche d’emploi. Jusqu’à ce poste de professeur à la HES-SO Valais-Wallis-Haute Ecole Sociale de Sierre, qu’il décroche quasi-instantanément. «Je suis arrivé face à des gens avant tout intéressés par mon profil et mes aptitudes pour le poste.» Normal… sauf que Pierre Margot-Cattin a toujours vu son handicap primer sur ses compétences.

Signe d’une évolution majeure du monde du travail? «Depuis une dizaine d’années, le terme de «handicapé» disparaît au profit de «personne en situation de handicap», qui prend en compte la personne et son environnement, observe Geneviève Piérart, professeure à la Haute Ecole fribourgeoise de travail social. Une personne en fauteuil ne sera plus en situation de handicap si, pour accéder à un bâtiment, une rampe est à sa disposition. En termes d’insertion professionnelle, on se focalise de plus en plus sur l’environnement de travail de la personne et sur la façon dont l’entreprise peut évoluer, s’adapter.»

C’est précisément en ce sens que vont les dernières révisions de l’assurance invalidité (AI). Fidèle à son leitmotiv «la réadaptation avant la rente», l’AI prend de plus en plus en charge les frais inhérents aux besoins du travailleur en situation de handicap, qu’il soit ou non bénéficiaire d’une rente: coaching pour la recherche d’emploi, prise en charge d’équipements, formations. L’assurance octroie également aux employeurs les aides nécessaires, comme la possibilité d’engagement à l’essai pendant 180 jours.

Alors, ateliers protégés, entreprises sociales ou marché primaire de l’emploi, où est-ce que les personnes handicapées ont le plus de chances de trouver un travail? Tout dépend de la situation de la personne, répondent unanimement les professionnels. Dès lors que l’on s’en approche, le monde du handicap se complexifie en autant d’individualités qui le constituent. Problème congénital, maladie évolutive, accident grave, parcours de formation professionnelle ou non, chaque situation est unique et requiert une approche attentive. «Mieux on peut individualiser les actions de recherche d’emploi et mieux c’est», constate Jean-Luc Rossier, professeur à la Haute Ecole de Santé de Genève (HEdS). Et les dernières révisions de l’AI permettent d’intervenir rapidement, ce qui est essentiel.»

Travailler à son rythme

L’un des principaux freins et levier de changement, c’est le monde du travail lui-même. Une enquête de la Confédération réalisée auprès des 26 offices AI cantonaux indique que ceux-ci sont parvenus, en 2012, à maintenir en emploi ou à insérer sur le marché du travail primaire près de 17’000 personnes atteintes dans leur santé. Parmi elles, 6’000 personnes ont signé pour un nouvel emploi.

Derrière ces chiffres, on trouve une pluralité de cas. Pour Sébastien De Carlo, directeur de l’entreprise Global-Line Services à Meyrin (GE), employer une personne en situation de handicap a représenté «le fruit du hasard, de la volonté et de la chance»: «Tout a commencé par une histoire d’amitié avec Jérémy. J’avais besoin de quelqu’un pour m’aider dans les travaux de secrétariat. J’ai créé un poste pour lui, où il a pu travailler à son rythme. Jérémy a réussi à s’intégrer dans l’équipe.» S’il ne l’avait pas rencontré, aurait-il entrepris une telle démarche? «Je ne sais pas, reconnaît l’entrepreneur en toute sincérité. Dans la réalité du terrain, ce genre d’initiative n’est pas automatique.»

D’où l’importance cruciale du travail d’informations et d’initiatives sur le terrain. A l’instar de celui mené par l’association genevoise Actifs, qui se mobilise pour l’intégration dans la vie active des personnes vivant avec une déficience intellectuelle: «Notre but est de permettre à chaque personne que nous suivons de s’intégrer pleinement au sein d’une entreprise, explique Anne-Laure Spitsas, directrice. Pour cela, nous nous axons sur ses forces, ses envies. Le coaching se poursuit dans la recherche d’emploi, la formation, et au sein de l’entreprise les premières semaines. Nous nous retirons alors progressivement, mais restons à disposition aussi longtemps que nécessaire.»

L’AI elle-même se veut très active dans ce domaine: «Notre priorité absolue consiste à éviter la désociabilisation des personnes, qu’elles soient ou non bénéficiaires d’une rente entière, explique Pascale Lilla, conseillère et coordinatrice emploi à l’AI. Mon travail est de tout faire pour mettre en avant les capacités de la personne que j’ai en face de moi, et de trouver l’entreprise où elle pourra les mettre à profit.» Pour cela, la professionnelle ne baisse jamais les bras: «Je suis là pour inciter les employeurs à ouvrir leurs portes. Cela demande du temps, de l’investissement, des explications… tout sauf du forcing. Il faut parfois y consacrer des mois.»

Pas de quota

Mais la démarche est parfois couronnée de succès. Pour preuve, le cas de Travys, l’entreprise de transports publics yverdonnoise. Elle a reçu en mars dernier un prix décerné par l’Association des entreprises d’intégration professionnelle. En trois ans, cette société de 154 salariés a pu engager 11 personnes en situation de handicap. «Nous avons d’abord rencontré des cas assez simples, des mécaniciens ou des chauffeurs, venant pour un stage et déjà bien formés. De fil en aiguille, nous avons pu prendre en charge des personnes aux situations beaucoup plus compliquées, se félicite Yvan Wenger, responsable des ressources humaines. Tous occupent aujourd’hui de vrais postes au sein de l’entreprise, et cela se passe au mieux.»

Les clés de ce succès? «Le partenariat avec l’AI y est pour beaucoup. Nous travaillons avec des conseillers efficaces, proactifs. La culture de notre entreprise fait le reste: les notions d’accueil, de transmission, de travail d’équipe se trouvent dans les gènes de la maison. Les personnes en situation de handicap sont intégrées comme les autres.» Aucun quota n’existe aujourd’hui en Suisse pour contraindre les entreprises à engager des personnes en situation de handicap.

Quant aux lois, on peut citer les principales, la LAI (Loi fédérale sur l’assurance invalidité), la Landh (Loi sur l’égalité pour les handicapés), ou les lois cantonales comme la loi du 31 janvier 1991 du canton de Vaud obligeant à 1% d’emplois en ateliers semi-protégés dans les collectivités locales. «Mais il n’existe pas de loi à proprement parler qui favorise l’intégration», déplore Pierre Margot-Cattin.

Le professeur place beaucoup d’espoir dans l’article de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU, que la Suisse devrait signer d’ici à la fin de l’année: «Elle poserait une base au niveau constitutionnel quant au droit à l’accès au travail pour tous. Ce serait le premier vrai article de la loi en ce sens.» Un soutien potentiel précieux dans le vaste travail qui se fait aujourd’hui pour que changent les représentations du handicap.
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«J’ai des difficultés à me concentrer, mais j’arrive à faire ce qu’on me demande»

Jérémy, 20 ans, Genève

Souffrant d’importants problèmes de concentration et d’apprentissage depuis très jeune, Jérémy, 20 ans, a connu un parcours scolaire chaotique. Il y a deux ans, la chance lui sourit enfin: il croise la route de Sébastien De Carlo. Ce jeune entrepreneur, directeur de Global-Line Services à Meyrin, est prêt à lui faire confiance et lui offre un emploi. Aidé dans son travail et son organisation par l’association genevoise Actifs, Jérémy s’intègre à l’équipe et endosse sa fonction avec professionnalisme. «Je m’occupe de la logistique des appels et de la saisie des informations. J’ai des lacunes en maths, des difficultés à me concentrer, mais j’arrive à faire ce qu’on me demande.» Plus qu’un travail, Jérémy a retrouvé un nouveau souffle: «Quand j’ai arrêté l’école, j’ai passé deux mois sans rien faire, c’était dur. Là, je fais quelque chose de mes journées, j’ai une vie sociale, un rythme à suivre, une structure. J’en ai besoin, sinon je serais un peu perdu.» Son avenir, il le voit dans le secrétariat, ou la vente: «J’en rêve, même si je sais que ce ne sera pas facile.»
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«Le travail est essentiel dans ma vie»

Rébecca, 25 ans, Lausanne

Rébecca Muller travaille depuis quatre ans au bar Grain de Sel à Lausanne, pour préparer les boissons. Agée de 25 ans, elle est même devenue une figure incontournable de ce restaurant du Groupe d’accueil et d’action psychiatrique (Graap). «Je suis là pour faire mon métier», explique simplement la jeune femme qui, quelques années plus tôt, a été victime d’un traumatisme crânien sévère dû à un accident de scooter. Après quatre mois de coma, plusieurs opérations et des années de rééducation, la jeune femme a entendu parler du Graap et de ses ateliers protégés. «C’était dur au départ: je ne peux presque plus me servir de ma main droite et mon champ visuel est rétréci du côté droit. Mais j’ai persévéré. Le travail est essentiel dans ma vie, j’adore le contact avec les gens, être là pour quelque chose. J’aimerais refaire le service, mais ma mémoire à court terme ne fonctionne plus, ce serait trop compliqué.» Sans jamais se défaire de son professionnalisme, Rébecca continue pourtant de faire des progrès et cherche sans arrêt à assumer de nouvelles tâches.
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (n° 5).