KAPITAL

Natura, le roi brésilien des cosmétiques

Leader incontesté du marché des soins corporels au Brésil, le groupe Natura jouit d’une aura et d’une popularité inédites. La firme fait aussi figure de modèle en matière de gestion sociale et environnementale. Portrait.

Derrière la vitre, les dizaines d’ouvriers en blouse blanche et bonnets multicolores s’activent parmi les robots. Chaque minute, ils fabriquent 200 bâtons de rouge à lèvres. Les machines tournent 24h/24, six jours sur sept, tandis que les objectifs et l’état de la production sont affichés en temps réel sur un immense tableau digital. Malgré le rythme soutenu, les conditions de travail sont exemplaires: les équipes sont autogérées, et pour diminuer la fatigue et le stress, les employés changent de poste toutes les heures et font dix minutes d’exercice par jour. Des tours d’air conditionné, placées stratégiquement à 3 mètres du sol, rafraîchissent les travailleurs.

Nous sommes au siège du groupe brésilien Natura, qui domine le secteur des cosmétiques au Brésil et se targue d’être «l’entreprise la plus appréciée du pays». Inauguré en 2001, cet écrin de verre et de béton aux formes audacieuses se trouve à Cajamar, à une trentaine de kilomètres au nord-est de São Paulo. Il a été dessiné par l’architecte brésilien de renommée internationale Roberto Loeb. Près de 5’000 personnes œuvrent sur le site, soit plus des deux tiers des effectifs de Natura. On y fabrique l’essentiel des produits de la marque, dans trois usines de 1’000 m2 chacune.

Ici, tout a été pensé pour améliorer le quotidien des salariés: une piscine, mais aussi un terrain de football indoor, une crèche de 200 places et même un salon de beauté leur sont accessibles gratuitement. A moins qu’ils ne préfèrent se retrouver autour d’un barbecue dans le parc de 12’000 m2 en bordure de forêt qui leur est réservé. «Etre employé chez nous, c’est un peu comme travailler chez Google», sourit Henrique Lima, le guide qui accompagne les visiteurs, devant la garderie baignée de soleil où s’agitent les bambins. Manifestement, ce champion des cosmétiques sait soigner son image.

Les installations se veulent aussi écologiques. Outre les panneaux solaires d’usage, les bâtiments sont parsemés d’ouvertures pour limiter l’éclairage artificiel et le complexe abrite sa propre usine de traitement de l’eau, d’une capacité de 300’000 litres par jour. Les lampes adaptent automatiquement leur intensité à la luminosité ambiante. Car en plus de prendre soin de ses collaborateurs, Natura a fait du développement durable son atout marketing numéro un. La firme a été classée deuxième compagnie la plus durable au monde en 2013 par le groupe de recherche canadien Corporate Knights, pour la deuxième année consécutive.

Pour fabriquer les parfums, lotions et crèmes de sa gamme Ekos, Natura s’associe directement avec des communautés amazoniennes, qui fournissent le fruit de la passion ou le cacao entrant dans leur composition. L’an dernier, le groupe a lancé un programme pour faire passer de 10 à 30% ces ingrédients issus de la biodiversité brésilienne dans ses cosmétiques, et porter à 12’000 le nombre de familles amazoniennes avec lesquelles il collabore. Natura a par ailleurs été l’une des premières entreprises à proposer, dès 1983, des recharges pour ses produits. Les tests sur animaux, quant à eux, sont interdits depuis 2006.

Boom des cosmétiques

Fondée en 1969 dans une boutique de São Paulo, la société a tiré profit, ces dernières années, de l’explosion de la consommation au Brésil. Dans un pays où l’apparence est reine, le secteur des cosmétiques, en particulier, progresse de manière phénoménale: il a affiché une croissance annuelle à deux chiffres depuis la seconde partie des années 1990, selon l’Association brésilienne de l’industrie de l’hygiène personnelle, de la parfumerie et des cosmétiques, propulsant le Brésil au rang de troisième marché mondial des soins pour le corps, derrière les Etats-Unis et le Japon.

Pour distribuer ses produits, Natura contourne la vente en magasins et s’appuie sur un réseau de 1,5 million de «consultants» indépendants, formés par des conseillers de la marque. Ces ambassadeurs, dont 94% sont des femmes, pratiquent le démarchage ou livrent sur commande, encaissant au passage une marge de 30%. Natura mise donc tout sur le networking: «Nous croyons dans le potentiel d’entrepreunariat des individus et dans la force des relations humaines», proclame Fábio Cefaly, responsable des relations avec les investisseurs.

En 2012, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de près de 3 milliards de francs, en hausse de 13,5% sur une année. A l’échelon national, la firme devance l’autre géant local O Boticário et la multinationale américaine Avon, dont le Brésil est pourtant le premier débouché. Porté par son succès commercial, Natura a fait son entrée à la Bourse de São Paulo en 2004, devenant l’une des premières sociétés principalement actives au niveau domestique à devenir publique. Depuis, le cours de l’action a bondi de plus de 750%.

Mais le marché brésilien croît aujourd’hui moins rapidement que les exportations. En 2012, les ventes à l’étranger ont progressé de 45,8% sur une année, contre 10,3% sur le plan interne, si bien que les activités internationales de Natura représentent désormais 13,1% de son chiffre d’affaires. Déjà active dans six pays d’Amérique latine en plus du Brésil, la compagnie a posé un pied en Europe en 2005 en ouvrant une boutique à Paris, son unique magasin «physique».

L’essor à l’international passe également par l’acquisition de marques étrangères. Au mois de décembre dernier, Natura a racheté 65% des actions de l’entreprise de cosmétiques australienne Aesop, présente dans une dizaine de pays, pour 64 millions de francs. «Cet investissement s’inscrit dans notre stratégie à long terme, explique Fábio Cefaly. Nous voulons nous aligner avec les sociétés d’envergure mondiale, exposées sur des marchés autres que l’Amérique latine.»
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NATURA EN CHIFFRES

1969
La date de fondation de l’entreprise dans une boutique de São Paulo par Luiz Seabra. Pour attirer ses premières clientes, il distribuait des roses dans la rue.

104
Le nombre de nouveaux produits commercialisés l’an passé. En 2012, 67,2% des ventes ont concerné des nouveautés lancées durant ces deux dernières années.

750%
La hausse du cours de l’action depuis l’entrée en Bourse de la société en 2004 jusqu’au mois de juin 2013.

1,5
En million, le nombre de consultants indépendants dans le monde, principal canal de distribution de la marque.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (n°3 / 2013).