KAPITAL

Les implants dentaires se démocratisent

Deux groupes helvétiques, Nobel Biocare et Straumann, dominent depuis longtemps le marché mondial des implants. Mais de nouveaux concurrents les poussent dans leurs retranchements. Analyse.

Ce sont les géants des implants dentaires: le groupe zurichois Nobel Biocare et le bâlois Straumann détiennent chacun 20% d’un marché global évalué à quelque 3,5 milliards de francs, devançant l’outsider américain Dentsply International. Plus largement, la Suisse foisonne de sociétés de toutes tailles reconnues dans le secteur de la santé dentaire, comme par exemple le groupe Coltène (950 salariés), spécialisé dans les matériaux odontologiques. La PME familiale FKG Dentaire, qui réalise 94% de son chiffre d’affaires à l’export, illustre également ce savoir-faire helvétique. Les produits conçus par ses 140 collaborateurs sont utilisés pour soigner les racines dentaires par des professionnels du monde entier.

Pourtant, si Nobel Biocare et Straumann ont connu des années dorées jusqu’en 2008, la contraction économique née de la crise a eu un impact très net sur ces groupes habitués à des rythmes de croissance à deux chiffres. «Deux raisons principales conduisent un patient à remplacer une ou plusieurs dents par un implant: l’âge ou un accident, rappelle Meret Gaugler, analyste pour le fonds Golden Age de Lombard Odier Investment Managers. Le marché dépend très fortement des choix économiques des patients âgés.»

Or, la pose d’un implant est une intervention relativement haut de gamme, justifiée par une durée de vie supérieure à celle d’une simple couronne ou d’un bridge. «Contrairement à d’autres prestations, l’essentiel du coût est assumé par le patient, remarque Nabil Gharios, gérant du fonds Biotech Promises. Les taux de remboursement des assurances santé européennes, qu’elles soient publiques ou privées, freinent le recours à ce type d’intervention.»

La pose d’un implant dentaire représente un investissement de plusieurs milliers de francs et, «en temps de crise, les acheteurs potentiels risquent d’opter pour des solutions plus accessibles», confirme Meret Gaugler. L’évolution du marché, particulièrement faible en Europe ces cinq dernières années, n’est qu’à peine meilleure aux Etats-Unis. Seuls les pays émergents — les BRIC en particulier — connaissent une croissance solide de 7 à 10%. Suffira-t-elle à compenser la morosité d’un marché européen qui représente encore 40% du marché mondial? Ce serait compter sans l’émergence de rivaux venus d’Allemagne (Camlog), des BRIC (Dentoflex, Derig, Beijing YHJ), de Taïwan (Anya Biochemistry) ou encore des pays de l’ancien bloc de l’Est (Aldo)…

Marges en baisse

«Le secteur connaît une recomposition structurelle profonde, constate Meret Gaugler. Les pionniers comme Nobel Biocare et Straumann ont vu apparaître une concurrence acharnée, capable de produire des implants dentaires à des prix nettement réduits. Rien ne permet de supposer a priori que leur qualité ou leur durée de vie soit significativement moindre que celle des produits haut de gamme.» La tendance ne ralentit pas: le nombre de sociétés présentes sur le marché a encore progressé de 30% au cours des deux dernières années.

Les groupes historiques en souffrent: Nobel Biocare a vu sa part du marché mondial tomber de 30% à 20% en cinq ans seulement. En quelques années, le cours de ses actions est passé de 45 à 10 francs, de 300 à 130 francs pour Straumann. En 2005, les marges d’exploitation de Straumann et Nobel Biocare dépassaient 30%. En 2012, elles n’étaient plus que de 14,8% pour Straumann et de 12% pour Nobel Biocare.

Les décennies de recherche qui ont permis à Nobel Biocare ou à Straumann d’innover (matériaux, biocompatibilité) ne les protègent plus aujourd’hui de ces concurrents capables de proposer des produits moins onéreux, mais largement suffisants pour répondre à la plupart des besoins des professionnels et de leurs patients. Les nouveaux entrants se sont inspirés de leurs technologies, mal protégées par des brevets que de légères modifications de design ou de fabrication permettent de contourner.

Pour des acteurs historiques traditionnellement positionnés sur des offres premium, l’équation n’est pas simple. A court terme, les deux groupes se sont engagés dans des opérations de restructuration interne, destinées à simplifier leurs organisations, à améliorer leurs marges opérationnelles et à réduire leurs coûts de production – au prix de quelques licenciements parfois: Straumann a annoncé fin 2012 la suppression de au moins 150 emplois, dont un tiers en Suisse. Nobel Biocare a pour sa part annoncé la nomination d’un nouveau directeur général.

Haut de gamme ou diversification

A long terme, les deux leaders suisses semblent adopter des stratégies différentes. Si Nobel Biocare paraît jusqu’ici privilégier une politique haut de gamme en s’orientant vers des produits de niche, Straumann semble se tourner vers une politique de diversification, pour développer une offre de prix moins élevés sur certains marchés. La prise de contrôle du brésilien Neodent, leader en Amérique du Sud, va dans ce sens.

«Les sociétés suisses ne vont pas prendre le risque de compromettre leur image sur les marchés européens ou américains, où leur positionnement premium est reconnu, ajoute Meret Gaugler. Elles peuvent par contre choisir de jouer sur des gammes de prix différentes, mais dans le cadre d’une politique multimarque.» Sauf surprise, ce n’est pas d’une innovation spectaculaire que pourra venir une reprise significative. «Les implants dentaires sont des produits qui donnent aujourd’hui toute satisfaction; la plupart des interventions ne nécessitent pas d’effort de recherche particulier. Les progrès récents sont des innovations de continuité, pas de rupture», remarque Nabil Gharios.

Le marché dentaire n’est pas menacé pour autant et les deux groupes suisses conservent un fort potentiel, en dépit de dividendes relativement faibles. A moyen terme et une fois menées à bien les mesures de réduction des coûts de production actuellement engagées, deux conditions pourraient permettre à ces sociétés de renouer avec de meilleures marges opérationnelles: la reprise du marché européen et leur capacité à investir les marchés en forte croissance.
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Un implant dentaire, c’est quoi?

Un implant dentaire est une racine artificielle — une vis en titane ou en zircone — insérée dans l’os alvéolaire pour remplacer une dent absente. Coûteuse, l’intervention a l’avantage de bénéficier d’excellents taux de réussite à long terme. En Europe, 4 millions d’implants sont vendus chaque année.
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 3 / 2013).