LATITUDES

Les petits secrets du cerveau

Les neurosciences commencent à expliquer la manière dont notre cerveau nous permet de lire, d’écrire et de compter.

Si vous êtes capable de lire ce texte, remerciez votre instituteur. Mais vous devriez également penser à une petite zone du cerveau située juste derrière l’oreille gauche. Le cortex temporo-occipital gauche joue un rôle crucial dans la compréhension de ce qui, autrement, ne ressemblerait qu’à un gribouillis. Et si vous pouvez saisir le sens des chiffres arabes, adressez vos remerciements aux lobes pariétaux: ce sont eux qui relient ces formes sinueuses au concept de nombre.

Aidés par l’imagerie cérébrale, les chercheurs en neurosciences ont pu associer des zones du cerveau à certaines formes d’apprentissage, ce qui a finalement débouché sur une nouvelle discipline scientifique: la «neuroscience éducationnelle». Peut-elle vraiment aider à améliorer nos capacités cognitives?

C’est une question de fond: après tout, «apprendre» constitue l’essence même du fonctionnement de notre cerveau, depuis quelques semaines avant notre naissance jusqu’à notre dernier souffle. C’est ce que nous faisons jour après jour, avec succès. Mais l’inné ne fait pas tout. Lire, écrire et calculer doivent être appris et impliquent des transformations importantes du cerveau. Ce sont ces modifications qui nous ont permis de faire ce dont aucune autre espèce n’est capable: aller sur la Lune, construire des bombes nucléaires et rédiger des romans à l’eau de rose.

Recycler la reconnaissance faciale pour lire

La priorité de tout système éducatif consiste à lire. Cette activité exige de la part du cerveau une bonne dose de créativité, selon le neuroscientifique Stanislas Dehaene du Collège de France à Paris. Dans son livre «Les Neurones de la lecture» (2007), le chercheur souligne le rôle de l’évolution dans ce processus.

Comme l’alphabet a été inventé il y a seulement quatre mille ans, le cerveau n’a pas eu le temps de s’adapter. Contrairement au langage, nous ne possédons pas à notre naissance de zones dédiées à la lecture. Nous avons donc été forcés de recycler une partie du système visuel employée à l’origine pour la reconnaissance faciale et des objets: le cortex temporo-occipital gauche qui, par chance, se trouve à proximité des zones du lobe temporal dédiées à la compréhension orale.

Lorsque nous apprenons à lire, ces régions du cerveau renforcent leurs connexions, de sorte que nous commençons inconsciemment à associer sons et lettres. Les circuits du discours oral avec lesquels nous naissons se retrouvent par ailleurs altérés, et nous finissons par entendre le langage de la manière dont il s’écrit. Les analphabètes ne peuvent pas reconnaître que les mots «dos» et «malade» contiennent le même phonème «d», explique Stanislas Dehaene. L’acquisition de la lecture engendre cette connexion, qui modifie notre perception du langage oral. Cela est dû, entre autres, à une réorganisation d’une partie du système auditif, le «planum temporal», qui renforce les liens entre les lettres et les sons.

Ces découvertes peuvent avoir un impact à l’école, car elles fournissent une légitimité scientifique à la méthode «syllabique» d’enseignement de la lecture: les élèves apprennent la sonorité de chaque lettre de l’alphabet et sont incités à produire des mots en assemblant ces sons. Puisque le cerveau est disposé à assimiler simultanément langage écrit et oral, il est tout à fait sensé de les relier dès les premières heures en classe. En revanche, la méthode «globale», qui implique de reconnaître des mots et phrases entières, s’en trouve quelque peu disqualifiée, puisqu’elle fait de la lecture un exercice purement visuel qui ignore les associations cérébrales entre sons et formes graphiques.

Compter grâce aux «neurones des chiffres»

Contrairement à ce qui se passe par la lecture, nous naissons avec au moins une partie des outils requis pour appréhender les chiffres. Des études sur des enfants ainsi que divers jeunes animaux (des singes aux rats, en passant par des chiots et même des poissons) ont montré que de nombreuses espèces possèdent un instinct pour les nombres. Ils maîtrisent les concepts de «nombreux», «peu nombreux», «plus» ou «moins», ce qui suggère un enracinement profond de ces notions dans nos cerveaux.

Cependant, l’utilisation de symboles abstraits pour manipuler les quantités — les chiffres — ne fait pas partie de notre équipement de base. Seuls les humains maîtrisent ce système, un exercice qui doit être appris et répété à chaque génération. Comme pour la lecture, nous avons dû composer avec certaines zones de notre cerveau, qui n’étaient pas dédiées à la compréhension des chiffres.

Des recherches sur des cerveaux de singes ont montré qu’une ligne de tissu cérébral nichée dans les lobes pariétaux situés juste au-dessus des oreilles, le sillon intrapariétal, contient des neurones de «chiffres approximatifs»: ils se déclenchent d’autant plus intensément que le nombre d’éléments qu’ils visualisent est élevé. D’autres neurones de ce sillon semblent même s’être accordés à certains chiffres précis et ne sont excités que lorsqu’ils les détectent. Ajoutez l’apport des zones rationnelles et logiques du cerveau et l’on obtient ce qu’on peut bien appeler la bosse des maths.

Des niveaux d’activité plus faibles dans le sillon intrapariétal ont été observés chez les personnes souffrant de «dyscalculie», un trouble de la compréhension des chiffres et des quantités, qui concerne environ 7% de la population. Il n’est cependant pas clair si ce sont ces différences cérébrales qui causent le trouble ou l’inverse.

Cette seconde hypothèse semble être appuyée par une récente étude de Karin Kucian, une neurobiologiste à l’Hôpital universitaire pédiatrique de Zurich. Après avoir utilisé quotidiennement pendant cinq semaines des jeux vidéo dédiés à l’enseignement des maths, les enfants arrivent à de meilleures performances aux tests d’arithmétique et montrent une augmentation de l’activité de leurs lobes pariétaux, qu’ils souffrent ou non de dyscalculie.

Ecrire: une gymnastique cérébrale salutaire

Le recours de plus en plus rare à l’écriture à la main, lié à la multiplication des ordinateurs et des smartphones, n’ôte en rien l’importance de l’écriture. Au contraire: l’imagerie cérébrale et les études comportementales ont montré que l’expérience physique de l’écriture favorise la mémorisation. Comme cette activité engage à la fois les mains, les yeux et le toucher, elle stimule simultanément plusieurs zones du cerveau.

«L’apprentissage de l’écriture est corrélé à l’activation de cinq régions cérébrales», explique Virgina Berninger, une psychologue de l’éducation à l’Université de Washinton à Seattle. Abandonner l’enseignement de l’écriture manuscrite à l’école ne semble pas être une bonne idée, même si les élèves passeront par la suite le plus clair de leur temps à taper sur des claviers ou à jouer du pouce. «Nos recherches suggèrent que les enfants devraient recevoir un enseignement «bilingue», en écrivant à la fois à la main et de manière électronique», explique la psychologue.

Apprendre en dormant

Faire travailler ses neurones ne sert pas seulement à réussir à l’école, c’est une activité qui nous accompagne toute notre vie. Elle pourrait même faire reculer la mort. De nombreuses études ont relié l’éducation et un risque réduit de démence à un âge avancé. Une recherche récente sur des hommes de 65 ans a, par exemple, conclu que ceux qui avaient bénéficié d’une formation supérieure pouvaient espérer éviter les troubles de la mémoire six ans de plus que les autres.

Apprendre et faire travailler les lobes frontaux renforcent notre capacité d’attention et des études semblent indiquer qu’il est possible d’entraîner son attention. Celle-ci peut certainement être aidée par le sommeil, l’aide la plus efficace pour l’apprentissage. Dormir s’avère crucial pour la mémoire, l’attention et la résolution de problèmes. Le sommeil régule les niveaux de glucose dans le sang et donc la quantité d’énergie disponible dans le cerveau pour apprendre.

La neuroscience rejoint finalement ce vieil adage utilisé par des générations de parents: aller tôt au lit, s’appliquer à l’école — et récolter les bénéfices toute sa vie.
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Comment le cerveau apprend

La plupart de nos capacités intellectuelles utilisent plusieurs zones du cerveau. Mais certaines régions sont connues pour leur spécialisation. Quatre exemples.

1. L’apprentissage par observation
Certains neurones excités lorsque nous faisons un mouvement s’activent également, mais de manière moins intense, lorsque nous observons une autre personne faire le même mouvement. Ces «neurones miroirs» nous permettent d’apprendre non pas seulement de nos seules expériences mais également de celles des autres. De tels neurones ont été identifiés dans l’aire motrice supplémentaire, qui joue un rôle dans l’accomplissement des mouvements, ainsi que dans le cortex médio-temporal. Une trace de l’action serait ainsi conservée en mémoire afin de pouvoir lui donner un sens.

2. L’apprentissage émotionnel
L’amygdale et l’hippocampe œuvrent de concert pour enregistrer les souvenirs émotionnels de manière plus efficace que les pensées plus indifférentes. L’amygdale transporte aussi des informations en provenance et en direction des lobes frontaux, où nous attribuons un sens aux émotions, les traitons et les supprimons.

3. La perception spatiale
Des études sur les chauffeurs de taxi londoniens ont montré que l’hippocampe, une zone utilisée pour se repérer dans l’espace, augmentait de taille à mesure que les chauffeurs apprenaient à naviguer à travers le labyrinthe des rues de la ville.

3. Le langage
Le langage est depuis longtemps associé à deux zones du cerveau: l’aire de Wernicke, qui traiterait la compréhension du langage, et l’aire de Broca (dans la partie avant-gauche du cerveau) qui se spécialise dans la parole. Les mots eux-mêmes semblent être classés dans tout le cerveau. Autre découverte intéressante: les personnes bilingues consacrent un seul emplacement spécifique à chaque concept, et ceci quel que soit l’âge auquel elles apprennent une autre langue. Ce sont les parties du cerveau associées à la prise de décision – le cortex préfrontal et les ganglions de la base — qui sélectionnent quelle langue utiliser en supprimant l’autre.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex (No 22).