CULTURE

Révolution numérique sur le marché de l’art

Le phénomène du e-commerce gagne le secteur de la création artistique. Après les sociétés de vente aux enchères Christie’s et Sotheby’s, Amazon a lancé avec succès sa plateforme en ligne.

Les chiffres ont de quoi impressionner. Avec le lancement l’été dernier de son nouveau catalogue dédié à l’art — plus de 40’000 œuvres en vente sur internet, dont des toiles de Juan Miró, Andy Warhol ou Salvador Dalí — Amazon compte bien se profiler comme le futur mastodonte du secteur.

Un pari risqué pour le géant américain? Pas le moins du monde, selon Thierry Ehrmann, président d’Artprice, société parisienne active dans le domaine du courtage d’œuvres d’art: «Jeff Bezos, le CEO d’Amazon, a bien compris l’ampleur du marché de l’art en ligne. Il n’investit que sur des secteurs sûrs. Le marché de l’art dans sa globalité représente aujourd’hui plus de 90 milliards de dollars, dont 80 milliards pour la vente de gré à gré et 12,6 milliards pour les enchères.»

Selon le président d’Artprice, le taux de vente en ligne avoisine les 47% et le phénomène des transactions numériques prend de l’ampleur. «Beaucoup de salles des ventes et de galeries quittent le physique pour se diriger vers le digital», constate-t-il.

«Il y a encore quelque temps, le secteur était réticent au commerce sur internet, mais aujourd’hui, de plus en plus de grands noms se tournent vers le digital», confirme Nicolas Galley, directeur d’études du Master en marché de l’art à Zurich. Ainsi, les maisons de vente aux enchères Christie’s et Sotheby’s offrent toutes deux la possibilité de miser en ligne lors des ventes. Les événements sont retransmis en direct sur leurs sites et il suffit d’être inscrit pour enchérir sur une œuvre.

La londonienne Christie’s est même allée plus loin. En décembre 2011 déjà, elle a organisé la première vente aux enchères exclusivement sur internet. Sur l’année 2012, le groupe a enregistré une augmentation de 39% de nouveaux acheteurs, ainsi qu’une augmentation de la fréquentation de son site de 11%. Et sur son chiffre d’affaires de 6,27 milliards de dollars (ventes aux enchères et privées confondues), un quart des transactions a été réalisé en ligne.

«Le commerce numérique a cet avantage qu’on peut voir les œuvres de près, en zoomant sur les détails d’un tableau par exemple. Dans la réalité, on a rarement l’occasion de s’approcher autant pour observer les objets», commente Thierry Ehrmann. Autre spécificité du numérique, sur Amazon en tout cas, la possibilité de filtrer les œuvres par thèmes, par style, mais aussi par taille, et même par couleur!

Avec l’essor des tablettes et smartphones, consommer de l’art devient aussi moins contraignant: «Les riches seniors utilisent ces outils pour acheter depuis n’importe où. L’acte d’achat est devenu nomade, tandis qu’avant il fallait se rendre dans un lieu physique pour enchérir ou acheter une pièce», commente le président d’Artprice, qui possède également une plateforme en ligne pour les enchères et la vente d’art. D’autres sites très courus comme Expertissim, Paddle8 ou Artsy sont apparus avant le nouveau catalogue d’Amazon. Paddle8 a levé à lui seul 6 millions de dollars en juin dernier auprès d’un pool d’investisseurs, parmi lesquels l’artiste britannique Damien Hirst — preuve que les célébrités du milieu croit en l’avenir digital.

Selon une étude de l’assureur Hiscox, 71% des collectionneurs qui ont acheté une œuvre en 2012 l’ont fait en se basant uniquement sur son image numérique, sans la voir concrètement. Et parmi ces acheteurs, l’Asie représente un nouvel eldorado.

Dans son «Rapport du marché de l’art 2012», Artprice relève que les ventes aux enchères ont rapporté 12,3 milliards d’euros, dont 41,3% en Chine. Et selon Hiscox, les Asiatiques seraient plus enclins (38%) à acheter en ligne des objets dépassant les 50’000 euros que les Américains (20%) et les Européens (15%).

Malgré l’ampleur du phénomène, les avis divergent sur la mort programmée des salles: «Les plateformes digitales ont leur place pour les pièces allant jusqu’à 20’000 euros. Au-dessus de 100’000 euros, la présence physique reste nécessaire», estime Nicolas Galley. Thierry Erhmann juge au contraire que la salle des ventes sera bientôt reléguée aux oubliettes: «Les artistes vont pouvoir se passer de l’intermédiaire des galeristes, affirme le président d’Artprice. Le marché de l’art va se dématérialiser, en particulier pour les œuvres qui valent plus de 50’000 dollars.»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 5 /2013).