LATITUDES

Les fausses promesses de l’enseignement à distance

Ainsi, les MOOC préfigureraient l’école de demain. Un scénario auquel le professeur et chroniqueur américain Dominic Pettman ne croit pas.

Comme l’économie, l’enseignement supérieur semble perpétuellement en crise, et les MOOC («Massively Open Online Courses» ou cours en ligne ouverts de masse) s’affichent comme un sauveur en puissance. Pour ses promoteurs, cette «révolution» de l’enseignement va régler tous les problèmes systémiques des études supérieures — et ceci grâce au génie d’internet. Les classes pourront grandir de 100 à 10’000 étudiants sans frais supplémentaires et la formation analogique va triomphalement se métamorphoser en un enseignement numérique hyper-accessible.

Pourtant, les professionnels de l’éducation ne s’enthousiasment guère pour cette vision techno-utopiste. Ils considèrent les MOOC comme un symptôme plus profond de la financiarisation des ressources, qui laisse les enseignants sur le terrain avec plus de responsabilités et moins d’argent – au moment même où la Silicon Valley, où se trouvent les fournisseurs des MOOC, se voit arrosée par des flots d’argent. De gros investissements publics destinés à l’éducation qui finissent dans les poches de sociétés privées.

Les questions de base sur la durabilité de ce modèle restent sans réponse, mais il semble d’ores et déjà clair qu’il ne compensera pas entièrement les facultés. Au contraire, on voit une armée d’assistants se charger de milliers d’étudiants — un modèle qui rappelle davantage «Metropolis» que «Le Cercle des poètes disparus». Sebastian Thrun, le cofondateur du fournisseur de MOOC Udacity, prédit que les Etats-Unis ne compteront d’ici à 50 ans pas plus d’une dizaine d’institutions d’enseignement supérieur. En voilà une belle utopie.

Pour les MOOC, l’enseignement ne diffère pas fondamentalement de l’industrie du divertissement: il s’agit de fournir du «contenu». Mais les universités ne sont pas que des hangars à information, sinon elles auraient disparu avec l’apparition des bibliothèques. Non, les universités sont des usines dynamiques, des laboratoires expérimentaux et des ateliers centripètes. Apprendre à penser à travers un modem, c’est un peu comme apprendre à danser en regardant des vidéos Youtube: on peut en tirer quelques enseignements, mais il manque quelqu’un qui pointe les erreurs, approfondit la compréhension, remet en question les perspectives et facilite l’assimilation.

Le rôle d’un éducateur n’est pas seulement de transmettre de l’information, mais aussi de forger de nouveaux types de connaissances et de tester de manière critique leur justesse et leur mise en pratique. La sagesse est peut-être éternelle, mais les connaissances pratiques et théoriques évoluent au fil du temps, et de manière exponentielle depuis un siècle. Beaucoup de choses peuvent être faites «en masse». Pas le véritable apprentissage.

L’idée n’est pas de chasser internet des salles de cours, mais de réfléchir à la façon de combiner le potentiel remarquable, quoique encore non testé, de la technologie numérique avec les notions essentielles d’engagement et d’interaction. Sauf que, révèle le site EdTechDev, «aucun des principaux fournisseurs de MOOC ne s’est adjoint, pour confectionner ses cours, les services d’un expert des sciences pédagogiques, des technologies de l’éducation, du design de cours ou d’autres spécialités liées à l’enseignement. Ils engagent beaucoup de programmeurs.»

Je pourrais sembler tenir le discours d’un luddite, réfractaire à l’intrusion d’une technologie qui menace son emploi. Rien de plus faux — j’ai enseigné la littérature romantique dans un laboratoire informatique. A la fin du semestre dernier, j’ai reçu un e-mail d’une étudiante, qui écrivait, avec une touche d’ironie, qu’elle n’aurait pas pu écrire un travail final aussi remarquable sans le «sentiment de déception» qu’elle avait ressenti chez moi lors de nos rencontres préalables. Cet exemple montre bien à quel point le langage non verbal peut pousser les gens à progresser. L’enseignement exige un guide sensible et réceptif. A défaut, l’apprentissage à distance se transforme trop souvent en un apprentissage distancié.
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Spécialiste de la culture des nouveaux médias, Dominic Pettman enseigne à l’université The New School de New York.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.