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Affaire privée, délit public

La campagne autour de l’initiative contre le remboursement de l’IVG montre que les grands principes s’accordent rarement avec les petites vies des hommes.

Huit millions. Peanuts pour les uns, insupportable scandale pour les autres. C’est en tout cas ce que coûtent les interruptions volontaires de grossesses annuellement à l’assurance de base. Soit 0,03% de l’ensemble des frais médicaux remboursés. Pour l’UDC, le parti évangélique ainsi que quelques PDC et radicaux qui soutiennent l’initiative «Financer l’avortement est une affaire privée», c’est évidemment encore trop.

L’argument principal figure dans l’intitulé. Choisir d’interrompre une grossesse serait un acte qui relèverait uniquement de la sphère individuelle. Autant dire d’un caprice, d’un simple confort, bref d’un pur égoïsme. Avorter, comme chacun sait, c’est tellement bon, cela fait tellement du bien. L’IVG devrait donc être exclue de la LAMAL et n’être plus remboursée que par des assurances voulues et complémentaires.

Voilà donc l’autre initiative à consonance blochérienne sur laquelle nous voterons le 9 février prochain. Non sans une certaine logique propre à ce parti. D’un côté un texte pour mettre le holà à une immigration jugée de masse, de l’autre le non-remboursement de l’IVG. Sans doute dans l’espoir vain d’inverser une tendance lourde et actuelle: un renouvellement de la population qui s’effectue désormais à travers un solde migratoire positif et non plus une natalité devenue flageolante.

L’espoir en somme de retrouver une Suisse plus suisse qu’elle n’est aujourd’hui et ne le sera demain. Une Suisse peuplée essentiellement de fils, petits-fils et arrière-petits-fils d’autochtones, ou à la rigueur d’enfants de secondos, qui restent à nommer: trecondos? Comme si ces choses-là se décrétaient. Comme si l’aryanisation de l’Allemagne avait été un franc succès.

Pas sûr pourtant que l’argument d’Alain Berset contre l’initiative soit le plus pertinent: présenter l’avortement comme un «acquis social» ne saurait convaincre les hésitants, tous ceux qui ne se résignent pas à considérer l’IVG comme un acte médical parmi d’autres, aussi banal que le traitement d’une grippe, ou comme une avancée particulièrement remarquable de la civilisation.

Au-delà des croyances, des convictions, des idéologies, on pourrait plus efficacement faire remarquer qu’interdire ou rendre l’avortement plus difficile d’accès n’en a jamais fait diminuer le nombre, mais en a sûrement décuplé la dangerosité.

Le conseiller d’Etat Freysinger, pour exclure l’IVG de la LAMAL, fait valoir lui qu’il ne veut pas payer pour un acte qu’il désapprouve. Serait-il prêt dans la même logique à exempter d’obligations et de taxes militaires quiconque se targuerait de convictions non-violentes? D’impôt quiconque se revendiquerait anarchiste? Si l’avortement est une affaire privée, les convictions profondes du conseiller Freysinger le sont tout autant.

Comme pour bien montrer que les beaux et grands principes s’accordent rarement avec la vie compliquée et concrète des hommes, les hasards de l’actualité font resurgir au même moment sur le devant de la scène la figure de Dominique Giroud. L’activiste anti-IVG valaisan qui s’était fait l’auteur dans les années 90 d’une campagne clandestine d’affichage contre des politiciennes pro-avortement et invoquait alors «le droit et le devoir moral d’intervenir» ainsi que l’autorité du pape.

On ne sait de quelle autorité, ni de quel droits et devoirs il se réclamera aujourd’hui pour justifier les irrégularités fiscales d’ampleur dont son commerce de vin est soupçonné. Personne n’a oublié le slogan de sa campagne d’affichage, pour laquelle il avait été symboliquement condamné: «Chaque civilisation a l’ordure qu’elle mérite.» Si c’est lui qui le dit.