CULTURE

Le cinéma déteste les banquiers suisses

La place financière helvétique et son secret bancaire sont constamment associés au blanchiment d’argent et à la fraude fiscale. «Le Loup de Wall Street», de Martin Scorsese, en a rajouté une couche.

Dans «Le Loup de Wall Street», de Martin Scorsese, actuellement en salle, un banquier privé genevois aide l’escroc Jordan Belfort (Leonardo DiCaprio) à dissimuler ses millions en Suisse. Interprété par l’acteur français Jean Dujardin, Jean-Jacques Saurel conseille au patron de la douteuse société de courtage new-yorkaise Stratton Oakmont de se servir d’un prête-nom pour contourner le fisc américain.

«La Suisse apparaît systématiquement comme le lieu central du blanchiment d’argent et de la fraude fiscale», explique Sébastien Guex, professeur à l’Université de Lausanne, qui a notamment réalisé une étude sur les références aux banques suisses dans les James Bond. «Il est question des banques helvétiques dans des centaines voire des milliers de films.»

Pas de fumée sans feu

Pourquoi un tel acharnement? «Tout simplement parce que la Suisse, avec son secret bancaire, a joué ce rôle!», répond le spécialiste. Des affaires retentissantes liant les banques suisses à l’argent du crime ont durablement marqué l’opinion. C’est le cas du «scandale de Chiasso», révélé en 1977: des cadres de Credit Suisse étaient impliqués dans du blanchiment d’argent venu d’Italie.

La fiction se nourrit souvent de l’actualité. Dans la première scène du film «Le monde ne suffit pas», sorti en 1999, James Bond ironise sur la difficulté des banquiers suisses à restituer l’argent à leurs clients. «Il s’agit d’une référence claire aux fonds en déshérence.» Inspiré de faits datant des années 1990, le scénario du «Loup de Wall Street» rappelle le conflit fiscal qui oppose la Suisse aux Etats-Unis. «Avec la couverture médiatique de ces affaires, la caricature du banquier suisse prêt à tout pour s’enrichir n’est pas près de disparaître.»

Scorsese plus crédible encore

Dans le blockbuster hollywoodien, des valises de dollars traversent la frontière jusqu’à Genève. Rien d’invraisemblable, selon Sébastien Guex. «Ce que je répète à longueur de journée, mais personne ne me croit, c’est que la bonne vieille malle est le moyen le plus discret d’acheminer de l’argent en Suisse. La méthode est risquée, mais ne laisse aucune trace. Un gestionnaire de fortune m’a même confié que les soutiens-gorge des secrétaires étaient parfois rembourrés avec des billets. Martin Scorsese est plus crédible que ce que veulent bien raconter les banquiers!»
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RÉACTION

«L’image des banques suisses est pleine de clichés»

Les acteurs de la place financière helvétique ne semblent pas s’inquiéter d’être tournés en dérision par le septième art. Contactés, Genève Place Financière, l’Association des banquiers privés suisses, mais aussi l’Association suisse des banquiers (ASB) n’ont pas souhaité prendre position. «Le cinéma ne se trouve pas au centre de notre travail», indique laconiquement la responsable de communication de l’ASB, Sindy Schmiegel.

L’économiste et photographe Michel Girardin, ex-membre de la direction de l’Union Bancaire Privée, juge quant à lui que l’image des banques suisses véhiculée sur grand écran est «pleine de clichés vieillis»: «La Suisse a fait le ménage. Un banquier qui accepterait des valises d’argent sans en vérifier la provenance comme dans «Le Loup de Wall Street» s’exposerait à des poursuites pénales!»
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LA PREUVE PAR QUATRE

«Goldfinger» (1964)
Le troisième volet de la saga James Bond insiste sur le rôle trouble joué par la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale, accusée d’avoir récupéré l’or nazi. Auric Goldfinger, le méchant, fait fondre des lingots allemands dans son usine helvétique.

«L’affaire Thomas Crown» (1968)
Le réalisateur Norman Jewison montre des banquiers suisses peu regardants sur l’origine de la fortune de leurs clients. Après avoir orchestré le braquage d’une banque à Boston, le millionnaire Thomas Crown dépose le butin dans un établissement genevois.

«Le Parrain 3» (1990)
Cette fois, c’est la cupidité des financiers helvétiques qui est mise en avant. Le chef comptable suisse de la banque du Vatican, Frederick Keinszig, finit pendu pour avoir tenté de soutirer des centaines de millions de dollars à la famille Corleone.

«La mémoire dans la peau» (2002)
Dans le premier film de la série Jason Bourne, le secret bancaire sert à couvrir des activités souterraines. Le héros, amnésique, découvre dans un coffre numéroté zurichois une arme à feu, plusieurs passeports ainsi qu’une grosse somme d’argent.
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Une version de cet article est parue dans le quotidien Le Matin.