TECHNOPHILE

Youtubeurs romands en colère

La plateforme de vidéos en ligne renforce sa traque des contenus non respectueux des droits d’auteur. Une mesure qui provoque l’incompréhension des créatifs.

YouTube ne fait plus de cadeau à ses utilisateurs. Depuis le début de l’année, la chaîne de partage de vidéos applique sans concession ses conditions générales. Pour cela, la filiale de Google compte sur une arme imparable, baptisée «Content ID»: un robot qui scanne automatiquement les vidéos pour identifier si celles-ci utilisent du contenu audio sans en détenir les droits. L’algorithme a déjà envoyé des menaces de blocage à des millions de youtubeurs. Et mis à exécution la mesure dans plusieurs cas, provoquant la grogne d’utilisateurs romands.

En France, les youtubeurs se sont très vite mobilisés en créant une pétition sur le web, dès décembre, intitulée «Touche pas à ma chaîne». De nombreuses stars de YouTube, tel l’humoriste français Cyprien qui fait fureur auprès des jeunes, ont aussi exprimé leurs indignations à travers des messages sur Twitter.

Le blocage des vidéos concerne tous les utilisateurs de YouTube, mais affecte surtout les possesseurs de contenu rémunéré. Cette nouvelle politique impacte non seulement les vidéos de «gamers», où l’on voit une personne évoluer dans un jeu vidéo, mais aussi les parodies de clips, les samples de musique, les critiques de cinéma ou d’albums. En effet, même si elles constituent souvent de nouvelles créations, ces vidéos exploitent des contenus audiovisuels (les images des jeux, les musiques ou les samples de clips) protégés par des droits d’auteur, raison pour laquelle YouTube en interdit la diffusion.

Spécialiste du marketing, à Lausanne, Thierry Weber résume les raisons de ce durcissement: «Google en avait marre de se retrouver régulièrement en procès avec les maisons de disques aux Etats-Unis. Du coup, ils ont serré la vis. » Les violations des droits de propriété intellectuelle restent au centre de la bataille de l’industrie du disque et du cinéma, qui chiffre le manque à gagner en milliards de dollars.

Mais ce changement de stratégie pourrait entraîner une désaffection du site. Certains utilisateurs, déjà refroidis par l’obligation d’avoir un profil Google + pour pouvoir laisser des commentaires sous les vidéos, en appellent aujourd’hui à un boycott pur et simple de la chaîne de partage.
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REACTIONS D’AUTEURS

«Une de mes vidéos a été bloquée et j’ai été menacé de fermeture»

«Je réalise des vidéos de remix dans lesquelles je me mets en scène de façon décalée. Pour cela, j’utilise des samples d’artistes connus. Je me suis fait bloquer une vidéo récemment car la compagnie qui possède les droits sur les morceaux de Jimmy Hendrix a porté plainte. J’ai reçu un e-mail de YouTube m’expliquant que mon compte serait définitivement fermé en cas de nouvelle plainte. Mais je me vois mal retirer mes vidéos, dont certaines enregistrent plus de 2 millions de vues. Elles font office de carte de visite: grâce à ces vidéos, je peux aujourd’hui donner des concerts et voyager dans toute l’Europe. Et je ne fais pas d’argent sur YouTube. Pour moi, ce n’est pas du vol, mais plutôt une forme d’hommage.»

Cyril Käpelli, 24 ans
DJ à Bienne
Chaîne YouTube: Cyrou
Nombre d’abonnés: 8’280
Nombre de vues: 2,5 millions
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«Ces changements bousillent l’ambiance»

«Avec la nouvelle politique de YouTube, j’ai perdu la monétisation de plusieurs de mes contenus. Tout ça parce que dans les vidéos de jeux que je mets en ligne, comme «GTA 5», il y a de la musique, notamment quand le personnage principal écoute la radio dans sa voiture. Auparavant, il était permis d’avoir jusqu’à vingt secondes de musique dans une vidéo. Désormais, YouTube pratique la tolérance zéro. J’avoue être assez dégoûté. Ces changements bousillent l’ambiance au sein de la communauté YouTube.»

KediMendi, 22 ans
Gamer à Genève
Chaîne YouTube: cialis professional
Nombre d’abonnés: 24’605
Nombre de vues: 4,2 millions
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«Je pensais que c’était libre de droits»

«Je réalise des vidéos humoristiques sur toutes sortes de sujets. En me rendant récemment sur mon compte, j’ai constaté que la monétisation de l’une de mes vidéos sur le thème du football avait été bloquée. Soyons clairs, sur ma vidéo de quatre minutes, il y a seulement quelques secondes d’une musique trouvée sur Internet, que je pensais libre de droits. Le blocage s’est produit automatiquement; personne ne m’a avertie.»

Andrea Dos Santos, 20 ans
Humoriste à Chavornay (VD)
Chaîne YouTube: ExtreamAndy
Nombre d’abonnés: 28’519
Nombre de vues: 1 million
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«Après tout notre travail, ça me fait enrager»

«Juste avant Noël, j’ai mis en ligne un extrait de mon nouvel album. Le morceau a bien fonctionné avec plus de mille clics par jour. Mais, en me connectant la semaine passée, j’ai découvert que mon morceau avait été supprimé sans aucune explication de la part de YouTube. Je n’ai toujours pas compris pourquoi ma musique, qui est une composition originale, a été bloquée. Il est impossible de contacter qui que ce soit chez YouTube. On se heurte à un mur. Quand je pense à tout le travail que mon équipe et moi-même avons accompli pour promouvoir notre vidéo, ça me fait enrager.»

Farhad Goerg, 29 ans
Musicien à Genève
Chaîne YouTube: FARHAD Officiel
Nombre d’abonnés: 100
Nombre de vues: 104’000
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Comment être rémunéré

Lorsqu’un utilisateur poste un contenu sur YouTube, il lui est possible de le monétiser, c’est-à-dire d’accepter l’insertion de publicité avant le début de sa vidéo contre une rémunération. YouTube paie les utilisateurs au prorata du nombre de vues (en moyenne 1 dollar pour 1’000 clics). Les diffuseurs doivent cependant posséder l’intégralité des droits sur les contenus vidéo et audio qu’ils proposent. Une disposition rarement respectée à la lettre par les youtubeurs, qui utilisent volontiers des musiques, des extraits de films ou des images dont ils ne détiennent pas les droits de reproduction.
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Une version de cet article est parue dans Le Matin.