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Une politique de shadoks

Face à la multitude des questions qui lui sont quotidiennement soumises, le politicien de milice a-t-il d’autre choix que se reposer sur l’arme absolue du système suisse: l’inertie?

60’000 francs par mois pour «l’entretien» d’un détenu certes à hauts risques et largement zinzin, ne serait-ce pas démesuré? Deux ans de retard pour la ligne ferroviaire Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse (CEVA), tout de même pas le transsibérien, ne serait-ce pas la preuve d’une impéritie crasse?

Ne pas s’associer aux sanctions décidées par l’UE et les Etats-Unis contre l’envahissante Russie, cela ne sonne-t-il pas un tantinet minable? Que le président du PS Christian Levrat agite sur ce même sujet, et pour dédouaner Poutine, la même excuse exactement que le numéro 2 du Front National Florian Philippot — ne pas se muer en caniche des Etats-Unis —, n’est-ce pas au mieux bizarre, au pire très idiot?

Les mesures d’accompagnement décidées par le Conseil fédéral pour mieux protéger le marché du travail face à la libre circulation et le spectre grimaçant du dumping salarial n’arrivent-elles pas un poil trop tard? Exactement un mois et demi trop tard? N’aurait-il pas fallu bon sang y penser avant le 9 février?

Faut-il, comme l’audacieux canton du Jura en a l’intention, avec le soutien inattendu de l’UDC et le refus tout aussi inattendu du PLR (quoique…) permettre à des étrangers de siéger dans les conseils communaux? Ou plutôt comme à Fribourg, même si l’un n’empêche pas l’autre, et si cela n’a franchement aucun rapport, se doter de cellules de dégrisement, au motif que trop de personnes ivres et/ou droguées n’en finissent plus d’encombrer les services d’urgences des hôpitaux?

Maurice Tornay, le conseiller d’Etat valaisan, ami et réviseur du tout aussi valaisan vigneron fraudeur Dominique G., est-il un naïf ou un menteur trois fois fieffé qui en savait bien plus qu’il ne veut le dire sur les dessous de la ténébreuse affaire Giroud? Confier les finances cantonales à un expert fiscal diplômé, c’est-à-dire à un adversaire armé et professionnel de l’impôt, n’était-ce pas là une fichue idée? Fallait-il vraiment, comme le Conseil fédéral, faire aux traders en matières premières le cadeau d’une «réglementation non contraignante»?

Enfin surtout, question des questions, mantra qui hante les nuits des conseillers fédéraux en charge de l’intérieur depuis des années, les uns après les autres, jadis Couchepin, aujourd’hui Berset, il n’y pas de raison: la retraite à 67 ans, nécessité comptable ou arnaque organisée? Poser la question n’est-ce pas y répondre? Oui, mais quelle était déjà la question?

A ce stade, et devant une telle rafale d’interrogations débattues au hasard d’une seule journée, on aura une pensée presque émue pour le politicien de milice. Qui pourra toujours s’en remettre, et semble d’ailleurs souvent le faire, au fameux adage du corrézien Henri Queuille, plusieurs fois président du Conseil sous la quatrième république et à qui visiblement on ne la faisait pas: «Il n’y a pas de problème dont l’absence de solution ne finisse par venir à bout.»

A moins qu’on ne préfère le proverbe inversé et imparable des shadoks: «S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème.» Les shadoks! Les adages absurdes des petits bonhommes verts des années 70 semblent soudain résumer mieux que toute analyse compassée la légendaire inertie du système politique suisse dont beaucoup pensent qu’elle a fait la stabilité et la prospérité tout aussi légendaire du pays. Du genre: «Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas.» Parlant non? Et encore, on aura failli vous épargner celle-là: «Avec un escalier prévu pour la montée, on réussit souvent à monter plus bas qu’on ne serait descendu avec un escalier prévu pour la descente.»

Encore des questions?