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Ces pauvres et ces incultes qui font le lit de l’UDC

Une étude montre que ce sont les catégories les moins éduquées et les plus faibles économiquement qui ont plébiscité le 9 février dernier la fermeture de nos frontières. Sauf que la vérité est peut-être ailleurs.

Vous aurez beau débaptiser les vins du sieur Giroud en un anonyme et clinquant «Château Constellation», la piquette, cela reste de la piquette. Comme un Gripen cela reste un avion suédois bon marché dont la principale dangerosité prouvée se résume à sa capacité de se transformer, du moins pour Ueli Maurer, en bombe politique à fragmentation lente.

Alain Berset aura beau poster sur les réseaux sociaux une photo de lui en costume japonais et en train de défoncer à coups de marteau un tonneau de saké, la retraite à 67 ans reste une potion indigeste qui a déjà provoqué plus d’un hara-kiri politique.

On aura beau vanter, à raison, l’admirable institution de la démocratie directe, sanctifier l’infaillibilité absolue d’un peuple forcément souverain, redire l’indépassable supériorité du principe «un homme, une voix», débouchant sur le système «le plus mauvais à l’exception de tous les autres», gna gna gna, on ne détruira pas un vilain soupçon. A savoir qu’approuver le 9 février dernier l’initiative de l’UDC contre la libre circulation, ce n’était pas franchement — comment le dire sans froisser personne? — très futé.

Soupçon évidemment indigne mais que vient malencontreusement nourrir l’analyse Vox réalisée par l’Institut gfs.bern en collaboration avec le Département de science politique de l’Université de Genève. Qui nous apprend quoi? Que «le rejet de l’initiative augmente fortement avec le niveau d’éducation et de revenu du ménage». On résume: moins t’as de diplômes, moins t’as de blé, plus tu vires patriote obtus. Difficile en revanche d’imaginer de quel côté ont bien pu pencher les nombreux riches sans la moindre éducation — on en connait tous, allez.

Pour qu’on comprenne bien, autant nommer, catégorie par catégorie, les empêchés du bulbe qui ont plébiscité la fermeture des frontières: «Le soutien a été fort chez les ouvriers, employés, indépendants, agriculteurs et chômeurs.» Suivant cette belle logique et cette impitoyable énumération, on imagine que le vote anti-étrangers a dû confiner carrément à l’enthousiasme débridé chez les employés au chômage et les ouvriers agricoles. Dont la plupart, si l’on en croit toujours la même étude, semblent vivre dans les mêmes sinistres endroits, «en milieu rural et dans les villes petites et moyennes, ainsi qu’au Tessin».

Là où l’analyse se corse, c’est dans le détail des sources utilisées par les votants pour s’informer et ce qui en résulte. Vous avez compulsivement dévoré la brochure du Conseil fédéral ou tout aussi compulsivement parcouru la presse écrite, vous en avez aussi discuté jusqu’à plus soif sur votre lieu de travail, et même pendant l’apéro, vous voilà sauvé: ainsi bardés de vérités premières, vous avez majoritairement refusé la suave invite de l’UDC à basculer dans la xénophobie la plus fruste.

Vous avez au contraire décidé de vous forger un avis en allumant la télévision ou en parcourant le courrier des lecteurs. Malheur: vous avez succombé à la tentation, vous voilà dans le camp des gros nazes et des petits fachos.

Ce qui appelle au moins deux remarques: il n’est pas sûr que la presse écrite puisse se glorifier, comme canal d’information, de se trouver dans le même camp que la brochure de propagande du gouvernement. Deuxièmement, le peuple souverain s’informant en lisant le courrier des lecteurs, c’est le peuple souverain qui s’informe auprès de lui-même, et le serpent qui se mord la queue avec une énergie toujours bonne à saluer. C’est ainsi souvent que les autogoals sont les plus beaux.

Il existe quand même un élément moins attendu, que l’étude de gfs.bern a mis en lumière: les centristes et les modérés de droite auraient contribué, à leur façon modérée et centriste, à la victoire du poison UDC. Avec un «rejet peu tranché de l’électorat PLR» et une «moindre mobilisation de l’électorat PDC». Bref il aurait manqué au camp du non à la fin l’appui franc d’un électorat pourtant plutôt à l’aise et bien éduqué.

C’est sans doute qu’on avait oublié ce petit détail, rappelé dans son dernier livre par Alessandro Piperno, nouveau météore des lettres italiennes: «On ne gagne pas autant d’argent sans utiliser toute la cruauté dont on est capable. La modération n’est que la tenue de fête de la férocité.»