LATITUDES

Les microbes, nos 100’000 milliards d’amis

Bactéries, levures, champignons et autres virus pèsent près de 2 kg par être humain. Le référencement de ces micro-organismes ouvre de nouvelles perspectives de traitements médicaux. Explications.

«Chaque individu baigne en permanence dans une vaste soupe de micro-organismes.» C’est l’image que Thierry Calandra, chef du Service des maladies infectieuses au CHUV, utilise pour expliquer que l’être humain se compose en bonne partie de microbes. Pourtant, la science n’en sait que très peu sur ces visiteurs invisibles, estimés à 100 billions chez chacun (100’000 milliards), soit dix fois plus nombreux que les cellules humaines, pour un poids total de quelque 2 kg. Pour y remédier, un vaste projet d’étude baptisé Human Microbiome Project (HMP) a été entamé en 2007.

Lancé par les Instituts américains de la santé (NIH), ce programme de longue haleine à 195 millions de dollars vise à recenser les microbes, et à décrypter leur génome pour comprendre la façon dont ils affectent l’être humain. Un travail de fourmi qui ouvre des perspectives prometteuses en matière de nouveaux traitements.

Cette quantité gigantesque de microbes n’a pas de quoi affoler: loin d’agresser l’organisme, les microbes contribuent à sa protection. «L’essentiel de ces micro-organismes aide le corps à conserver son équilibre de fonctionnement, explique Thierry Calandra. Mieux, il éduque en permanence le système immunitaire pour permettre à notre corps de leur faire face.» Au point que la cohabitation entre un hôte humain et les micro-organismes qui le colonisent prend des allures de partenariat stratégique. Certains microbes constituent une première ligne de défense, s’attaquant aux pathogènes ou les empêchant de se développer. Des fortifications fragiles: une modification de l’alimentation, un voyage, un traitement antibiotique peuvent perturber la finesse de cet équilibre et renforcer le risque d’infection ou d’inflammation.

Peut-on faire volontairement évoluer cet équilibre, dans un but préventif ou curatif? «C’est déjà le cas, note Thierry Calandra. On sait de longue date qu’une transplantation de matières fécales issues d’un individu sain vers un patient atteint de diarrhées contribue à son rétablissement.»

En affinant leur connaissance des influences croisées entre le monde microbien et notre organisme, microbiologistes et médecins peuvent espérer réduire à terme certains risques, voire traiter différentes pathologies en procédant à des «réglages» du microbiote. Les études engagées laissent entrevoir des possibilités considérables dans des domaines variés: psoriasis, maladie de Crohn, obésité, colites ulcéreuses, allergies, acné… Le potentiel est immense, mais «la complexité de cette équation à inconnues multiples ne permet pas de savoir quand nous pourrons passer à des applications cliniques concrètes», souligne Thierry Calandra.

Si les chercheurs travaillent sans relâche, la route est encore longue: le HMP comptabilise plus de 2’600 projets au référencement du génome microbien. Seuls 15 d’entre eux sont à ce jour consacrés à la recherche de corrélations entre le microbiome et la santé humaine. Une lenteur qui s’explique par la complexité des protocoles et par un effort d’indexation hors du commun: alors qu’un humain compte 20’000 gènes environ, les 80 laboratoires impliqués dans le HMP ont déjà recensé 8 millions de gènes microbiens en 6 ans seulement.

Au-delà des perspectives thérapeutiques, les travaux du HMP contribuent à affiner lentement la connaissance du microbiote, battant en brèche certaines idées reçues. «La plupart des microbes sont soit utiles, soit inoffensifs», explique Amelio Telenti, professeur à l’Institut de microbiologie du CHUV. Ceux qui pullulent dans nos intestins assurent ainsi des fonctions digestives essentielles: des bactéries y décomposent certains glucides et favorisent l’absorption par l’organisme de la très indispensable vitamine K.

Cette cohabitation complexe de centaines d’espèces différentes fait de chaque être humain un macrocosme peuplé d’un microcosme particulier: «A terme, nous pourrions probablement identifier un individu en analysant l’ensemble de sa flore», précise Amelio Telenti. En théorie du moins: «Le microbiote d’un être humain change en permanence en fonction de l’âge, de l’environnement, de l’alimentation. Ce qui ne facilite pas la recherche.» Avant que des policiers ne passent de la relève des empreintes digitales à celle d’un échantillon de flore intestinale, il risque donc de s’écouler encore un peu de temps.
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Une version de cet article est parue dans le magazine IN VIVO.

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