LATITUDES

La fièvre de la course à pied

Dans la foulée des 20 km de Lausanne, le marathon de Genève qui se déroule ce week-end suscite un fort engouement. Conseils pour s’initier ou progresser.

La saison des grandes courses à pied est de retour après une pause hivernale. Près de 300’000 personnes devraient participer cette année à une ou plusieurs compétitions de jogging en Suisse. Preuve de cet engouement: au cours de la dernière décennie, les vingt plus grandes courses du pays ont vu leurs pelotons augmenter de 52%, selon une étude réalisée pour Swiss Athletics par Heinz Schild, ex-entraîneur du médaillé olympique Markus Ryffel. Le marathon de Genève, qui se déroule ce week-end, n’échappe pas à cette tendance. La plupart des participants se préparent à cette échéance depuis des mois. L’occasion de faire le point avec les experts sur les dernières découvertes et les secrets d’un bon entraînement.

Laisser sa foulée naturelle s’exprimer

On dit que la foulée du coureur à pied est innée, qu’elle ressemble en quelque sorte à une empreinte digitale. De nombreux entraîneurs de course à pied s’accordent sur ce point. «Il ne faut surtout pas chercher à modifier sa foulée car le corps compense souvent spontanément les déséquilibres naturels», affirme ainsi Olivier Baldacchino, cofondateur de la société de coaching sportif PerForm-CBS à Genève. Contrairement à beaucoup d’autres sports où l’on gagne en efficacité en apprenant à reproduire une gestuelle stéréotypée, en course à pied, c’est toujours celui qui court le plus vite qui a raison. On s’est souvent moqué du dodelinement de tête caractéristique de Paula Radcliffe, par exemple. N’empêche: la coureuse britannique a avalé le marathon en 2 h 15 (marathon de Londres, 2003), record mondial.

Se protéger des blessures

Les lésions auxquelles le coureur s’expose sont variées. Au dire des intéressés eux-mêmes, ce sont surtout les genoux qui trinquent. Mais les chevilles et le dos sont également malmenés, surtout dans les descentes. Comment éviter les mauvaises surprises? Pour les spécialistes, la plupart des blessures résultent d’un défaut de communication entre le corps et l’esprit. Le corps ne réagit pas comme une machine à qui l’on ordonnerait de courir 20 km. Il doit pouvoir comprendre les consignes et être entendu lorsqu’il donne un feed-back. Bien communiquer avec son corps représente le fruit d’un entraînement patiemment et intelligemment construit. C’est sans doute pour cette raison que les coureurs novices sont davantage sujets aux blessures que les professionnels et les plus expérimentés.

Choisir la bonne paire de chaussures

Sachant que les blessures sont redoutées par-dessus tout, les équipementiers en profitent pour faire valoir que certaines baskets high-tech pourraient absorber jusqu’à 95% des chocs engendrés par le contact avec le sol à chaque foulée. S’il est vrai qu’on risque de se faire mal dans les descentes des 20 km de Lausanne avec des baskets dépourvues d’amorti, la technologie ne fait pas tout. La preuve: des études ont démontré que les coureurs équipés de modèles sophistiqués, et donc chers, se blessaient davantage que ceux qui utilisaient des modèles bas de gamme. Explication: «Avec une chaussure à semelle très absorbante, le pied n’apprend pas à s’adapter et devient de ce fait un peu “paresseux”, d’où un risque de blessures au niveau du genou et de la hanche, explique le Dr Gérald Gremion, spécialiste en médecine sportive au CHUV à Lausanne. Il existe aussi une probabilité accrue d’entorse de la cheville, puisque l’amorti est facteur d’instabilité.» Selon Olivier Baldacchino, rien ne remplace la pratique: «On est bien obligé de faire confiance au vendeur. Ensuite, il faut faire ses propres expériences. Avec le temps, on finit par savoir ce qui nous convient.»

S’entraîner à faible intensité

Le niveau d’effort le plus bénéfique pour la santé est appelé endurance de base et, parfois, «seuil de la mauvaise conscience», car il est tellement sénatorial qu’on a l’impression de ne pas faire de sport. Autant dire que l’erreur la plus fréquente chez les amateurs consiste à s’entraîner à trop haute intensité. Cette erreur concernerait environ 90% des coureurs du dimanche, selon des recherches effectuées au Centre médical sportif de télémédecine de Pfäffikon (ZH). Idéalement, 70% de l’entraînement devraient être pratiqués en endurance de base. Ce seuil d’effort est caractérisé par un sentiment d’aise, c’est-à-dire qu’on doit pouvoir placer une accélération à n’importe quel moment tout en continuant à parler normalement. Le cœur apprend ainsi à ne pas s’emballer et l’organisme peut progressivement fournir un effort de plus en plus important sans siphonner les réserves de glucose.

Définir ses seuils d’endurance

Le palier suivant est appelé endurance active ou intensive. Il s’accompagne d’un sentiment d’effort agréable: aucune gêne respiratoire ne doit être perceptible. L’endurance active représente idéalement 20% de l’entraînement. Dans la pratique, beaucoup de coureurs amateurs effectuent la quasitotalité de leur entraînement à cette intensité.

Le troisième palier, appelé seuil anaérobie, correspond à une «allure compétition» et se caractérise donc par une sensation d’effort soutenu. Au-delà, l’organisme est contraint de puiser son énergie dans les muscles, d’où la formation d’acide lactique en réponse à la raréfaction de l’oxygène. Des tests d’effort permettent de déterminer, en termes de battements cardiaques par minute, le seuil à partir duquel un organisme fonctionne en endurance de base, en endurance active ou en anaérobie. Une fois ces paramètres connus, il suffit de s’équiper d’une montre dotée d’une fonction de mesure du rythme cardiaque (cardiofréquencemètre) pour vérifier que l’on s’entraîne bien à l’intensité souhaitée. Il est recommandé d’effectuer ce test chez un spécialiste, sur tapis roulant ou vélo statique.

Se mesurer aux autres

On dit souvent que la compétition n’est pas bonne pour la santé, contrairement à l’entraînement qui la précède. Les choses sont en réalité plus complexes car, en raison du bonheur qu’elle procure, la compétition devient bénéfique pour l’équilibre de l’individu. La course à pied favorise aussi le bon fonctionnement du système cardiovasculaire et l’élimination des hormones de stress. Mais à partir de 40 ans, on recommande souvent de se soumettre à un examen médical avant de se remettre au sport.

En l’absence de facteurs de risque ou d’une pathologie préexistante, il n’y a souvent pas de restriction. Le marathon peut d’ailleurs se courir à passé 100 ans, comme le prouve l’exemple de Fauja Singh, né en 1911 et détenteur des records du monde sur cette distance dans les catégories des plus de 90 ans (5 h 40) et des plus de 100 ans (8 h 25). Médecin-chef au Swiss Olympic Medical Center de l’Office fédéral du sport de Macolin, Boris Gojanovic se plaît à dire qu’«au lieu de consulter un médecin avant de se remettre à faire du sport, il serait plus logique d’en consulter lorsqu’on a décidé d’arrêter d’en faire, car la sédentarité est plus dangereuse».

Courir pour maigrir

La course à pied permet-elle de maigrir? Théoriquement, oui. En pratique, les pertes caloriques sont souvent insuffisantes pour entraîner une réelle perte de poids. Par ailleurs, si l’embonpoint résulte d’un trouble du comportement alimentaire, le fait de courir ne résoudra pas le problème. Il faut également savoir que les sites internet et applications iPhone qui prétendent mesurer les dépenses caloriques relèvent globalement du gadget. «Leur seul bon côté est d’encourager les gens à bouger», déclare Souheil Sayegh, médecin du sport à l’Hôpital de la Tour, à Genève.

Jusque dans les années 80, on croyait que le type d’effort le plus efficace en termes de perte de poids était celui qui s’effectuait en endurance de base, à jeun et pendant trente minutes au moins. Aujourd’hui, les avis sont plus nuancés et l’on préfère encourager tous les types d’efforts physiques, du moment qu’ils sont pratiqués raisonnablement.
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NUTRITION

«De l’eau, des glucides et pas trop de McDo»

Comment s’alimenter avant la course? Réponses de Gérald Gremion, médecin du sport au CHUV.

Quelles sont les principales sources de carburant pour un joggeur?

Le carburant le plus noble, celui qui donne de la vitesse, est le glycogène. Le corps en stocke 300 à 500 grammes, répartis entre les muscles et le foie. Cela correspond à 1 h-1 h 20 d’autonomie. Lorsque l’on court plus longtemps et à moins forte intensité, notre corps s’entraîne à utiliser l’autre carburant, qu’on pourrait qualifier de diesel: les graisses.

Quels conseils de base donneriez-vous aux coureurs en matière d’alimentation?

Un coureur qui ne s’entraîne que deux à trois fois par semaine n’a pas besoin de recourir à une alimentation spécifique. D’autant plus s’il jogge avec une intensité faible. Le plus important pour lui, c’est de boire suffisamment. Bien évidemment, il lui est recommandé de manger de façon équilibrée et d’éviter d’aller trop souvent au McDo… En cas d’entraînements plus nombreux et intensifs, les hydrates de carbone (glucides) sont très importants. Ils permettent de restaurer les réserves de carburant et d’éviter certains types d’inflammations. Il faut compter cinq rations par jour d’hydrates de carbone, notamment sous forme de pain, pâtes, céréales ou riz.

Quid des barres, gels, poudres et autres sticks spécifiques vendus dans le commerce?

L’avantage de ces produits, c’est qu’ils ne contiennent pas seulement du glucose, mais aussi d’autres types de sucres, tels que le fructose. En effet, des études ont montré que les voies de transfert de l’énergie varient selon les sucres, ce qui tendrait à encourager leur diversification. Il ne faut néanmoins pas oublier la composante marketing de ces préparations. Ni le fait que certaines recherches affirmant leur efficacité ont été sponsorisées par des groupes commerciaux.

Y a-t-il des «bons gestes» à adopter juste après l’entraînement?

La priorité, c’est l’hydratation: il faut boire, boire, boire. En cas de course relativement longue et/ou rapide, il est par ailleurs important d’ingérer une ration de sucre, par exemple sous la forme d’une banane bien mûre, dans l’heure qui suit la fin de l’effort. Etant donné qu’on n’a souvent pas faim, on peut aussi prendre une boisson sucrée: eau sucrée, thé sucré, boisson énergisante, voire Coca.

Que faut-il ingérer durant les jours et les heures précédant une compétition?

S’il s’agit d’une compétition de moins de 20 kilomètres et à intensité normale — par exemple Morat-Fribourg en dessus de 1 h 20 —, il n’est pas nécessaire de procéder à un carbo-loading (augmenter drastiquement sa consommation de glucides quelques jours avant la course, ndlr). Un dernier repas un peu plus riche que d’habitude en hydrates de carbone suffit. Je conseillerai par contre aux personnes qui s’apprêtent à courir un marathon en moins de quatre heures de prendre des repas constitués à 70% de glucides durant les 48 heures précédant l’événement. La veille et le matin de la compétition, les aliments favorisant le transit doivent être proscrits. Enfin, l’idéal est de franchir la ligne de départ en étant bien hydraté.

(Propos recueillis par Patricia Michaud)
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.