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Shaqiri et la burqa

Les vains débats font rage. Tant pis pour le football et le vivre ensemble.

Quoi de plus utile qu’un bon vieux, qu’un bon vain débat? Il a ceci de pratique, le vain débat, qu’il n’est jamais clos. Qu’il renaît toujours de ses maigres cendres, sorte de phénix se mordant la queue et permettant de meubler des journées trop chaudes pour penser à autre chose.

Ainsi Shaqiri ou la burqa. Les Albanais de l’équipe suisse de foot comme modèle et moteur d’une intégration réussie. Ou le voile comme signe et menace d’une islamisation galopante de nos bonnes vieilles sociétés. La vanité des heures passées à débattre de ces deux thèmes-là tient peut être au fait que ni l’un ni l’autre — ni Shaqiri ni la burqa — n’ont de réelle importance.

Le football est certes un jeu magnifique, quasi universel, capable d’offrir une dramaturgie inouïe, et présentant cette supériorité définitive sur le cinéma ou le théâtre: rien, absolument rien n’est écrit d’avance. C’est de la vie en instantané, avec ses injustices, ses rebondissements, ses surprises, ses lâchetés, ses agaçantes tricheries, ses héroïsmes parfois. Même si à la fin c’est presque toujours l’Allemagne — pardon, l’Argentine — qui gagne.

Ce qu’il faudrait donc voir d’abord, c’est que malgré l’engouement planétaire qu’il suscite, le football n’a aucune importance et très peu d’influence sur le cours des choses. Et surtout pas la vie publique. Comme avec un film de série B, il s’agit juste de passer un bon moment à suivre de palpitantes niaiseries.

Vu sous cet angle, on comprend mal comment le fait qu’une poignée de valeureux et talentueux kosovars occupent les postes clefs de la Nati pourrait avoir la moindre influence sur le degré d’intégration de la communauté d’origine albanaise, ni dire quoi que ce soit des vertus de la politique suisse d’immigration.

Le président de l’Assemblée des albanophones de Suisse, l’avocat lausannois Jeton Kryeziu, le rappelait récemment avec sagesse: «Les liens d’amitié entre les Suisses et les Kosovars sont plus profonds qu’un but de Shaqiri dans la lucarne.» Quinze ans plus tard, qui pourrait soutenir encore que le sacre mondial des Blacks-Blancs-Beurs ait en quoi que ce soit apaisé le climat de tension qui règne en France entre les diverses communautés?

Ce thème d’ailleurs de l’intégration par le football a surtout fait dire des inepties. Aux meilleurs — Cohn-Bendit soutenant grotesquement que la valeur de l’équipe suisse de foot ne tenait qu’à un facteur, celui «d’une immigration massive» — comme aux cancres, tel cet obscure député suppléant valaisan, naturellement UDC, et auteur sur sa page Facebook du subtil commentaire suivant, après le match Argentine-Suisse: «Bon, pour tous ces médias de merde et pour tous ces connards nous gagnons grâce aux étrangers, mais c’est aussi eux qui nous font perdre.»

Laissons donc le football tranquille, il n’a besoin d’aucune politique migratoire pour être ce qu’il est: un spectacle grandiose. Laissons les Kosovars tranquilles, ils n’ont pas besoin du football pour être ce qu’ils sont: dans leur immense majorité des citoyens à la volonté et à la faculté d’intégration exemplaires.

Concernant le voile islamique, c’est encore plus simple: on gaspille de la salive pour rien. Surfant sur la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de valider la loi interdisant en France le port de la burqa dans les places publiques, le comité dit d’Egerkingen — celui-là même qui avait mené la campagne contre les minarets — annonce qu’une initiative anti-burqa est prête.

Un texte dont on sait déjà qu’il ne servira à rien. Sinon à détériorer un peu plus le climat des relations avec les confédérés de confession musulmane. Comme le rappelle en effet le professeur zurichois de droit public Urs Saxer, les cas suisses et français ne sont en rien comparables. Avec en France, des endroits où le nombre de femmes voilées pose un véritable problème de société, alors qu’en Suisse, ce serait plutôt un «non-problème».

Les seules burqas se résumant quasi à celles de riches touristes arabes sur la rade de Genève, dont il serait évidemment bien vain d’attendre qu’elles se plient aux us, moeurs et coutumes d’un pays brièvement visité. Sans compter qu’en Suisse on n’est pas loin d’un consensus vaste et solide en la matière: que tout visage soit identifiable dans l’espace public, point.

Non-problèmes et donc vains débats font rage. Pour n’exciter au final que ceux qui n’ont soif ni de liberté, ni de démocratie, mais plus simplement de souffre.