LATITUDES

Fiable, le label «fait maison»?

Comme de nombreux restaurants proposent des plats précuisinés, la France vient d’instaurer un label pour distinguer l’artisanal de l’industriel. La Suisse romande prépare sa version.

«Il y a lasagne et lasagne.» Mathieu Fleury, secrétaire général de la Fédération romande des consommateurs (FRC), ne fait pas allusion au récent scandale de la viande de cheval, mais à la problématique du «fait maison». «Depuis plusieurs années, avec l’explosion de la nourriture industrielle, une concurrence non lisible s’est développée entre les restaurateurs. Comment faire la différence entre des lasagnes maison et des précuisinées? Le client a l’impression qu’il mange la même chose alors que ce sont deux démarches différentes. Ce manque de transparence pénalise le restaurateur qui cuisine tout lui-même.»

En dépit d’une nouvelle vague de cuisiniers qui bannissent le congélateur et misent sur les produits de saison, du marché et du terroir, les aliments précuisinés priment encore dans de nombreux restaurants. C’est le constat de Josef Zisyadis, président de la Semaine suisse du goût: «Plus de la moitié des établissements romands ont recours à des recettes précuisinées, mais s’en cachent. Comment un bistrot qui propose une carte de plus de 100 plats peut-il tout préparer maison? La confiance est rompue.» Face au mécontentement des clients, la FRC a décidé de créer le label «Fait maison». Son but? Mettre en avant le savoir-faire en distinguant l’artisanal de l’industriel.

Pour appuyer sa démarche, la fédération a effectué des sondages auprès des consommateurs. Le résultat est sans appel: 99% des personnes interrogées sont favorables à la mise en place de ce label et 90% demandent plus de transparence de la part des restaurateurs. Pour parvenir à un consensus, les pourparlers ont été menés avec GastroSuisse. «Nous étions au départ réticents à ce projet, non dans le but de défendre le précuisiné, mais parce qu’il fallait mieux définir le terme de «fait maison», raconte Gilles Meystre, directeur adjoint de GastroVaud. Il a fallu trouver des compromis pour une définition qui ne soit pas trop restrictive, car les restaurateurs sont soumis à certaines contraintes — logistiques, légales ou économiques — qui les obligent parfois à utiliser des produits congelés, des liants, ou des aides à la préparation.» Soutenue par la Semaine suisse du goût et Slow Food Suisse, la FRC s’est finalement accordée avec GastroSuisse sur une définition du terme basée sur des valeurs communes: authenticité, qualité et mise en avant du savoir-faire (voir encadré ci-dessous).

Contrairement à la France, où la mention «fait maison» a été inscrite dans une loi et est entrée en vigueur hier, l’appellation suisse ne sera pas légalement contraignante. Le Conseil fédéral ayant refusé le projet, il s’agira d’une démarche volontaire. «Les restaurateurs qui souhaitent être labellisés seront soumis à des contrôles réguliers, effectués par des brigades créées spécialement», précise Gilles Meystre. Beaucoup de restaurateurs se sont montrés favorables au projet, indique Gilles Meystre. «De nombreux établissements nous ont contactés spontanément, de la pinte villageoise au restaurant urbain branché. Il s’agit d’un bon outil marketing pour la branche, un moyen de se démarquer et de valoriser le savoir-faire des chefs.» Une recherche de fonds est encore en cours pour la mise en place définitive du label, prévue initialement au printemps 2014. Une phase pilote de deux ans aura lieu en Suisse romande avant d’être appliquée au reste du pays. L’objectif d’ici à 2017: labelliser plus de 1000 restaurants, dont au moins 360 en Suisse romande.
_______

Définition du «fait maison»: un casse-tête résolu

Certains restaurants annoncent comme «fait maison» un pâté artisanal acheté à la boucherie… Pour mettre en place le label, il fallait donc commencer par définir le terme. Les concepteurs se sont mis d’accord sur les critères suivants:

– Les plats, accompagnements et sauces sont considérés comme «faits maison» s’ils ont été préparés, élaborés et cuits entièrement dans les cuisines du restaurant, à base de matières premières crues d’origine agricole ou piscicole. Ces matières premières peuvent être fraîches, sèches ou congelées. Elles ne doivent pas avoir été assaisonnées, mais peuvent avoir été parées (lavage et découpage) hors de l’établissement.

– Les plats doivent avoir été obtenus en utilisant uniquement les ingrédients traditionnels de cuisine comme farine, huile, sucre ou produits laitiers, mais aussi saucisses, poissons fumés, conserves en vinaigre ou en huile, bouillons et liants notamment.

En France, où les critères sont similaires, les critiques fusent déjà. Certains arguent qu’un fast-food ou une sandwicherie qui assemblent des matières premières surgelées pourraient se prévaloir du «fait maison».
_______

Une version de cet article est parue dans le quotidien Le Matin.