LATITUDES

Les cartes postales, c’est pas ringard

Pourquoi le charme des cartes postales opère-t-il toujours à l’ère des messages numériques? Un linguiste en a lues 8000. Son constat: l’envoi d’une carte postale n’est pas l’acte banal que l’on pense.

Depuis qu’un voisin de ma grand-mère lui a soustrait ses anciennes cartes postales, je suis sensible aux diverses relations entretenues avec ces témoins palpables de vacances.

Cet incident familial n’a pas fait de moi une collectionneuse. Je rêve néanmoins d’acquérir un jour un tourniquet de kiosque pour y exposer les plus belles cartes reçues. Un présentoir non seulement esthétique mais affectif, chaque image me renvoyant à telle ou telle personne qui a eu une pensée pour moi, a acheté une carte, un timbre, a réfléchi à un texte, l’a écrit et, enfin, a trouvé une boîte aux lettres. Quelle générosité, que de temps requis à l’heure des messages numériques et de leur instantanéité!

Ce rêve d’acquisition d’un tourniquet aurait dû se concrétiser l’an passé déjà selon mon pari sur l’obsolescence des cartes postales. A l’évidence, elles allaient céder leur place aux SMS, MMS et courriels, tellement plus rapides. Cette disparition programmée entraînerait la mise au rebut de leurs présentoirs devenus inutiles. La réalité n’a pas confirmé mes projections; nulle inquiétude pour la santé des cartes postales. Jalouses de leur succès, les nouvelles technologies s’y intéressent et en proposent des formes hybrides. La carte 2.0 est née.

Cet été, grâce à diverses applications, on peut, en quelques clics, créer et poster des cartes directement depuis son smartphone. Elles se nomment Momentic, Postcard, Popcarte, Postimo, Instapost ou encore Fizzer. Le principe est simple, «sur votre tablette, ordinateur ou smartphone, vous sélectionnez vos photos favorites de l’été, écrivez un joli mot doux, puis, cliquez pour l’envoyer», explique Vincent, co-créateur de Fizzer.

Cette concurrence menace-t-elle les cartes manuscrites? Non, les cartes postale ne vont pas disparaître, répond Heiko Hausendorf, linguiste à l’Université de Zurich qui a analysé les messages rédigés sur 8000 bonnes vieilles cartes postales. Il y a découvert des poncifs récurrents comme la météo et la gastronomie, les sempiternelles formules «la nourriture est super», «la mer est chaude», «on fait beaucoup de sport» et les «grosses bises de … ». Très présentes dans les années 1960 à 1970, les allusions au coup de soleil ont disparu!

Pas moins important que le texte, l’aspect visuel a lui aussi été décrypté. Avec une écrasante majorité de monuments et de paysages, les stéréotypes s’y épanouissent aussi. Or, étonnamment, ce cumul de banalités, tant textuelles que visuelles, ne transforme pas l’envoi d’une carte postale manuscrite en un acte banal.

«La carte postale a plusieurs choses qui la rendent singulière. L’une d’entre elles est le fait qu’elle est manuscrite. Quand écrivons-nous encore à la main?», interroge le chercheur zurichois (interview publiée dans le quotidien Tages-Anzeiger, 12.7.2014). Mais que contiennent donc ces textes brefs? «Personne ne nous a appris comment rédiger une carte postale et, cependant, nous nous y prenons tous de la même manière», constate Heiko Hausendorf.

Jamais la lecture de ces 8000 cartes ne lui a paru rébarbative. Il a décelé une incroyable créativité dans ces innombrables variations sur des thèmes identiques. «Ecrire une carte postale est en fait un problème de planification. On doit tout d’abord réfléchir à la quantité de texte que l’on peut y déposer puis quel thème on va retenir. (…) C’est fondamentalement moins banal qu’on le pense. Les cartes postales ont une authenticité qui leur confère un charme spécial (un timbre, des traces qui résultent du transport, d’éventuelles conséquences de la pluie, un angle écorné…). Aujourd’hui, des offres électroniques tentent d’ailleurs de simuler ces caractéristiques».

Un autre homme a, lui aussi, manipulé des milliers de cartes postales. C’est Vik Muniz dont les travaux sont exposés en ce moment aux Rencontres d’Arles 2014. Sa série «Postcards From Nowhere» aborde les thèmes de la perte et de la dissémination des images. Les œuvres mettent en scène des destinations populaires qui n’existent plus ou qui ont radicalement changé, par exemple, les Twin Towers de New York ou une plage de Beyrouth autrefois magnifique. L’artiste brésilien collectionne les cartes postales qu’il découpe et réassemble pour faire apparaître une nouvelle carte postale en mosaïque: “La Plage”, “Avion de ligne” ou un Paris rêvé.

Quant à moi, je pars en vacances délestée de la question «Vais-je passer pour une ringarde en envoyant des cartes postales?».