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L’été frileux des politiques suisses

Prostituées lausannoises, réfugiés syriens, intérêts russes: le courage politique mis à rude épreuve.

«L’Etat cantonal n’a pas vocation à exploiter des maisons closes.» Il y a des phrases comme ça qui ont toujours l’air de dire plus qu’elles ne disent. Le contexte est pourtant anodin. Les prostituées lausannoises ne sont pas contentes – la fermeture de salons de massage a péjoré leurs conditions de travail – et le conseiller d’Etat Philippe Leuba leur répond.

En plaçant d’entrée la barre très, très bas, notamment face au constat des travailleuses du sexe expliquant que la fermeture des salons les condamne à travailler à l’extérieur et dans des voitures, ce qui augmenterait le risque d’agression: «Je ne vois pas quelle politique dans ce secteur ne suscite pas de critique ou n’expose pas les prostituées ou leurs clients à des risques.»

En gros, messieurs-dames, débrouillez-vous. D’ailleurs, c’est bien simple, en bon libéral Leuba décrète, s’agissant du moins de prostitution, l’impuissance totale de l’Etat: «Si une autorité quelconque avait une solution en la matière, cela se saurait.»

Effectivement. Ce mâle principe peut d’ailleurs s’étendre facilement et concerner toute une série d’autres domaines tout aussi chauds. A ceux ainsi qui reprochent à la Suisse de ne prendre que des sanctionnettes contre une Russie dévoreuse d’espace, tirant sur tout ce qui bouge et qui vole, attisant sciemment le conflit avec l’Ukraine, mais partenaire important donc à ménager, le Conseil fédéral pourrait tranquillement siffler la jolie antienne de Leuba: «Si une autorité quelconque avait une solution en la matière, cela se saurait.»

Au risque certes de se voir répondre que l’Union européenne et le camp occidental en général n’ont pas hésité à frapper fort contre les intérêts russes. Qu’il s’agit, comme souvent en politique, moins d’une question de savoir que de volonté. L’expression «cela se saurait» trahit d’ailleurs en général moins une réelle impuissance qu’un véritable mauvais vouloir. Que répondait Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, à la question de l’adhésion éventuelle d’un grand pays musulman à l’UE? «Je vais vous dire, monsieur d’Arvor, si la Turquie était en Europe, cela se saurait.»

Reste que cette veule déclinaison du verbe savoir au conditionnel peut parfois servir son contraire, l’authentique courage. Prenons le cas des réfugiés syriens. La Turquie en a accueilli déjà plus de 800’000. La Suisse, elle, a promis d’en recevoir 500. Et attention, soigneusement triés encore par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR): que des malades, des handicapés, des familles avec enfants en bas-âge, et des individus particulièrement vulnérables. Très loin des racailles supposées déversées par les printemps arabes, qui ont laissé le souvenir que l’on sait et gonflé comme jamais le vote xénophobe et les statistiques de la délinquance.

Pour sortir de cette frilosité fédérale, il suffirait peut-être de s’appuyer sur l’énième initiative UDC anti-réfugiés, prônant que les demandes des requérants en provenance de pays considérés comme sûrs ne soient tout simplement plus prises en considération. On entend déjà Simonetta Sommaruga devant le parlement s’exclamer haut et fort, en se tournant vers les travées UDC: «Mesdames et messieurs, si la Syrie était un pays sûr, cela se saurait.»