LATITUDES

Un impôt sur les calories

Faut-il taxer les aliments gras ou sucrés pour décourager les consommateurs? Plusieurs pays s’y sont essayés. Leurs expériences sont révélatrices.

En Suisse, 41% de la population est en surpoids et un dixième est obèse. Ailleurs, la situation est pire. Près de 70% de la population des Etats-Unis a trop de kilos et un tiers est obèse. Face à cette épidémie, qui favorise le diabète et les maladies cardiovasculaires ou même la réapparition d’affections oubliées comme la goutte, plusieurs pays ont décidé de taxer les aliments sucrés ou gras.

Mais quelle est l’efficacité de ces mesures? Une taxe de 10% sur les sodas aboutirait à une diminution de 7% des calories consommées par ce biais, a calculé une étude parue dans le journal Archives of Internal Medicine. De même, une taxe de 18% sur les aliments malsains aurait pour effet de faire perdre seulement 2 kilos par an aux 18-30 ans en surpoids.

«Si on veut modifier le comportement des consommateurs, il faut que le montant de la taxe soit suffisamment élevé, indique Oliver Mytton, un chercheur au Centre for Diet and Activity Research de l’Université de Cambridge (GB) qui a analysé 30 études internationales portant sur un tel impôt. Sinon, les gens ne la remarquent même pas ou elle est absorbée par les magasins.» Pour qu’elle fasse mal au porte-monnaie, il faut qu’elle atteigne au moins 20%, dit-il. Il préconise de taxer en priorité les boissons sucrées. «Elles ne sont pas nécessaires à notre alimentation, n’amenant que des calories «vides» qui ne procurent aucun sentiment de satiété, détaille-t-il. Il est donc tout à fait légitime de les cibler.»

Les rares exemples de taxes mises en œuvre livrent aussi des enseignements. Le Danemark a introduit un impôt sur les graisses trans en octobre 2011, abrogé début 2013. «Durant cette période, on a constaté une baisse de 10 à 15% de la consommation de graisses et d’huiles, indique Sinne Smed, une chercheuse du Département de l’alimentation et des ressources économiques de l’Université de Copenhague. Les résultats préliminaires d’une nouvelle étude montrent une diminution de 6% de la consommation des acides gras saturés. Les gens semblent avoir particulièrement renoncé au beurre et à la margarine.» Plus anecdotique mais tout aussi parlant, lorsque la cafétéria du Brigham and Women’s Hospital de Boston (Etats-Unis) a instauré une hausse de 35% sur les sodas, leur consommation a diminué de 26%.

Mais taxer la nourriture génère aussi des effets pervers. «Si on cible des aliments comme l’huile ou le beurre, que tout le monde consomme, on risque de pousser les gens à se tourner vers un produit de substitution tout aussi malsain, relève Oliver Mytton. Les consommateurs ont tendance à remplacer le gras par le salé.» On risque aussi de pénaliser les aliments gras mais néanmoins sains, comme les avocats ou les noix. A l’inverse, il n’existe que peu de substituts malsains aux boissons sucrées. «Les gens boiront de l’eau ou du jus de fruits à la place», note-t-il.

«Certains consommateurs pourraient même réduire leur consommation de fruits et légumes pour pouvoir se payer des produits malsains, renonçant aux carottes pour s’offrir un paquet de chips», relève Sinne Smed. En 2012, 48% des Danois ont aussi franchi la frontière pour faire leurs courses en Allemagne ou en Suède.

L’impôt sur le gras et le sucre, qui est dégressif, a en outre pour effet de frapper les pauvres de façon disproportionnée. «Les familles à bas revenu ont tendance à vivre dans des «déserts nutritionnels», où l’on ne trouve que des aliments gras et pré-cuisinés», souligne Roberta Friedman, directrice des politiques publiques au Centre Rudd pour la politique nutritionnelle et l’obésité de l’Université Yale (USA). Mais Jim O’Hara, de l’ONG Center for the Science in the Public Interest, qui a été l’une des premières à prôner la fiscalité nutritionnelle, rappelle que «les populations défavorisées sont aussi celles qui souffrent le plus d’obésité et de diabète et profiteraient donc en premier lieu des améliorations apportées par de telles taxes».

Autre obstacle, les taxes sur les aliments malsains doivent passer le barrage de l’industrie alimentaire. «Elle est parvenue à tuer une taxe sur les boissons sucrées à New York en 2010», rappelle Jim O’Hara. L’American Beverage Association a investi 9,4 millions de dollars dans cette campagne. En face, les organisations favorables à la taxe ont dû se contenter de 2,5 à 5 millions de dollars.

Sinne Smed a observé le même phénomène au Danemark. «Avant l’introduction de la taxe, une majorité de la population y était favorable. Mais l’industrie a passé des mois à argumenter que cela pesait sur les salaires, détruisait des emplois et générait une surcharge administrative pour les paysans et les petits producteurs. Résultat, l’opinion publique a changé de bord.» En avril 2012, 75% des Danois étaient contre la taxe.

Si la fat tax ne représente pas la panacée pour lutter contre l’obésité, il s’agit d’une pièce importante du puzzle. «Cet impôt peut servir à générer du revenu pour financer des mesures de prévention, comme l’introduction de repas sains dans les écoles ou la promotion du sport», souligne Roberta Friedman. «On pourrait utiliser cet argent pour subventionner les fruits et légumes, ce qui ferait baisser leur prix au fur et à mesure que celui des aliments gras augmente», ajoute Sinne Smed. Au Danemark, la taxe sur les graisses trans avait permis de lever 216 millions de dollars.

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Une version de cet article est parue dans le magazine IN VIVO.