KAPITAL

Le serial entrepreneur romand qui a conquis la Chine

A Shanghai, le Fribourgeois Nicolas Musy a fondé plusieurs entreprises dans des domaines aussi divers que le cachemire, le décolletage et le conseil aux entreprises. Portrait.

«Je voulais absolument être indépendant, c’était ma motivation première. L’idée m’est venue d’aller voir en Chine quelles étaient les opportunités. Par ailleurs, l’Orient m’a toujours attiré pour des raisons philosophiques.» Nicolas Musy est parti pour Shanghai, il y a une trentaine d’années, avec la ferme intention de devenir son propre patron.

Aujourd’hui âgé de 53 ans, le Fribourgeois a réussi son pari. A son actif: une entreprise dans le domaine du textile et une dans l’industrie. Sollicité pour son expérience, il a également fondé China Integrated. Ce bureau regroupant 25 spécialistes du marché chinois conseille les sociétés qui souhaitent développer leurs affaires dans le pays. Mövenpick, Jura (électroménager) ou l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) figurent parmi ses clients helvétiques

Lorsque Nicolas Musy arrive en Chine, après l’obtention de son diplôme de physique à l’EPFL, le pays débute son ouverture. Pour le compte de Walter Knoepfel, une société de tricot de la région saint-galloise, il commence à produire des pulls en cachemire dans une usine locale. Au départ, la production s’élève à 2500 pièces par an. Cependant, les partenaires se rendent vite compte que, pour fabriquer en différents modèles, tailles et couleurs et répondre aux attentes du marché haut de gamme en Europe, il faut une structure plus flexible que les usines de production de masse, essentiellement sous contrôle étatique.

En 1993, Nicolas Musy ouvre sa propre unité de production à Shanghai, en partenariat avec Walter Knoepfel. Baptisée 2-Ply, l’entreprise sera revendue en 2005 au label de mode suisse Akris, qui figure à l’époque parmi ses clients. «A la fin des années 1980, débuter des relations d’affaires avec la Chine était relativement simple, explique Nicolas Musy. Le commerce était organisé au travers d’un certain nombre d’entreprises étatiques d’import-export en fonction des marchés et des produits. Il était aisé de trouver le bon interlocuteur.»

En outre, il n’y avait pas encore de problèmes de qualité. «Les choses ont commencé à évoluer rapidement avec l’ouverture du pays. Notamment en raison de l’engouement de l’Europe et des Etats-Unis pour le textile. La demande a explosé et la qualité a commencé à chuter.» C’est pourquoi il décide, dès 1988, de s’installer durablement à Shanghai afin d’effectuer des contrôles de qualité.

«À l’époque, peu de monde s’implantait réellement en Chine. Il y avait un fort intérêt de la part des autorités à accueillir des investissements. Lorsqu’il s’est agi de construire notre usine, nous avons été très bien accueillis.» La construction se déroule sans accrocs majeurs par le biais d’une entreprise locale. En ce qui concerne le recrutement du personnel, Nicolas Musy place à la tête de l’usine un ancien professeur d’anglais rencontré lors de son premier voyage, qui travaille dans une société d’Etat d’import-export de textiles.

La première livraison, principalement destinée à des boutiques suisses et allemandes, notamment Bongénie Grieder, se concrétise 14 mois seulement après l’obtention des permis de construire, avec à peine 1% de pièces défectueuses. Peu à peu, l’équipe, qui fait venir son cachemire de Mongolie-Intérieure, se diversifie dans d’autres produits nobles comme la soie, traditionnellement d’excellente qualité dans la région de Shanghai, et la laine mérinos, en provenance d’Australie. Au moment de la vente à Akris, la production de l’usine s’élève à environ 200’000 pièces par an, pour une centaine d’employés.

Parallèlement à cette expérience, plusieurs entreprises suisses souhaitant obtenir des conseils afin de se développer sur le marché chinois entrent en contact avec Nicolas Musy, notamment Huber + Suhner, société zurichoise spécialisée dans la conception de contacts électroniques. Avec un sous-traitant suisse, Lauener à Boudry (NE), les deux parties décident d’implanter à Shanghai une petite unité de tournage et décolletage (3 machines sur 500 m2), qui ouvre ses portes en 2001.

Aujourd’hui, cette société, rebaptisée LX Precision, compte une centaine de machines, sur près de 10’000 m2, et emploie 250 personnes. Elle livre près de 100 millions de pièces industrielles par année sur le marché chinois à des sociétés actives dans le secteur des télécommunications, de l’automobile ou du domaine médical.

«Aussi bien pour 2-Ply que pour LX Precision, nous avons transféré du savoir-faire et de la technologie suisses en Chine. Dans le premier cas, les produits fabriqués étaient destinés à l’exportation et, dans le second, à la Chine, essentiellement à l’attention de firmes étrangères.» Selon Nicolas Musy, l’une des explications du succès de ces entreprises vient du fait qu’il ne s’est pas lancé en partenariat avec une entité locale, comme beaucoup de sociétés dans les années 1990, mais en contrôlant les unités créées avec des partenaires suisses et des gestionnaires chinois.

«Nous avons pu gérer nos structures à l’interne, engager et former les personnes que nous souhaitions. A l’époque, travailler en joint-venture avec des partenaires chinois équivalait à se retrouver avec des sociétés d’Etat dont les intérêts étaient différents. Aujourd’hui, la situation a quelque peu changé: l’industrie privée chinoise s’est développée et il est possible de trouver des entrepreneurs chinois disposant d’une culture et de motivations similaires.»

Les structures étatiques ont également évolué et font désormais davantage confiance aux étrangers. «De plus, les sociétés chinoises sont aujourd’hui mieux financées. Cela peut être intéressant pour une PME ou une start-up qui ne souhaite pas investir trop d’argent, sans pour autant perdre le contrôle sur ses innovations.»

Pascal Marmier, directeur de l’ambassade scientifique suisse swissnex China à Shanghai, explique la réussite de ces deux entreprises par le choix d’une stratégie de niche: «Une société comme Georg Fischer, par exemple, marche aussi très bien en Chine car elle vend aux multinationales du secteur de l’automobile. Il est en revanche plus difficile de vendre directement au consommateur final ou dans des provinces reculées sans partenaire local. Le marché est souvent basé sur des relations hors de portée des étrangers.» Il est ainsi difficile d’établir des recettes pour un pays ayant la diversité d’un continent. En définitive, le choix du modèle d’affaire, des managers locaux et de l’emplacement doit être évalué au cas par cas.

S’adapter aux méthodes de gestion et aux spécificités de la culture d’affaires chinoise demeure vital pour qui souhaite s’y faire une place. «Les entrepreneurs chinois sont très pressés, relève Nicolas Musy, qui participe à l’organisation d’une compétition d’ultra-marathon en Mongolie et pratique lui-même cette discipline. Le marché chinois grandit très vite: les gens ont peur de manquer des opportunités ou de se faire dépasser par la concurrence.»

La plus grande difficulté pour les entrepreneurs suisses ou européens consiste à combiner leurs habitudes de planification à long terme et l’urgence du marché chinois. En revanche, contrairement à une idée reçue, il n’est pas indispensable de maîtriser le chinois. «Il est plus important d’apprécier les gens et de comprendre leur mentalité que leur langue, relève Nicolas Musy. La grande majorité des chefs d’entreprise étrangers et des expatriés se limitent souvent à l’anglais.» Lui-même, qui voyage près de six mois par année hors de Chine, déclare se «débrouiller», sans plus, à l’oral.

Une ultime nuance d’importance pour qui souhaite faire des affaires en Chine concerne les savoir-faire locaux. Selon que l’on se trouve dans la région de Pékin (IT, aéronautique), de Shanghai (industrie, électronique) ou de Hong Kong et du Sud (commerce, financement, biens de consommation) les spécialisations varient. Or, le poids de Pékin devient de plus en plus important par rapport à ses deux rivales.

Olivier Glauser fait partie des nombreux entrepreneurs suisses partis s’établir en Chine. Il a fondé deux sociétés dans la région de Pékin, actives dans de la gestion de droits sportifs et la cosmétique haut de gamme, et souhaite rectifier une perception qu’il juge erronée concernant les rôles des différents pôles économiques en Chine. «On pense souvent que Shanghai est la ville des affaires et Pékin celle du gouvernement. Cependant, de nombreux secteurs comme les médias, les télécommunications, la technologie, l’environnement et la finance dépendent encore du gouvernement, basé à Pékin. Il est donc naturel que le centre des affaires s’y trouve également.» Ancien investisseur, il cite l’exemple des start-up dans les technologies, l’internet ou les semi-conducteurs, où la répartition est actuellement de l’ordre de 60% pour Pékin, 30% pour Shanghai et 10% dans le reste de la Chine.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.