S’ils adoraient les compagnies qui perdaient des millions de dollars, les investisseurs préfèrent maintenant qu’elles limitent les frais, voire même, pourquoi pas… qu’elles gagnent un peu d’argent? Explications.
Dans la grande tradition américaine, Matt Thomas et Samir Seth décident à la sortie de leurs études de fonder une entreprise.com. Nous sommes en août de l’année dernière. Les deux débutants new-yorkais ont juste une idée – une plateforme Internet proposant des services aux étudiants -, mais pas de site ni l’ombre d’un business plan.
Qu’à cela ne tienne. En deux mois, ils lèvent 700‘000 dollars, soit plus d’un million de francs suisses. Les professionnels du capital-risque – les venture capitalists – se battent pour s’assurer une part du gâteau.
Neuf mois plus tard, Thomas et Seth disposent d‘un business plan, d‘un site et de sept employés. Les activités de WhataboutU.com vont démarrer cet été, rapporte le mensuel américain Fortune. D’ici là, il faudrait trouver encore 15 millions de dollars. Mais ce qui passait pour un jeu d’enfant il y a tout juste trois mois fait maintenant figure de parcours du combattant. Pour les start-up du Net, le paysage a profondément changé depuis la chute du Nasdaq.
En avril, cet indice des valeurs technologiques a subitement plongé d’un tiers. Amazon.com, première librairie on-line mondiale, a perdu près du tiers de sa valeur boursière. Le titre du cybermarchand de jouets eToys valait 86 dollars en octobre. Il stagne maintenant à 7 dollars. Les investisseurs sont dégrisés. S’ils adoraient les compagnies qui perdaient des millions de dollars, ils préfèrent maintenant qu’elles limitent les frais, voire même qu’elles soient susceptibles de gagner un peu d’argent.
Les turbulences du Nasdaq ont stoppé net le cortège des introductions en bourse. Quelque 300 compagnies attendent une accalmie pour faire leur entrée sur le marché. «Seules les entreprises exceptionnelles trouveront encore un financement», dit Todd Carter, de la banque Robertson Stephens, à l’hebdomadaire Newsweek. Significatif: ce banquier de San Francisco reçoit maintenant les appels d’ex-employés d‘entreprises.com qui veulent revenir à la bonne vieille banque.
Avant avril, les venture capitalists (VC’s) se fiaient au modèle d’Amazon ou du portail AOL, ces sociétés géantes qui restaient déficitaires car elles réinvestissaient tous leurs revenus dans de nouveaux développements. Les investisseurs considéraient les dépenses des compagnies Internet comme un gage de croissance rapide.
Conséquence: une inflation effrayante des investissements, comme le relève Businessweek. Dans le seul e-commerce destiné au consommateur, les montants sont passés de 607 millions de dollars en 1998, à 5,5 milliards de dollars (8,25 milliards de francs) l’année suivante.
En 1999 toujours, plus de 3 milliards de dollars ont été engloutis directement dans la publicité pour les sites. Une aubaine pour les agences de communication.
Mais tout cela appartient déjà du passé. Echaudés par les éternuements du Nasdaq, les financiers regardent maintenant d’un air sceptique les compagnies du Net qui ne font pas de bénéfices. Du coup, même celles qui présentent des bases solides ont de la peine à se financer du moment qu’elles sont encore dans les chiffres rouges.
Dans son analyse, Businessweek ne ménage pas les venture capitalists. Selon le magazine américain, ils n’ont pas sélectionné les bons projets durant la période d’euphorie, alors que c’est là leur métier. Ils ont arrosé de dollars toutes les nouvelles sociétés pour les faire entrer en bourse le plus rapidement possible. Puis ils revendaient leurs parts de capital dans le public, en empochant de coquettes plus-value. En même temps, ils se débarrassaient du risque que comporte tout investissement dans une jeune compagnie. Un risque dont héritent les nouveaux actionnaires, sans que ceux-ci s’en rendent nécessairement compte.
Malgré les apparences, la nouvelle économie n’a rien à voir avec Disneyland.
