LATITUDES

«J’ai fait de mon handicap un atout»

William Chiflet bégaie sévèrement depuis l’enfance. Il raconte son parcours dans un livre-confession, «Sois bègue et tais-toi».

«Il existe plusieurs formes de bégaiement, (…) dans mon cas, c’est le blocage. La syllabe reste coincée dans la gorge, le larynx devient hypertendu. Vient ensuite l’expression physique du bégaiement, la syncinésie. (…) Les mouvements de tête s’accompagnent de mouvements de bras d’une intensité variable, et de coups de pieds intempestifs.»

Le tableau que William Chiflet dresse de son bégaiement dans son livre «Sois bègue et tais-toi» permet de saisir l’ampleur de la souffrance endurée au quotidien. Se sentir diminué, à la boulangerie, en bloquant sur le «p» de «pain», surmonter le regard des autres, leur faire comprendre que la situation n’est pas provoquée par le stress. Avec ce récit, vu de l’intérieur, William Chiflet n’entend pas expliquer les mystères de son handicap mais en décrire les épreuves et montrer qu’il est possible de le relativiser et de l’accepter.

Marié et père de deux enfants, le Parisien de 44 ans est aujourd’hui responsable de programmes magazines à France Télévisions, un métier où la communication et le bagou priment. «Je ne suis pas timide, je m’exprime davantage que mes collègues durant les séances, raconte-t-il. En fait, j’ai fait de mon handicap un atout.» Les gens le remarquent et, dans ce milieu, cela compte énormément. «C’est seulement en lisant son livre que j’ai compris les difficultés de William», explique Nathalie Darrigrand, qui dirige l’unité magazines de France 2.

Pas de remède

Entre 8 et 10% de la population souffrent de troubles de la parole durant l’enfance, estime l’association française Parole-Bégaiement. Chez les adultes, la proportion diminue à 1%, soit 70’000 personnes en Suisse. Pour William Chiflet, qui a grandi à Paris, les premiers signes apparaissent à la maternelle. Son entourage ne s’en soucie pas, croyant que le bégaiement va disparaître, lui trouvant même un côté «mignon».

Mais les symptômes s’installent et s’amplifient. Sa grande sœur le protège face aux moqueries ou aux regards. Ses parents, professeure d’anglais et éditeur, commencent à s’inquiéter. Ils trouvent de nombreuses thérapies que le jeune garçon suit avec intérêt, espoir et curiosité parfois. Logopédiste, physiothérapeute, acuponcteur, ostéopathe, magnétiseur… Personne ne trouve la clé de ses blocages.

A l’adolescence, le lycéen s’isole. Il préfère se taire plutôt que parler sans être compris. Les sms n’existent pas encore, il faut téléphoner et, pour William Chiflet, c’est un calvaire. Généralement, il n’a pas le temps d’articuler le «b» de «bonjour» que son interlocuteur, croyant à une farce, raccroche. «L’expérience, chaque fois, me laissait épuisé et déprimé. J’étais définitivement hors-jeu.»

Le bac, la révélation

Puis vient le bac avec ses… oraux. Et la révélation. Devant son examinatrice de français, le lycéen joue cartes sur table. Il avoue tout de suite son bégaiement et précise que, s’il hésite, il ne s’agit pas d’une angoisse liée à l’examen. Il obtient 13 sur 20 et, surtout, l’assurance d’avoir trouvé la bonne solution. Annoncer son handicap, avec force et humour, libère ses interlocuteurs de toute gêne ou tout questionnement.

Son bégaiement est-il dû à un choc psychologique? Un choc traumatique? A quoi bon savoir puisqu’il est présent depuis toujours et ne le quittera pas. «J’ai toujours essayé de vivre normalement, mais c’est dur. Maintenant, j’admets mon anormalité et je peux me projeter dans la vie.» William Chiflet se sent encore plus à l’aise depuis qu’il a écrit son témoignage.

Lorsqu’on lui demande comment il parvient à assumer sa situation, il répond qu’il reste avant tout quelqu’un de positif et qu’il refuse de se mettre des barrières. Il gardera toujours une relation difficile avec son bégaiement, mais il a réussi à le reléguer au rang des sujets secondaires.
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Le bégaiement, une explication scientifique

Les recherches sur le bégaiement se sont accélérées ces quinze dernières années. A la cause purement psychologique, les spécialistes ajoutent des raisons physiologiques. Les techniques de neuro-imagerie comme l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ont montré que le cerveau des bègues présente des différences anatomiques et fonctionnelles par rapport à celui des non-bègues. «Nous savons par exemple que les enfants de personnes bègues ont plus de probabilité de développer un bégaiement, explique Florence Juillerat-Rochat, logopédiste et responsable de la branche romande de l’association Parole-Bégaiement. Heureusement, les traitements destinés aux jeunes enfants sont généralement rapides et efficaces.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.