KAPITAL

Les services aux seniors, nouvel eldorado

Assistance à domicile, immobilier, soins: le vieillissement de la population engendre d’importants besoins. Des PME en profitent.

En Suisse, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans va presque doubler d’ici à 2060. Selon les projections de l’Office fédéral de la statistique (OFS), ce groupe atteindra alors 2,5 millions de personnes. «La population des plus de 80 ans connaîtra une forte hausse à partir de 2020, avec l’arrivée des enfants du baby-boom dans cette tranche d’âge, détaille Raymond Kohli, en charge du calcul des projections démographiques à l’OFS. Entamé il y a plusieurs décennie déjà, le vieillissement de la population s’explique par les progrès de la médecine, mais aussi l’adoption d’un mode de vie plus sain. Entre 2000 et 2010, l’espérance de vie des hommes en Suisse a progressé de plus de trois ans pour atteindre 80,2 ans. Chez les femmes, elle a augmenté de deux ans à 84,6 ans.»

Ce phénomène s’accompagne de nouveaux besoins en matière de loisirs, de services à domicile ou encore de soins. Les autorités et les milieux associatifs répondent en partie à cette demande en croissance. Mais le secteur privé a également une belle carte à jouer. «Il y a de la place pour tout le monde, souligne Alain Huber, secrétaire romand de Pro Senectute. Il s’agit d’une situation nouvelle et nous constatons que toujours plus d’entreprises se lancent dans ce marché.»

Illustration de cette tendance, les Journées «Connect Seniors», une rencontre annuelle, ont vu le jour en 2013. Plus de 50 exposants ont présenté leurs produits et services lors de la deuxième édition qui s’est tenue à Morges en septembre. L’événement s’adresse surtout aux jeunes seniors, des personnes fraîchement retraitées, en bonne santé, qui entendent profiter pleinement d’une nouvelle étape de leur vie sans activité professionnelle. «On ne peut même plus les appeler ‘personnes âgées’, souligne Roxane Héritier Hunziker, co-organisatrice du salon. Ils voyagent, font du sport, sont avides de culture et motivés pour suivre de nouvelles formations, dont l’apprentissage d’une nouvelle langue. On observe par exemple des grands-parents se munir de vélos électriques pour aller chercher leurs petits-enfants à l’école.»

Albin Delavy figure parmi les exposants de la foire. Sa société, EasySenior, se spécialise dans la vente en ligne d’objets technologiques adaptés à cette clientèle, tels que téléphones mobiles ou tablettes (lire portrait ci-dessous). Il évoque un «immense marché qui s’ouvre et qui grandit tous les jours». Et souligne que le public visé bénéficie souvent d’un pouvoir d’achat élevé. «Je suis étonné que le secteur n’attire pas davantage d’acteurs. Il y a encore une sorte de répulsion à vendre des appareils qui s’adressent spécialement aux personnes d’un certain âge.»

«A partir de 75 ans en moyenne, les préoccupations changent, poursuit Roxane Héritier Hunziker. Le souci numéro un devient alors l’autonomie à domicile et les aménagements qui peuvent être réalisés pour la faciliter.» Face au défi de la capacité des homes, les pouvoirs publics encouragent fortement les solutions de maintien à la maison. Résultat: le secteur des services à domicile est en plein boom, comme en témoigne la fulgurante progression de la société vaudoise La Solution (lire portrait ci-dessous). Le secteur de l’aide et des soins à domicile a enregistré une croissance de 11% entre 2010 et 2012 pour l’ensemble de la Suisse, selon l’OFS.

«Nous constatons une forte hausse de la demande pour ces prestations, confirme Alain Huber, de Pro Senectute. La tendance va se poursuivre. Nous observons aussi l’apparition de nouvelles structures, comme les appartements protégés, et même des projets de colocations pour seniors en Suisse alémanique.» L’apport des outils technologiques constitue une des pistes les plus prometteuses pour permettre aux personnes de rester chez elles. Un domaine encore peu exploité par les PME de la région, à l’exception de la start-up lausannoise DomoSafety, dont les ingénieurs ont mis au point un système de capteurs pour prévenir les accidents (lire portrait ci-dessous).

Les établissements médico-sociaux (EMS) ont donc changé de rôle. L’arrivée en EMS se produit désormais la plupart du temps lorsque la personne ne peut plus recevoir les soins et l’accompagnement nécessaires à la maison. «Les pensionnaires sont toujours plus âgés, indique Dominik Lehmann, responsable de la communication chez Curaviva, l’Association des homes et institutions sociales suisses. Environ la moitié d’entre eux souffrent de démence. Les EMS prodiguent aussi davantage de soins palliatifs.» Malgré ce changement de rôle, la demande continue d’augmenter. L’OFS indique qu’entre 2010 et 2012 la croissance du secteur a atteint 7%.
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PORTRAITS

DomoSafety: des capteurs pour prévenir les accidents

Installée dans le Parc de l’innovation de l’EPFL, la start-up DomoSafety a vu le jour en 2010. Elle a mis au point un système de capteurs et d’algorithmes qui permet d’analyser le comportement des personnes âgées à leur domicile. «Plus que réagir aux situations d’urgence, nous proposons de prévenir les accidents, explique Edouard Goupy, directeur et cofondateur de la PME. Notre innovation permet de détecter les changements dans les habitudes de la personne et d’alerter son entourage pour éviter que la situation ne se détériore, cela sans caméra ni micro intrusifs.»

L’ingénieur diplômé de l’EPFL cite l’exemple d’un senior qui commence à dormir sur le canapé car il craint de tomber de son lit, dégrade son sommeil et se retrouve ainsi dans une spirale négative. «S’il est détecté, le problème peut être résolu facilement en adaptant la hauteur du lit. Une personne âgée ne se blesse pas du jour au lendemain. Il y a d’abord une fragilité qui s’installe.» Le prix de la technologie de DomoSafety constitue un autre de ses points forts: il faut compter moins de 100 francs par mois pour l’installation et le suivi.

DomoSafety, qui compte 15 collaborateurs, rencontre un fort intérêt auprès des institutions de soins et des particuliers. Alors que la société ne se trouve qu’au début de sa phase commerciale, son système est déjà utilisé dans une centaine d’appartements dans les cantons de Vaud et du Valais. Elle entend prochainement développer son aire d’activité dans toute la Suisse et à l’international. «Nous avons déjà des contacts en Allemagne et en Grande-Bretagne.»
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La Solution: le boom des soins à domicile

Fin 2011, La Solution employait 10 personnes. Aujourd’hui, la PME basée à Montagny-près-Yverdon (VD) compte 170 salariés. Et prévoit d’engager encore une trentaine de nouveaux collaborateurs d’ici une année. «Nous étions initialement spécialisés dans l’aide à la personne. Nos clients nous sollicitaient souvent au sujet des soins, ce qui nous a poussés à entreprendre les démarches de certification nécessaires, raconte Stéphanie Cornu-Santos, directrice de la société. Aujourd’hui, les soins sont notre cœur de métier. Nous nous occupons de personnes de tous âges, qui souffrent de maladies ou de handicaps. Mais la majorité de notre clientèle, environ 60%, est constituée de personnes âgées.» La demande la plus courante pour ces patients consiste à deux passages au domicile, le matin et un le soir, pour aider au lever et au coucher.

Ce qui distingue La Solution de l’offre publique, c’est son côté «famille». «Les prestations sont davantage personnalisées. En cas d’inquiétude, les clients peuvent me parler directement.» La demande grandissante pour les soins à domicile correspond à une volonté politique mais aussi au désir des patients. «Même en fin de vie, les personnes souhaitent rester chez elles. La tendance aujourd’hui est d’adapter leur environnement et l’offre de prestations afin de rendre cela possible.»

Après trois ans de progression fulgurante, La Solution envisage une phase de stabilisation. «Nous ne voulons pas devenir un gros bateau difficile à manœuvrer. Mon espoir est que de nouveaux acteurs arriveront bientôt sur le marché.»
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Alterimo: plus de 400 appartements protégés

Fondée en 2010, l’entreprise Alterimo, basée à Crissier (VD), était initialement spécialisée dans les PPE. «Nous avons été sollicités par une coopérative qui appréciait notre approche pour nous occuper d’appartements protégés, raconte Dominique Diesbach, la directrice, qui vient du monde de la finance et a déjà fondé trois autres entreprises. Nous nous concentrons désormais sur cette activité.»

Alterimo, qui emploie six personnes, assure la gérance de 400 de ces logements adaptés aux besoins de personnes âgées ou à mobilité réduite dans le canton de Vaud. «Environ 80% de nos clients sont des personnes de plus de 70 ans, encore autonomes, mais dont l’habitation ne convient plus, par exemple en raison de la présence d’escaliers. Les appartements protégés permettent de combler un vide entre l’aide à domicile et l’EMS.» Une solution de plus en plus recherchée. La PME ajoutera d’ailleurs quatre immeubles supplémentaires à son portefeuille cette année.

«Il s’agit d’un type de gérance bien particulier. En plus des aspects techniques et administratifs, nous pouvons apporter une aide pour l’organisation du déménagement, des petits travaux d’aménagement ou la vente d’un bien immobilier dans le cas où le client est propriétaire. Notre travail comprend une grande part d’écoute et de soutien.» Dominique Diesbach souhaite étendre le périmètre d’activité d’Alterimo et envisage d’ouvrir une nouvelle antenne à Neuchâtel ou à Fribourg l’année prochaine. «Nous ambitionnons de devenir la gérance de référence pour les appartements protégés en Suisse romande.»
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Easysenior: une boutique en ligne de technologies adaptées

Albin Delavy, directeur du marketing pour la société informatique genevoise GIT, a lancé en 2010 EasySenior dans le cadre de son travail. Quatre ans plus tard, le projet de vente en ligne de produits technologiques adaptés est en passe de devenir une société indépendante, basée à Sion.

«Les seniors veulent rester connectés et pouvoir communiquer avec leurs enfants et petits-enfants, explique l’entrepreneur, qui a déjà deux créations d’entreprises à son actif. Mais les nouvelles technologies, trop compliquées pour quelqu’un qui n’est pas habitué, les mettent de côté.» Le site d’EasySenior propose par exemple des téléphones de la marque suédoise Doro, qui possèdent des écrans et des touches de grande taille ou encore un contraste de couleur optimisé. Autre produit phare: la tablette simplifiée de la marque française Tooti Family, à laquelle un répondant extérieur peut se connecter pour aider l’utilisateur.

«Ce type de produits est très difficile à trouver dans le commerce, raconte Albin Delavy, qui se passionne pour la recherche, dans le monde entier, d’appareils qui peuvent faciliter la vie des personnes âgées. Pourtant le marché est porteur. Jusqu’ici nous n’avons pas fait de publicité et ça marche tout seul.» Albin Delavy se consacrera à plein temps à EasySenior dès la fin de l’année. Il entend développer l’aspect promotionnel pour faire décoller la société. Pour l’instant seul, il envisage d’engager trois personnes en 2015.
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Groupe Boas: des EMS dans toute la Suisse romande

Le Groupe Boas a vu le jour en 1989. Anne et Bernard Russi, ses fondateurs, rachètent alors l’EMS Résidence Joli Automne à Ecublens, une petite structure de 17 lits. Vingt-cinq ans plus tard, l’entreprise basée à Crissier (VD) compte 20 EMS dans toute la Suisse romande et plus de 200 appartements protégés. Avec 1200 employés, elle s’est aussi diversifiée dans l’hôtellerie traditionnelle – elle possède neuf établissements – et les bains thermaux, avec le rachat des Bains de Saillon.

Le chiffre d’affaires consolidé du groupe a atteint 94,5 millions de francs en 2013, contre 48,3 millions en 2008. «La santé constitue aujourd’hui un peu plus de la moitié de nos activités, explique le directeur général du groupe, Nicolas Crognaletti. Il s’agit d’un secteur toujours plus difficile. Il est réglementé par de multiples directives et la limitation des marges pour l’exploitation des institutions ne nous laisse que peu de moyens pour investir. Mais nous n’abandonnons pas. Les initiatives privées seront nécessaires pour répondre aux besoins de demain. Nous développons actuellement de nouveaux projets dans les cantons de Berne, Vaud et du Valais.»

Et la demande est là: le taux d’occupation des EMS du groupe oscille entre 98% et 100%. «L’entourage des aînés ne parvient pas à s’impliquer autant que par le passé, notamment car les femmes travaillent davantage. De plus, le vieillissement de la population s’accompagne de nouvelles pathologies, comme la démence, toujours plus courante. Les personnes qui en souffrent nécessitent une prise en charge spécifique que la famille peut difficilement assumer.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.