KAPITAL

Thurella, l’empire thurgovien du bio

L’entreprise de Suisse orientale connaît un succès planétaire: elle exporte les jus de fruits et légumes de sa marque phare Biotta dans plus de 30 pays.

Une antique maison à colombages, en bordure du village thurgovien de Tägerwilen, abrite les bureaux de l’entreprise Thurella. On devine non loin les champs et le lac de Constance. «Nous travaillons avec 26 paysans de la région, explique Clemens Rüttimann, le directeur de la société qui possède la marque de jus de fruits et légumes bio Biotta. Notre ancrage est résolument local. Toutes les carottes et les betteraves qui se trouvent dans nos produits viennent de Tägerwilen. Les fruits sont importés mais les jus sont tous fabriqués et mis en bouteilles ici.»

Un coup d’œil au site de production rappelle pourtant que les 12 millions de bouteilles qui sortent chaque année de la manufacture ne sont pas destinées uniquement aux épiceries du coin. Plus d’un tiers partent pour de lointaines destinations, comme cette palette chargée de produits sur laquelle figure l’indication «Russie». «Notre jus de betteraves, par exemple, connaît un grand succès aux Etats-Unis», raconte Clemens Rüttimann. Pomme de terre, chou blanc, airelles ou encore cassis, les jus Biotta sont commercialisés dans 36 pays, jusqu’en Chine et aux Etats-Unis. Avec un succès croissant: les exportations ont progressé de 18% en 2013.

Thurella, qui regroupe Biotta et l’entité allemande de concentrés de légumes Gesa, a enregistré l’an dernier un chiffre d’affaires de 45,7 millions de francs. «Notre origine suisse fait notre force, souligne le CEO. Pour les consommateurs, elle constitue un gage de qualité et de sécurité, un aspect d’une grande importance dans le secteur de l’alimentaire. A l’étranger, nous cultivons une image d’entreprise à taille humaine (la société compte 67 employés, ndlr). Le produit est cher, certes, mais il existe des niches de consommateurs prêts à payer pour ces spécificités.»

Biotta profite de l’engouement des consommateurs pour les produits bio. En 2013, le chiffre d’affaires du bio en Suisse a dépassé les 2 milliards de francs, en augmentation de 12% sur un an, indique Bio Suisse. Observé au niveau global, le marché pèse 163 milliards de dollars, selon une estimation de l’organisation britannique Organic Monitor.

«Les scandales alimentaires, l’apparition de nouveaux labels, la recherche croissante du bien-être, et l’augmentation de l’offre stimulent cette progression, analyse Christine Demen Meier, responsable du département Entrepreneuriat et innovation à l’Ecole hôtelière de Lausanne et titulaire de la chaire Food & Beverage. Le bio plaît toujours davantage aux nouvelles générations de consommateurs, qui ont grandi avec une plus grande conscience des principes de développement durable.»

Dans un marché des boissons bio de plus en plus globalisé et compétitif, la marque cherche aussi à atteindre de nouveaux clients, plus jeunes, en dépoussiérant l’image de ses jus de légumes. Elle a racheté à la fin 2012 la société zurichoise de smoothies (des boissons à base de fruits mixés) Traktor, née en 2003 et aujourd’hui en plein essor. Elle a également lancé en 2014 de nouveaux produits: des smoothies mélangeant fruits et légumes, dans de petites bouteilles en PET, disponibles au rayon frais. Le tout accompagné d’un design modernisé, loin de celui de ses traditionnels flacons de verre, et d’une campagne de publicité nationale.

«Il y a trente ans, les mamans achetaient du jus de carottes Biotta à la pharmacie. Elles en donnaient à leurs enfants un verre par jour car c’était bon pour la santé, raconte Clemens Rüttimann. Aujourd’hui, les consommateurs cherchent ce type de produits sains dans les supermarchés et les kiosques des gares.»

Pour l’ensemble de l’exercice 2013, Thurella a dégagé un bénéfice net de 3,37 millions de francs en baisse de 13%, un repli notamment dû au rachat et à l’intégration de la marque Traktor. Le bénéfice opérationnel (EBIT) a lui légèrement augmenté à 4,24 millions de francs. Le chiffre d’affaires de 45,7 millions de francs représente une progression de 26,5% par rapport à l’exercice précédent. Cette forte croissance est due en partie à la vente d’une cidrerie que le groupe possédait à Egnach (TG) jusqu’à fin 2013.

Cette opération vient clore une période de profonde restructuration pour Thurella. Durant la décennie 2000, la direction du groupe a poursuivi une stratégie d’expansion ambitieuse avec des rachats tous azimuts et une entrée à la Bourse de Berne en 2006. La vision du management d’alors était de transformer Thurella en petit Coca-Cola suisse. Une tactique qui ne paiera pas.
En 2009, lourdement endetté, le groupe essuie une perte de près de 60 millions de francs. En l’espace de deux ans, le cours de l’action dégringole de 600 à 30 francs, plus de la moitié des 250 emplois de la société sont supprimés et la direction se voit sanctionnée par les actionnaires. Une nouvelle stratégie s’impose. Thurella décide de se concentrer sur la marque Biotta et se sépare de ses autres activités, notamment des jus de pommes Obi et Rittergold.

Thurella a également choisi de se retirer de la Bourse de Berne d’ici à la fin du mois de juillet pour migrer vers la plateforme OTC de la Banque Cantonale de Berne. «Etre coté en Bourse implique des dépenses importantes, notamment pour la révision des comptes et la communication des résultats. L’option était intéressante lorsque l’entreprise affichait un chiffre d’affaires de 200 millions de francs, mais plus maintenant.»

Le directeur de Thurella souligne que la phase de restructuration est désormais terminée et que la société a retrouvé une «taille raisonnable qui lui correspond». Björn Zern, spécialiste des valeurs secondaires, responsable du blog schweizeraktien.net et ancien rédacteur en chef des magazines «Swiss Equity Magazin» et «NZZ Equity», estime que «les résultats annuels de 2013, avec notamment un EBIT respectable, prouvent que Thurella tient le bon cap».
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine.