KAPITAL

Les fitness romands en pleine forme

Un Suisse sur six est membre d’un club de fitness. La clef du succès d’un secteur qui continue de croître? Flexibilité et marketing bien rodé.

Les Suisses adorent le sport: trois habitants sur quatre pratiquent une activité physique. En Europe, seuls les pays scandinaves font mieux. Pour en savoir davantage sur les pratiques sportives des Helvètes, l’Office fédéral du sport (OFSPO) a mené une vaste enquête de février à août 2013 dont les résultats sont parus cette année. Afin d’entretenir sa forme, un Suisse sur six se rend régulièrement dans l’une des nombreuses salles de fitness du territoire. Et le mouvement ne semble pas ralentir: «Le marché progresse en moyenne de 3 à 5% par an», estime Jean-Pierre Sacco, CEO de Let’s Go Fitness, en précisant que la pratique reste légèrement moins courante en Suisse romande qu’outre-Sarine.

«Le public des salles de sport est particulièrement varié, mais les femmes sont légèrement plus nombreuses (55%) que les hommes (45%), détaille Ronan Coquet, qui étudie les habitudes des adeptes de fitness de Suisse romande au sein de l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne. Le succès du fitness s’explique en partie par une certaine forme de pression sociale. Les normes esthétiques véhiculées par les médias valorisent le muscle et la minceur au point qu’il devient difficile de s’en affranchir sans développer une forme de culpabilité.» En particulier chez les femmes, souvent désireuses de retrouver la forme autour de 35 ans, typiquement après une grossesse.

Course à la performance

Ronan Coquet voit dans le développement de l’ensemble des pratiques sportives l’une des raisons du succès des salles de fitness. Quelle que soit la classe d’âge et toutes disciplines confondues, le sport attire de plus en plus. Avec un phénomène nouveau, identifié par l’OFSPO dans son étude: la part des personnes qui pratiquent une activité physique occasionnellement se restreint, tandis que la proportion de Suisses qui font du sport régulièrement n’a cessé de progresser, passant de 36% à 44% en moins de quinze ans.

Culture de la performance oblige, une partie de ces sportifs se rend dans les salles de fitness en complément de leur sport de prédilection, pour développer les capacités qui leur sont les plus utiles: cardio, endurance, renforcement de tel ou tel groupe musculaire. «L’une des grandes raisons du succès des clubs tient au fait qu’ils peuvent répondre avec précision aux objectifs de leurs clients», poursuit Ronan Coquet.

Cette capacité d’adaptation n’est pas le seul avantage du fitness et les clubs ont d’autres atouts solides à faire valoir sur le marché des activités sportives, à commencer par le fait que ces dernières peuvent se pratiquer toute l’année, contrairement à une large part des sports d’extérieur. Du low cost au club privé très sélectif en passant par des enseignes spécialisées, l’offre est variée et accessible à tous les budgets et à tous les publics.

A côté des enseignes généralistes comme Silhouette ou Harmony se développent des propositions plus spécifiques, qui ciblent un public particulier, comme le genevois Reactiv, réservé aux femmes. Plaza Sport, positionné dans un créneau haut de gamme, complète son offre sportive par des activités orientées vers le bien-être et la beauté: massages, relaxation, soins du corps et du visage ou encore épilation.

«Il y a une bonne part de marketing dans notre secteur», sourit Luciano Luppi, CEO de la société Harmony, qui précise pourtant que les concepts se multiplient mais répondent tous à une même attente: «La plupart de nos clients veulent s’entraîner, mais en s’amusant.»

Du spinning au yoga

Les activités proposées par les fitness se sont largement diversifiées au cours des dernières décennies et le temps des salles dédiées à la seule musculation est bel et bien révolu. Pilates, aérobic, spinning, rameur, mais aussi yoga, piscine et sauna: les fitness s’adaptent en permanence pour sortir du strict cadre de l’effort physique. Au prix d’investissements non négligeables, qui ne sont pourtant qu’une partie de l’équation.

«Nous investissons constamment dans du nouveau matériel, mais les meilleurs équipements du monde ne sont rien sans encadrement», explique Sokol Ekmekciu, directeur de la chaîne Silhouette. Et c’est bien sur ce plan que les clubs luttent pour répondre aux attentes d’un public avide de conseils. Les coachs spécialisés se multiplient au point de représenter l’essentiel des effectifs: sur 750 employés, Silhouette compte seulement 13 salariés dans l’administratif, un ratio courant dans un secteur.

Flexibilité et encadrement… «Si l’on ajoute à ces avantages le fait que la plupart des salles ouvrent à des horaires particulièrement larges, les obstacles à la pratique du fitness sont très peu nombreux», conclut Ronan Coquet. Au point que le recours à la publicité semble presque superflu. «Nous ne lançons que deux campagnes d’affichage, en septembre, à l’occasion de la rentrée, et en janvier», témoigne Sokol Ekmekciu. Deux moments stratégiques et riches en bonnes résolutions pour un public décidé à gommer les kilos pris au cours des fêtes de fin d’année ou à entretenir une forme retrouvée pendant les vacances d’été. En rythme!
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PORTRAITS

«Une communauté à entretenir et à séduire»

Sokol Ekmekciu a investi 12 millions de francs ces deux dernières années dans son groupe Silhouette, qui possède 20 clubs.

Dix clubs à Genève, quatre dans le canton de Vaud et six à Zurich: Silhouette est l’un des principaux acteurs romands du secteur du fitness. Née dans les années 1980, l’enseigne genevoise a connu un creux dans les années 2000 au point de presque disparaître, avant d’être rachetée en 2011 par deux groupes financiers suisses, 21 Centrale Partners et SEC Partners. Arrivé en mars 2012 pour donner un nouvel élan à l’entreprise, Sokol Ekmekciu y a investi depuis 12 millions de francs.

«Nous avons acheté du matériel haut de gamme et rénové toutes les salles existantes, explique le directeur. Nous ouvrirons d’ailleurs deux nouveaux centres d’ici à janvier prochain, mais l’enjeu principal consiste à étoffer l’offre, en particulier au niveau des cours collectifs.» Les 750 employés de l’entreprise assurent aujourd’hui 850 cours collectifs par semaine et proposent plus d’une soixantaine de disciplines différentes, des plus classiques aux plus originales — dont la dernière en date, le body art, une pratique basée sur le principe asiatique du yin et du yang.

De quoi répondre aux attentes variées de quelque 35’000 clients, une large base qui continue de croître à un rythme qui avoisine les 3% par an. «Des concurrents plus jeunes peuvent connaître des croissances plus prononcées, mais nous sommes en position de leader», se réjouit Sokol Ekmekciu.

Le principal défi consiste à fidéliser et à entretenir cette communauté. «Nous multiplions les initiatives pour créer des liens entre nos membres. Nous sommes très actifs sur les réseaux sociaux et nous avons entièrement refondu le site web. Surtout, nous organisons des évènements dans le monde réel, par exemple des soirées privées à thème ou des pratiques collectives en extérieur.» Atouts concurrentiels, cette recherche de fidélisation et ce développement d’un esprit club sont aussi un enjeu d’image. Le sponsoring développé par l’entreprise, qui accompagne les jeunes espoirs et les athlètes confirmés qui effectuent leur préparation physique dans les clubs, complète un dispositif bien huilé.
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«Rester à l’affût des tendances»

En 2000, Luciano Luppi, CEO de Harmony, reprend un club en difficulté. Il développe son concept et en a ouvert six autres depuis.

Luciano Luppi connaît bien l’univers du fitness: ancien coach sportif lui-même, le directeur de l’enseigne genevoise Harmony a longtemps donné des cours dans les clubs de la région. Passé par le groupe Silhouette, où il fait ses premières armes de dirigeant, il a ensuite repris en janvier 2000 un club en difficulté dans le centre commercial de Balexert avant d’en ouvrir un second quelques mois plus tard, une fois la marque Harmony fondée. Les rachats se succèdent, comme lorsque Luciano Luppi ouvre une salle en plein cœur du centre commercial de la Praille. «Avec le temps, ces lieux sont devenus de véritables petites villes et des centres de vie à part entière, explique-t-il. J’ai fait le choix de proposer du fitness et un spa en créant une sorte de bulle au cœur du centre.»

Autre pari, celui de s’implanter près de l’aéroport de Cointrin pour développer une offre haut de gamme pour un public de voyageurs et à un nombre de membres limité: locaux élégants, matériel de haut niveau, service de pressing. «Le club est ouvert de 5h du matin à minuit, 365 jours par an.»

A quelques mois de l’ouverture de son septième club, à Versoix (GE), Luciano Luppi dirige 160 collaborateurs dans ses établissements de Genève et Lausanne. Avec 10’000 clients, la société affiche un chiffre d’affaires de 11 millions de francs. Et la croissance devrait se poursuivre. «Le tissu économique romand est particulièrement favorable au développement du fitness. En particulier sur l’arc lémanique, avec beaucoup de grandes entreprises et de salariés de haut niveau soumis à des pressions importantes. Il s’agit d’un public qui a besoin de détente et de bien-être.» Et de nouveauté: pour détecter les nouvelles tendances et flairer l’état du marché, Luciano Luppi, qui avoue travailler douze heures par jour, se déplace deux fois par an sur les grands salons du secteur. Un rythme de sportif.
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«7 à 10 % de croissance par an»

Pour Jean-Pierre Sacco, fondateur et CEO de Let’s Go, les clients sont prêts à consacrer davantage de moyens à leur activité, pour peu qu’on leur propose un service à la hauteur.

La chaîne Let’s Go, fondée à Genève en 1998 à l’occasion du rachat d’un premier centre de remise en forme, a pris du muscle et regroupe aujourd’hui 29 clubs, de Genève à Sion. Et cette cadence de deux à trois ouvertures par an devrait se poursuivre dans les années qui viennent, à en croire le fondateur de la marque, Jean-Pierre Sacco.

«Nous avons grandi à un rythme de 7 à 10% ces dernières année alors que la progression du marché avoisine plutôt les 3 à 5%», indique Jean-Pierre Sacco. Cette réussite, l’entrepreneur l’attribue d’abord à un partage des tâches bien rodé entre lui et son associé Thomas Keller: au premier le développement commercial, au second la gestion administrative.

Autre facteur de succès, une offre susceptible d’attirer tous les publics, de l’étudiant à la mère de famille, à des tarifs concurrentiels: l’accès à la salle commence à 65 francs pour un étudiant, qui obtient à ce prix l’accès à des équipements multimédia, notamment de quoi regarder des clips sur YouTube tout en transpirant… Une forme de personnalisation particulièrement appréciée par des clients libres de choisir l’ambiance dans laquelle ils s’entraînent. Au-delà, la chaîne propose une large gamme d’activités et de cours collectifs pour ceux qui le souhaitent. «Les clients sont prêts à consacrer davantage de moyens à leur activité, pour peu qu’on leur propose un service à la hauteur: qualité de l’accueil, expertise, matériel et accompagnement. Nous sommes là pour les aider à atteindre leurs objectifs.»

L’offre développée par Let’s Go joue aussi sur la souplesse. «Nos clients peuvent suspendre leur abonnement à tout moment pour une période qui peut aller jusqu’à trois mois et sans avoir à se justifier, explique Jean-Pierre Sacco. Le terme de leur inscription est prolongé d’autant.» Un véritable effort de gestion pour les employés, mais un atout considérable dans le secteur du fitness romand.
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.