KAPITAL

Les e-cigarettes carburent à la nicotine suisse

Dangereuse, la nicotine? Pas pour tout le monde: l’explosion de la consommation de cigarettes électroniques ouvre de nouveaux débouchés aux principales compagnies productrices, dont le suisse Siegfried.

Les pneumologues, les lecteurs d’Agatha Christie et un milliard de fumeurs le savent bien: la nicotine est un poison, même à faible dose. Paradoxalement, cet alcaloïde qui crée la dépendance au tabac est également utilisé dans les produits destinés au sevrage: patchs, chewing-gums… A cette consommation d’ordre médical s’ajoute depuis quelques années la vogue des cigarettes électroniques. Alternative au tabac, les vapoteurs permettent d’inhaler les vapeurs d’une large variété de mélanges liquides composés de propylène glycol, d’arômes divers et le plus souvent d’une dose plus ou moins importante de nicotine.

Et cette dernière a de bonnes chances d’être suisse: la plus pure est produite par un nombre réduit de sociétés parmi lesquelles une firme helvétique, Siegfried, qui fournit à elle seule la moitié de la production mondiale. Valorisée autour de 600 millions au SIX Swiss Exchange, l’entreprise de Zofingen a réalisé l’une des plus belles performances des douze derniers mois et vu le cours de son action augmenter d’environ un tiers. Son bénéfice net est passé de 21 à 53,9 millions d’euros entre 2012 et 2013.

Si la firme fondée en 1879 vend de la nicotine à l’industrie pharmaceutique depuis plus de vingt-cinq ans, les premières demandes liées au marché des cigarettes électroniques ne datent que de 2011. Après un temps d’hésitation, Siegfried a décidé d’y répondre lorsque les grands cigarettiers eux-mêmes se sont décidés à investir le marché des vapoteurs. En la matière, les grandes marques préfèrent acquérir des alcaloïdes de haute qualité et s’appuient sur l’expertise et la réputation de fabricants irréprochables, tels que Siegfried, l’américain Actavis ou le chinois Porton Fine Chemicals.

«Siegfried est une société établie de longue date, souligne Martin Schreiber, analyste pour la Banque Cantonale de Zurich. Pour la nicotine comme pour le reste de ses produits, ses relations commerciales reposent sur une production de très haute qualité et sur la fiabilité de ses processus de fabrication.»

Le phénomène des cigarettes électroniques a clairement contribué aux bons résultats de Siegfried et représente une opportunité sérieuse. Mais son effet sur ses performances à long terme devrait toutefois rester modéré. La principale inconnue est d’ordre légal: personne n’est aujourd’hui en mesure de prévoir les conditions de distribution des e-liquides (les liquides utilisés pour remplir les e-cigarettes) au cours des prochaines années.

La nicotine demeurant un alcaloïde neurotoxique, certaines questions restent en suspens. Est-elle un facteur d’entrée dans le tabagisme? Peut-elle au contraire trouver sa place dans les stratégies de sevrage? A ce jour, les vapoteurs ne font pas mieux que les substituts nicotiniques classiques, et les médecins manquent de recul pour en connaître l’éventuel bénéfice global sur la santé publique. De quoi expliquer la prudence des Etats: là où la FDA américaine considère la cigarette électronique comme un produit tabagique, l’UE a confirmé l’an dernier son statut de produit d’usage courant, donc sa vente libre. En Suisse, sa commercialisation reste très encadrée: la consommation des liquides contenant de la nicotine est autorisée mais leur vente ne l’est pas. Toutefois, le Conseil fédéral vient de mettre en consultation, en mai dernier, un projet de loi proposant cette autorisation.

D’autres facteurs relativisent l’importance du développement du marché de l’e-cigarette pour Siegfried. «La nicotine ne représente pour l’heure que 5% du chiffre d’affaires de l’entreprise, soit 15 millions de dollars environ», note Martin Schreiber. Si impressionnant soit-il, le boom des vapoteurs n’est pas de nature à augmenter spectaculairement la production. Outre que la nicotine n’est pas présente dans chacun des liquides proposés aux consommateurs, les dosages sont faibles. L’ensemble du secteur n’a eu besoin que de 20 tonnes en 2013, un chiffre qui pourrait atteindre 30 tonnes cette année. Et la mode de l’e-cigarette pourrait parallèlement réduire les ventes des patchs et autres substituts nicotiniques, également produits grâce à Siegfried…

Au-delà de l’effet finalement modeste de la vogue des vapoteurs, c’est bien une stratégie d’ensemble que saluent les marchés. «A moyen terme, Siegfried devrait voir son bénéfice et ses marges d’exploitation progresser grâce à ses nouvelles installations chinoises, conclut Martin Schreiber. L’entreprise devrait continuer de surperformer.»
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Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine.