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Les après-demain qui chantent

Le Conseil fédéral veut imposer — timidement — l’égalité salariale entre hommes et femmes. Les entrepreneurs refusent d’en entendre parler, tandis que les syndicats réclament une police des salaires. Cela sent les calendes grecques.

Ils ne sont pas contents, les patrons. Ce n’est pas un papier aussi banal, aussi insignifiant, aussi torche-cul que la Constitution qui pourrait les faire changer d’avis. Laquelle exige, depuis 1981, ce qui fait quand même un petit bail, l’égalité salariale. N’est-ce pas saugrenu? Autant demander la lune.

Une lune dont la face cachée, en l’occurrence, atteindrait les 630 millions de francs. Soit l’écart total de rémunération constatée entre hommes et femmes qui ne peut se justifier par les différences de formation et de responsabilités. Et semble n’avoir d’autre explication que la mauvaise volonté des employeurs.

Une mauvaise volonté que le Conseil fédéral n’entend plus tolérer, en instaurant des contrôles au sein des entreprises. Rien de bien méchant: ni amende, ni obligation, ni rien. La seule sanction sera le pilori. A savoir la divulgation du nom des fautifs, le Conseil fédéral comptant sur le souci qu’ont les entreprises de leur sainte image.

Notons au passage le miracle opéré par ce serpent de mer de l’égalité salariale: faire qu’une responsable socialiste se soucie soudain d’une structure encore hautement patriarcale. «Cet argent, affirme en effet Simonetta Sommaruga, ne manque pas seulement aux femmes. Il manque également aux familles». Comme quoi l’argent peut tout. Même si ce miracle se double d’une certaine naïveté: en cas d’égalité salariale forcée, rien ne garantit que l’ajustement se fasse par le haut.

Du côté du patronat, on l’a dit, la colère gronde. D’un naturel déjà grognon, pour ne pas dire bougon, le président de l’USAM, Jean-François Rime, ci-devant conseiller national UDC, ne se contient plus. Se dit choqué, accuse le gouvernement du péché absolu d’entre tous les péchés mortels: avoir «cédé aux pressions des syndicats, qui veulent s’immiscer dans la gestion des entreprises».

Rime, patron lui-même d’une grosse scierie, et qui doit certainement pratiquer chez lui l’égalité salariale entre scieurs et scieuses, y va donc à la hache et n’hésite pas à peindre le diable tricolore, très à la mode, sur la muraille du forfait: «Le pays qui connaît le plus ce type de pratiques est la France et on voit aujourd’hui comment se porte son économie».

En même temps, on peut comprendre le parlementaire UDC: les blochériens ont beau se proclamer patriotes, jusqu’à s’en faire sauter la glotte, ils ont assez montré jusqu’ici le mépris que leur inspirait la Constitution fédérale. Une sorte de poubelle où vous pouvez allégrement jeter tout ce qui vous passe par la tête, même si c’est sans objet, inapplicable, électoraliste et purement fantasmé. L’interdiction des minarets par exemple. Alors, que l’égalité salariale y figure, on imagine combien ces gens-là peuvent s’en tamponner.

Reste que ces fameux syndicats fustigés par le Seigneur de Gruyère, sont eux, évidemment, contents mais sans l’être vraiment tout à fait. Ils trouvent en gros que ces mesures annoncées par le Conseil fédéral sont quand même un peu pour rire et pour beurre. Qu’il y manque «une autorité de contrôle dotée de compétences en matière d’investigation et d’intervention».

Entre ceux donc qui veulent l’imposer de force et ceux qui ne veulent en entendre parler à aucun prix, on pourra craindre que l’égalité salariale ne soit pas vraiment pour demain. Que les scieuses devront plutôt compter sur des après-demain qui chantent.