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Même pas peur

Le Conseil fédéral refuse de se plier à la transparence des financements politiques que réclame le Conseil de l’Europe. La moralité publique, la Suisse est au-dessus de ça, voyons.

La corruption? Même pas peur. Le Conseil fédéral en tout cas refuse de se plier aux injonctions du Conseil de l’Europe en la matière. Ou plus exactement de son organe joliment dénommé, dans la version française du moins, GRECO (Groupe d’Etats contre la corruption), sans qu’il faille bien sûr y voir une hellénophobie quelconque ou une perfide allusion aux habitudes locales.

Lequel GRECO depuis des années s’égosille à mettre en garde la Confédération. A exiger qu’elle améliore la «transparence de la vie politique». En cause: les dons et versements privés aux partis politiques qui devraient être rendus publics, et qui ne le sont point, faute d’une majorité pour le vouloir vraiment.

Simonetta Sommaruga avait bien fait quelques suggestions en ce sens auprès de ses collègues ministres et des responsables des partis gouvernementaux. Avant de jeter l’éponge devant le manque général et flagrant d’enthousiasme. Ce qui pourrait faire penser que chez nous le secret n’est pas qu’une astuce de rusé banquier, mais bien plus largement un art de vivre.

Toujours est-il que lassé des remarques et attaques du GRECO — dont l’ouverture l’an dernier d’une «procédure de non-conformité» — le Conseil fédéral a donc décidé de trancher: c’est non. Le Greco peut donc aller se faire voir où il veut, mais pas ici.

Pour justifier ce niet ouvrant la porte à tous les soupçons — dis-moi qui te finance, je te dirai ce que tu penses et pourquoi tu le penses — le Conseil fédéral met en avant la bien pratique spécificité des institutions suisses. Des institutions — et c’est là qu’on sent toute la magie du système — qui s’avèrent trop compliquées pour permettre une trop bête et trop simple législation uniforme sur le financement des partis politiques.

La multiplicité des scrutins, l’autonomie des Cantons, la protection de la sphère privée sont ainsi invoquées. Last but not least: grâce au système de milice les partis suisses coûteraient moins chers que les autres et auraient donc moins besoin d’être financés, et partant d’être contrôlés.

C’est aussi notons-le avec ce même genre d’argument — complexité, fédéralisme, coûts — qu’on avait renoncé en 2001 à l’idée d’un contrôle unifié du marché du vin en Suisse. Contrôle qu’avait mis en place avec succès notamment l’Autriche, après un scandale d’ampleur, celui des vins à l’antigel. Mais chez nous, impossible apparemment d’imaginer des vignerons tricheurs et malhonnêtes. Dix ans plus tard, le pinardier Dominique Giroud apportait le tonitruant démenti qu’on sait.

Cette même difficulté à se mettre en question, à s’imaginer suisses et malhonnêtes, à s’envisager confédérés et corrompus, on la sent affleurer derrière les arguments techniques du Conseil fédéral contre la transparence politique. Etant entendu que nos merveilleuses institutions nous mettent, contrairement au reste du vil monde, à l’abri de tout écart. Le pas suivant est de s’imaginer justes, bons et sans péchés, par nature et de toute éternité. Quel besoin, petits saints que nous sommes, aurions–nous d’une quelconque transparence?

D’autant que rien ne presse ni ne brûle, le fameux GRECO ayant tout du tigre de papier mâché. Lui dont l’arsenal de rétorsions se résume, selon en tout cas un ministère suisse de la justice d’une sérénité réjouissante, «à accorder un délai supplémentaire ou publier une déclaration réprobatrice». On a vu plus menaçant.

Sans compter que d’autres membres du Conseil de l’Europe ont pris depuis longtemps la hautaine habitude de s’essuyer les pieds sur les grands principes défendus par cette institution. La Russie de Poutine par exemple. La moralité publique, sans doute, c’est bon pour les flemmards et combinards français ou les satanés fascistes ukrainiens. Pas pour la sainte Russie ni l’immaculée Confédération.