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Quand il ne restera que la lutte à la culotte

La Suisse change. La preuve par l’heure de l’apéritif, les enseignants pédophiles et les religions vaudoises.

Les femmes au boulot jusqu’à 65 ans comme tout le monde, et la TVA relevée d’un point et demi. Les deux mesures phares du plan Berset pour sauver des retraites menacées par une démographie en berne témoignent d’une Suisse qui va changer, qui change déjà. Rien que de bien normal et pas besoin d’obscures fragments d’Héraclite pour se persuader qu’on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau de boudin.

Tout coule, serine le philosophe, tout fout le camp, confirme le café du commerce. Ce dont témoigne, outre les grandes réformes, une infinité de petits faits au quotidien, de décisions anecdotiques qui bousculent sinon l’ordre établi, du moins les molles habitudes.

Ainsi en va-t-il du protocole, qu’on aurait pu croire immuable, régissant l’élection chaque année du président de la Confédération. Dès le 3 décembre prochain et l’intronisation de Simonetta Sommaruga pour 2015, l’élection ne se tiendra plus à 8 heures mais à 11 heures. Manœuvre qui permettra, écrit le correspondant parlementaire d’un quotidien de référence, «d’organiser l’apéritif officiel à l’heure de l’apéro et non plus à celle du café-croissants».

Qu’en déduire? L’émergence peut-être d’une Suisse plus rationnelle, moins drôle, moins fantaisiste, moins Sonderfall, plus banale et dans laquelle on ne boira, mangera, aimera, pensera, rêvera qu’aux heures réglementaires prévues pour?

Autre coup de tonnerre dévastateur, annonçant l’imminence de temps nouveaux, dans le ciel vaudois cette fois. Avec les communautés évangéliques et musulmanes en passe d’accéder à l’envié label «d’intérêt public». Grâce à l’instauration de critères définis par l’Etat — trente ans d’ancrage sur le territoire et 3% de la population résidente. Et à condition de s’engager dans une déclaration de principe à rejeter «la polygamie, la répudiation et l’excision».

On pourrait de bonne foi, si l’on ose dire, voir se dessiner là une Suisse aux pratiques religieuses américanisées avec un conglomérat bigarré de confessions, sectes, courants de pensée, ayant pignon sur rue et l’onction de l’Etat sans discrimination aucune. La scientologie, par exemple, pourrait ainsi obtenir un jour par ce biais un statut de reconnaissance publique.

Une Suisse aussi où il faudra donc s’engager par écrit à ne pas commettre d’actes considérés jusqu’ici et sans discussion comme barbares et d’ailleurs dûment interdits par la loi. Une Suisse, en somme, à pactes et lois multiples et citoyens plus ou moins suspects.

Un pays également où l’on sait désormais que, même pédophile, un enseignant reste avant tout un enseignant et que son brevet ne peut lui être retiré, «faute de base légale cantonale suffisante», ainsi que vient de l’établir le Tribunal fédéral.

Un pays où l’on ne peut obliger les médecins à pratiquer au moins une langue nationale, la commission de la santé publique du Conseil des Etats renonçant à instaurer une obligation allant dans ce sens.

Un pays, enfin, dont le gouvernement envisage de faire enregistrer toutes les armes à feu privées non déclarées. Il y en aurait deux millions en circulation dont seulement 750’000 dûment inscrites dans les registres cantonaux. Le lobby des armes et les tireurs sportifs sont déjà prêts à faire feu sur cette réforme et la commission du Conseil national ne s’est prononcée en sa faveur que par treize voix contre douze. La mesure, paraît-il, augmenterait la sécurité des agents de police.

Là, c’est le contraire de l’Amérique qu’on voit apparaître et la fin d’un mythe: celui d’une Suisse qui avait ramené les sports de combat à deux principaux — le tir et la lutte à la culotte. Reste la lutte à la culotte. La garantie d’un avenir au goût de sciure.